Mise en place des axes chez les Vertébrés

Par Patrick Pla, Université Paris-Saclay

Les Vertébrés font partie des Bilatériens et ils ont à ce titre 3 axes : antéro-postérieur (AP), dorso-ventral (DV) et droite-gauche. Ils font partie des Chordés, dont ce sont des Epineuriens : leur système nerveux central est entièrement dorsal et formé à partir d’un tube neural produit au cours de la neurulation. Tout comme le corps en entier, ce tube neural est lui aussi polarisé selon les 3 axes.

La structure fondamentale qui coordonne la mise en place des axes des vertébrés s’appelle l’organisateur de Spemann qui correspond à la lèvre dorsale du blastopore chez les Amphibiens et au nœud de Hensen chez les Amniotes. Il a souvent été présenté dans son rôle de mise en place de l’axe DV mais il est également important pour l’axe AP et l’asymétrie droite/gauche (Harland et Gerhart, 1997 ; De Robertis et al., 2000).

Nous allons développer essentiellement l’exemple des amphibiens avant d’explorer d’autres modèles.

  1. Mise en évidence de l’organisateur de Spemann
  2. De la rotation corticale à l’organisateur de Spemann chez les Amphibiens
  3. Formation de l’organisateur de Spemann dans d’autres modèles que les Amphibiens
  4. Action de l’organisateur de Spemann
  5. Régionalisation le long de l’axe antéro-postérieur
  6. L’axe droite-gauche

Mise en évidence de l’organisateur de Spemann

L’expérience de Spemann et Mangold réalisée en 1924 est une des expériences fondatrices de la biologie du développement. Elle consiste en la greffe de la lèvre dorsale du blastopore d’une jeune gastrula d’amphibien sur la région ventrale d’un autre amphibien. On obtient alors un embryon puis une larve qui possède deux axes dorsaux c’est-à-dire deux tubes neuraux, deux cordes, deux séries de somites.

*Expérience de Spemann et Mangold (1924). Les cellules du greffon (lèvre dorsale du donneur) et leurs cellules descendantes sont indiquées en rouge.

Quand on distingue ce qui provient du donneur et ce qui provient du receveur (Spemann et Mangold ont pu le faire car le donneur et le receveur appartenaient à deux espèces de triton avec une pigmentation différente), on constate que la quasi-totalité du tube neural et des somites supplémentaires proviennent du receveur et que la corde provient du donneur. Donc, tandis que la lèvre dorsale du blastopore greffée s’est développée en corde, elle a induit les tissus ventraux alentour à donner du tissu nerveux et des somites. Sans ces signaux, les tissus ventraux auraient donné de l’épiderme et du mésoderme ventral (cellules sanguines par exemple). Des signaux inducteurs ont donc été envoyés de la lèvre dorsale du blastopore vers l’ectoderme ventral pour changer sa destinée d’épiderme en tissu neural et vers le mésoderme ventral pour changer sa destinée en mésoderme dorsal.

De la rotation corticale à l’organisateur de Spemann chez les Amphibiens

60 ans après l’expérience de Spemann et Mangold, Gimlich et Gerhart ont montré en 1984 qu’on pouvait reproduire la production d’un deuxième axe dorsal en greffant un macromère végétatif dorsal (une cellule destinée à donner de l’endoderme dorsal) du côté ventral d’un embryon au stade 32 cellules.

*Expérience de Gimlich et Gerhart. La transplantation d’un macromère dorsal (D1) vers la région ventrale d’un embryon de xénope de 32 cellules qui conserve son blastomère dorsal (D1′) provoque une duplication d’axe dorsal comme lors de la greffe de l’organisateur de Spemann. Source : http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/CoursPCEMDEUG/Fig106.htm

Cela montre que les évènements qui mènent à la formation de l’organisateur de Spemann sont à l’œuvre très tôt dans l’embryon. Ces évènements sont liés à la rotation corticale qui suit la fécondation où le cytoplasme du zygote juste sous la membrane plasmique se déplace d’un angle de 30° vers le point d’entrée du spermatozoïde. En effet, si on empêche la rotation corticale (par une irradiation aux UV du pôle végétatif qui désorganise les microtubules qui s’y trouvent), il n’y a pas d’axes formés mais on peut sauver ces embryons en greffant le macromère dorsal D1 : on obtient alors des embryons normaux avec le côté dorsal situé du côté où on a greffé D1.

A la suite de la fécondation et de la réorganisation du cytosquelette provoqué par le centriole du spermatozoïde, la rotation corticale entraîne un déplacement de certaines protéines vers le futur côté dorsal.

*Rotation corticale à la suite de la fécondation chez les Amphibiens. La calotte pigmentaire de l’hémisphère animal bascule vers le point d’entrée du spermatozoïde laissant à l’opposé de celui-ci des traînées de pigment cortical qui prennent la forme d’un croissant d’où le terme de croissant gris (CG). Après cet événement, la future région dorsale de l’embryon apparaîtra du côté le plus clair du zygote. D: face dorsale, PA: Pôle Animal, PV: Pôle Végetatif, V: face ventrale. Source : http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/xenope1/xenope2.htm
*Mise en évidence de la rotation corticale par le déplacement de billes fluorescentes injectées dans le cortex au pôle végétatif. Des billes fluorescentes ont été injectées dans le cortex cytoplasmique au pôle végétatif d’ovocytes de xénope juste après la fécondation mais avant la rotation corticale (A). 1h30 après la fécondation, on observe que des billes ont été entraînées sur une distance jusqu’à 600 µm vers un des côtés par rapport au pôle végétatif (B). C’est la rotation corticale qui ne concerne donc pas que les pigments autour du pôle animal mais l’ensemble du cortex cytoplasmique. La flèche blanche désigne le cortex au pôle végétatif. Barre d’échelle = 200 µm. Source : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.94.4.1224

L’une des protéines déplacées est Dishevelled qui est accrochée à des vésicules transportées le long de faisceaux parallèles de microtubules. Ces vésicules se déplacent très vite, à la vitesse de 25–40 μm/min (Rowning et al., 1997). Dishevelled protège du côté dorsal la β-caténine de la destruction induite par GSK3β (voir le chapitre consacré aux voies de signalisation Wnt). Le ligand Xwnt11 est également nécessaire à cette étape pour renforcer la protection de la β-caténine (Kofron et al., 2007) ainsi que la protéine Huluwa qui dégrade Axine1, une protéine qui facilite la dégradation de la β-caténine (Yan et al., 2018). β-caténine s’accumule alors sur la face dorsale de l’embryon et entre dans le noyau au stade 16 cellules (Schneider et al., 1996). Elle s’associe aux facteurs de transcription LEF/TCF. Le gène Siamois qui code un facteur de transcription à homéoboîte et qui est impliqué dans la spécification de la région dorsale, est une cible de la β-caténine et est exprimé dans la région où β-caténine atteint des niveaux nucléaires élevés.

*De la rotation corticale jusqu’à la mise en place de l’organisateur de Spemann. L’organisateur de Spemann se met en place à la convergence entre deux voies de signalisation complémentaires : la voie de la β-caténine qui est activée dans la région dorsale par la rotation corticale et la voie Nodal (ou Xnr chez le xénope) dont l’expression des ligands est activée dans l’endoderme par le facteur de transcription VegT. Une forte concentration en Xnr est nécessaire pour induire du mésoderme dorsal (et donc un organisateur de Spemann). Cette forte concentration est permise par la voie de la β-caténine qui agit ainsi via deux séries de cibles en aval qui finissent par converger.

Les effets dorsalisants de la β-caténine peuvent être observés lorsqu’elle est injectée dans les cellules du côté ventral. Cela provoque la formation d’un deuxième axe du corps avec deux têtes et deux tubes neuraux. Le doublement ne concerne cependant que la partie antérieure. Des expériences de lignage ont montré que la future région dorsale correspond aussi à la future région antérieure. A ce stade précoce du développement, les deux axes ne sont pas encore bien séparés.

L’incubation d’embryons dans une solution de chlorure de lithium (LiCl) au stade 32 cellules a des effets dorsalisants (et antériorisants). LiCl inhibe en effet l’activité enzymatique de GSK3 aboutissant à une accumulation et à une entrée dans le noyau généralisée de la β-caténine.

L’expression de Siamois associé avec une activité Nodal élevée (les ligands sont Xnr1/2/4/5/6) sur la face dorsale induit la formation de l’organisateur de Spemann qui est caractérisé par l’expression du gène goosecoid.

*Expression différentielle des gènes Xnr entre les blastomères végétatifs ventraux et dorsaux. Des blastomères végétatifs dorsaux et ventraux ont été isolés, leurs ARNm extraits et une analyse par RT-PCR de l’expression des gènes indiqués a été réalisée. Les gènes Xnr sont plus exprimés du côté dorsal que ventral générant un gradient de ce morphogène. La région de la zone marginale proche des blastomères végétatifs dorsaux reçoit plus de Xnr et sont induits en mésoderme dorsal, qui donne naissance à l’organisateur de Spemann. Les blastomères végétatifs qui expriment le plus de Xnr correspondent au centre de Nieuwkoop, un centre caractérisé par sa capacité à induire un organisateur de Spemann. Les blastomères végétatifs ventraux qui secrètent moins de Xnr induisent du mésoderme ventral (et donc pas l’organisateur de Spemann). Source : https://ressources.unisciel.fr/biodudev/co/grain_5_6_10.html

L’expression élevée des Xnr du côté dorsal de l’endoderme est contrôlée par la β-caténine qui œuvre ainsi également dans la formation de l’organisateur de Spemann via l’endoderme alors qu’elle agit déjà plus directement dans le mésoderme dorsal avec l’activation de l’expression de siamois.

*L’activation de l’expression de Xnr5 et de Xnr6 dans l’endoderme dorsal (centre de Nieuwkoop) est dépendante de la rotation corticale. On retire les deux tiers inférieurs du cytoplasme végétatif d’un zygote avant la rotation corticale. Les composants qui sont habituellement déplacés par la rotation corticale vers le futur côté dorsal ne peuvent pas le faire. Dans ce cas, on observe par RT-PCR que l’expression de Xnr5 et de Xnr6 dans l’endoderme dorsal qui correspond au centre de Nieuwkoop n’est pas activée. D’autres expériences montrent que c’est l’absence d’entrée de la β-caténine dans le noyau du côté dorsal qui est à l’origine de l’absence d’activation de l’expression de Xnr5 et de Xnr6. Par ailleurs, VegT est également impliqué dans l’activation de l’expression de ces gènes. Source : https://journals.biologists.com/dev/article/127/24/5319/41043/Two-novel-nodal-related-genes-initiate-early

Formation de l’organisateur de Spemann dans d’autres modèles que les Amphibiens

Les Amphibiens constituent un modèle particulier et la rotation corticale qui suit la fécondation n’est pas du tout un cas généralisé chez les Vertébrés.

Chez le poisson-zèbre, l’organisateur de Spemann est le bouclier embryonnaire.

*Le bouclier embryonnaire (=organisateur de Spemann) de l’embryon du poisson-zèbre. Il est indiqué sur une vue latérale (A) ou une vue depuis le pôle animal (B) par deux têtes de flèches. Source : https://journals.biologists.com/dev/article/132/11/2503/52334/Structure-and-function-of-the-notochord-an

La β-caténine maternelle joue un rôle important dans la formation du bouclier et de l’axe DV chez le poisson zèbre. Par exemple, les mutants ichabod ont une mutation dans la région du promoteur de la β-caténine. Cette mutation provoque une diminution de l’expression de la β-caténine et entraîne de graves défauts dans l’établissement de l’axe DV (Sasai et al., 1994 ; Zhang et al., 1998). La β-caténine maternelle active la transcription de gènes spécifiques dorsaux, notamment squint, goosecoid, bozozok et chordin (chd), induisant ainsi la formation de l’organisateur de Spemann (Schier et Talbot, 2001). Contrairement au xénope, ce n’est pas Wnt11 mais Wnt8a qui contribue à activer la voie Wnt/β-caténine du côté dorsal (Lu et al., 2011). L’initiateur de toute la cascade est cependant la protéine transmembranaire Huluwa qui dégrade l’axine et protège ainsi la β-caténine de la dégradation du côté dorsal (Yan et al., 2018).

Chez les embryons de poulet, les signaux qui induisent le nœud de Hensen sont actifs assez longtemps, car on peut enlever un nœud de Hensen et un autre se développera à la place (Joubin et Stern, 1999). Le nœud de Hensen correspond plus à une zone qui est traversée par des populations de cellules au cours de la gastrulation et qui est constamment induite par un centre inducteur situé au milieu de la ligne primitive et qui sécrète cVg1 et Wnt8C. L’activité de ce centre inducteur est limitée par ADMP produit par le nœud de Hensen mais si le nœud est enlevé, cette source de ADMP se tarit et les signaux inducteurs peuvent fonctionner à nouveau pour régénérer un nouveau nœud.

Chez la souris, le nœud de Hensen est induit par une combinaison de signaux Wnt et activine ce qui revient à une induction par β-caténine et la signalisation SMAD similaire à ce qui est observée chez le xénope.

On peut différencier un organisateur de Spemann à partir de cellules souches pluripotentes humaines en présence de Wnt et d’activine. Cet organisateur, greffé sur l’ectoderme d’un embryon de poulet est capable de réaliser une induction neurale, comme l’atteste l’activation de l’expression de Sox2 dans l’épiblaste de poulet adjacent au greffon (Martyn et al., 2018).

*Un « nœud de Hensen humain » induit du tissu neural dans l’ectoderme d’un embryon de poulet. Des cellules ES humaines ont été soumises à un protocole permettant d’induire des gènes spécifiques du nœud de Hensen puis elles ont été greffées sur l’ectoderme d’un embryon de poulet qui donne habituellement du tissu extraembryonnaire. 27 heures après la greffe, on réalise une immunofluorescence avec un anticorps dirigé contre la protéine HNA humaine (rouge, juste un marqueur de cellules humaines) et un anticorps dirigé contre Sox2 (vert, un marqueur de tissu neural précoce). On constate que les cellules humaines ont induit l’expression de Sox2 dans les cellules du poulet. Source : https://www-ncbi-nlm-nih-gov.insb.bib.cnrs.fr/pmc/articles/PMC6077985/

Action de l’organisateur de Spemann

A la surprise générale, la découverte des molécules sécrétées par l’organisateur de Spemann a révélé que c’est une structure qui inhibe toute une série de signaux inducteurs (BMP, Wnt et Nodal). Mais inhiber un signal inducteur est aussi une instruction qui change la destinée d’une cellule et donc aussi une induction ! Un inhibiteur de morphogène peut aussi être considéré comme un morphogène.

Ainsi, l’organisateur de Spemann sécrète des antagonistes de BMP tels que Chordine et Noggin, des antagonistes de Wnt tels que Dkk1, Frzb1 et Crescent, et des inhibiteurs multivalents comme Cerberus.

*Expression de chordine dans la lèvre dorsale du blastopore (= organisateur de Spemann) au début de la gastrulation chez le xénope. Une hybridation in situ a été effectuée avec une sonde reconnaissant l’ARNm de chordine sur des embryons de xénope au stade 10,5. Vue du pôle végétatif. On voit le blastopore en forme de anse de panier en train de se former sous la zone d’expression. Source : https://www.jbc.org/article/S0021-9258(20)35330-8/fulltext
*Chordine est exprimée dans la corde lorsqu’elle se forme à la gastrulation. Coupe transversale d’une gastrula âgée de xénope traitée en hybridation in situ avec une sonde reconnaissant l’ARNm de chordine. La lèvre dorsale du blastopore (=organisateur de Spemann) donne en effet naissance à la corde. Le côté dorsal est vers le haut. La cavité sous la corde est l’archentéron. Les espaces dans l’endoderme en dessous sont des artefacts de coupe. La neurulation débute à peine donc il n’y a pas encore de tube neural dorsalement à la corde. Source : Compte Twitter @ailencervino
*L’injection de l’ARNm de chordine rétablit les axes d’un embryon traité aux UV, sans rotation corticale. A gauche, un embryon de xénope ventralisé, sans axe précis, à cause d’un traitement aux UV au pôle végétatif qui a perturbé l’organisation des microtubules et empêché la rotation corticale. Un tel embryon peut être sauvé si on lui injecte de l’ARNm de chordine (à droite). Le côté dorsal se forme du côté où cet ARNm a été injecté. Source : https://www.nature.com/articles/35042039

Lorsque l’ARNm de Chordine est injecté dans une cellule ventrale de l’embryon de xénope, il récapitule l’expérience de Spemann et Mangold avec la formation d’un deuxième tube neural, des somites et même une deuxième cavité intestinale (Sasai et al., 1994).

Juste avant la gastrulation, l’activité BMP (qui peut s’observer en étudiant la phosphorylation des transducteurs de sa voie Smad1, Smad5 et Smad8) établit un gradient ventral haut à dorsal bas, et une faible activité BMP sur la face dorsale permet aux cellules ectodermiques d’acquérir un destin neural, tandis que les autres cellules ectodermiques prennent le destin de l’épiderme (Schohl et Fagotto, 2002). Si on prélève une calotte animale et qu’on la cultive isolée on obtient un épiderme cilié. Mais si on dissocie les cellules, on obtient du tissu neural car on aura dilué BMP (signalons que la dissociation cellulaire provoque aussi une activation soutenue de la voie de signalisation MAPK, qui est nécessaire à la différenciation neurale). L’addition de BMP sur ces cellules dissociées permet de former à nouveau de l’épithélium cilié.

*Détermination dans la calotte animale en fonction de BMP4. La coiffe animale exprime naturellement BMP4,mais si on dissocie les cellules, la concentration de BMP4 devient trop faible pour induire la formation d’un épiderme cilié.

De même, dans le mésoderme, la faible activité BMP spécifie des destinées dorsales (somites par exemple) alors qu’une haute activité BMP spécifie des destinées ventrales (lames latérales par exemple). Il s’agit typiquement là de l’action d’un morphogène. La phosphorylation de Smad1/5/8 leur permet d’interagir avec Smad4, de rentrer dans le noyau et d’activer la transcription de gènes cibles.

*Phosphorylation différentielle de Smad1/5 selon l’axe dorso-ventral lors de la gastrulation chez le poisson-zèbre. Des embryons de poisson-zèbre sauvage (CTRL) ou muté n’exprimant plus Smad4 (MZsmad4a) à 40% d’épibolie sont fixés puis traités en immunofluorescence avec des anticorps reconnaissant les formes phosphorylées de Smad1 et 5 (vert) et avec du DAPI reconnaissant l’ADN (violet). Le côté dorsal est à droite. On constate un gradient d’activité de la voie BMP plus important du côté ventral et une diminution progressive vers le côté dorsal. Smad4, auquel les formes phosphorylées de Smad1 et 5 s’associent doit être présent. Source : https://www.nature.com/articles/s41467-021-26486-3

Chordine sécrétée par l’organisateur de Spemann s’oppose à l’activité BMP4 en se liant aux BMP et en les empêchant d’atteindre leur récepteur ce qui favorise les destins dorsaux. Chordine et BMP diffusent dans l’espace extracellulaire et forment des gradients d’activité opposés dans l’embryon (De Robertis et Kuroda, 2004 ; Piccolo et al., 1996). Cependant Chordine a un effet positif sur la signalisation BMP dans la région ventrale grâce au navettage qu’elle réalise de BMP. Lorsque Chordine attrape BMP, elle continue à diffuser ramenant BMP vers sa région ventrale d’origine. Une enzyme nommée Tolloid, exprimée dans la région ventrale clive Chordine et libère BMP qui se trouve donc plus concentré dans la région antérieure.

***Contribution du navettage par Sog/Chordine au gradient du morphogène Dpp/BMP.
(A) Vue en coupe transversale de l’embryon de drosophile représentant la navette Sog pour Dpp (l’orthologue de BMP chez la drosophile). (B) Vue latérale d’un embryon de vertébré représentant Chordine (Chd) faisant la navette de BMP en direction de la région ventrale. (C) Contre-gradient : Chd diffuse ventralement pour former un contre-gradient réprimant le BMP. (D) Navette: BMP lié à Chd est transporté ventralement, où il est libéré par clivage Tolloid. (E) Transcriptionnel : BMP reste là où il est produit, reflétant le gradient d’expression BMP. (F) Source-puits : BMP diffuse de sa source de production ventrale à un puits de Chd dorsal. Source : https://elifesciences.org/articles/22199

Chordine peut être déplétée dans les embryons de xénope à l’aide d’injections d’oligos morpholino (MO) antisens. L’épuisement de Chordine produit des embryons qui se développent avec des têtes et des tissus dorsaux plus petits et des structures ventrales élargies (Oelgeschläger et al., 2003). Cependant, un axe embryonnaire est encore formé. Il faut un épuisement combiné de Chordine, Noggin et Follistatine pour entraîner une perte généralisée de tous les tissus dorsaux (Khokha et al., 2005). De même, chez la souris double knock-out de Chordine et Noggin, le cerveau antérieur, le mésencéphale et la notocorde sont perdus (Bachiller et al., 2000). Ainsi, les antagonistes des BMP sécrétés par le tissu organisateur sont capables de se compenser les uns les autres.

A cela s’ajoute la protéine morphogénétique anti-dorsalisante (ADMP), un ligand de type BMP exprimé dorsalement, qui stimule également la phosphorylation de Smad1/5/8 pour étendre le gradient de BMP (Dosch et Niehrs, 2000 ; Joubin et Stern, 1999 ; Reversade et De Robertis, 2005 ; Willot et al., 2002). Cette situation peut paraître paradoxale mais il fait partie des modulateurs qui évite que le domaine d’action de l’organisateur ne s’étende trop loin et il limite aussi directement l’étendue de l’organisateur lui-même (Leibovitch et al., 2018).

**ADMP limite la taille du domaine de l’organisateur de Spemann. La surexpression d’ADMP a été induite par l’injection de quantités croissantes d’ARNm codant ADMP (100 pg/embryon) dans les embryons au stade 2 cellules soit du côté dorsal (d, h), soit du côté ventral (e, i). Les embryons ont été fixés au début du stade gastrula et traités hybridation in situ avec des sondes chordin (c–f) et goosecoid (gsc) (g–j) pour déterminer l’effet sur leur domaine d’expression. L’arc relatif du domaine d’expression a été déterminé. f, j Graphiques résumant toutes les mesures des tailles relatives (%) des domaines d’expression. Source : https://bmcbiol.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12915-018-0483-x

L’inhibition des BMP ne suffit cependant pas pour réaliser l’induction neurale. Il faut aussi activer la voie FGF à un stade précoce dans les cellules de l’ectoderme (Delaune et al., 2005).

*La voie de signalisation FGF est nécessaire pour l’induction neurale (et pour la formation des muscles). (A) Les embryons sont incubés dans des concentrations croissantes de SU5402 depuis le stade 4 cellules. (B-C) Pour certains des stades indiqués avec les mêmes légendes qu’en A, on réalise une immunohistochimie avec un anticorps 12.101 reconnaissant un antigène musculaire et avec un anticorps anti-NCAM qui est exprimé dans le tissu neural. Source : https://journals.biologists.com/dev/article/132/2/299/42857/Neural-induction-in-Xenopus-requires-early-FGF

La signalisation FGF peut contribuer à inhiber les SMAD en aval du récepteur des BMP par phosphorylation. Via ERK, elle peut aussi directement activer l’expression des gènes impliqués dans la formation de la plaque neurale tels que Sox2 et Zic3 (Marchal et al., 2009).

Des mécanismes similaires à ceux du xénope ont été découverts chez le poisson-zèbre avec quelques différences toutefois (Tuazon et Mullins, 2015; Zinski et al., 2017). Chez le poisson zèbre, le bouclier embryonnaire est un tissu équivalent à la lèvre dorsale du blastopore de l’embryon de xénope. La transplantation du bouclier embryonnaire dans la face ventrale d’un embryon de poisson zèbre entraîne également la formation d’un axe dorsal secondaire avec une structure de tête complète (Saude et al., 2000). Dans la blastula de poisson zèbre, les membres de la sous-famille BMP, BMP2b, BMP4, BMP7a et Spinhead sont exprimés dans la face ventrale. BMP4 n’est pas nécessaire pour le développement ventral, tandis que les trois autres membres BMP sont essentiels pour un développement correct de l’axe DV. La signalisation de la β-caténine et la signalisation nodale (Ndr1 / Ndr2) agissent ensemble pour activer l’expression des antagonistes à BMP comme chordine et noggin dans la marge dorsale, ce qui empêche les ligands BMP d’agir du côté dorsal. La signalisation FGF réprime l’expression des gènes BMP et augmente l’expression de Chordine et de Noggin. Admp et BMP2b sont également exprimés dans la marge dorsale, neutralisant ainsi les Chordine et Noggin locaux (Xue et al., 2014; Yan et al., 2019). On se retrouve avec un système avec de multiples régulations croisées qui permet d’apporter de la robustesse à cette étape cruciale du développement.

***Régulations croisées pour mettre en place l’axe dorso-ventral chez le poisson-zèbre. Pinhead est un ligand des récepteurs BMP exprimé ventralement (mais il n’est pas piégé par Chordine contrairement aux ligands BMP classiques). L’expression de Pinhead et ADMP est réprimée l’une par l’autre et par les voies BMP/Smad. La boucle de rétroaction négative entre les signaux Pinhead/ADMP et BMP joue un rôle important comme un tampon contre les fluctuations de la signalisation BMP dynamique pendant la formation de l’axe DV. Par exemple, si BMP baisse, l’expression de Pinhead et de ADMP va augmenter et contenir l’action de Chordine. Source : https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.aau6455

Le gène orthologue de Chordine chez la drosophile s’appelle short gastrulation (sog) (Biehs et al., 1996). L’injection de l’ARNm de sog induit du tissu neuronal à la fois dans les embryons de xénope et de même pour la surexpression de Chordine chez la drosophile (Holley et al., 1995). Sog s’oppose à l’action de Dpp qui est l’orthologue de BMP chez la drosophile. La mise en place de l’axe DV a donc été conservée au cours de l’évolution et était présente chez l’ancêtre commun entre la Protostomiens et les Deutérostomiens.


La signalisation Wnt/β-caténine joue un rôle clé dans la structuration antéro-postérieure (AP) de la plaque neurale du xénope où un gradient de signalisation favorise le destin postérieur lorsque la signalisation est forte. Lorsque des constructions d’ADN Wnt8 qui sont exprimés uniquement dans la gastrula sont injectées dans des embryons, les structures céphaliques sont réduites. Une forte activité Wnt inhibe donc le développement de la tête (Kiecker et Niehrs, 2001), un rôle conservé au cours de l’évolution (Niehrs, 2010). Toute une batterie d’antagonistes de Wnt ou d’inhibiteurs de Wnt liés à la membrane sont exprimés dans l’organisateur de Spemann et/ou le neuroectoderme potentiel lui-même pour favoriser la fonction d’organisateur et pour régionaliser la plaque neurale. Le facteur de transcription Goosecoid qui est un marqueur classique de l’organisateur de Spemann inhibe directement l’expression de XWnt8 (Yao et Kessler, 2001).

*Goosecoid (Gsc) stimule la formation de la tête en agissant en tant que répresseur de la transcription. (A) Schéma des constructions de fusion de Gsc. Une région C-terminale de Gsc (résidus 128-244), contenant l’homéodomaine (HD), a été fusionnée au répresseur Engrailed (résidus 1-298) (Eng-Gsc) ou à l’activateur VP16 (résidus 410-490) (VP16-Gsc). Au stade de quatre cellules, un blastomère ventral (C,E,G) ou deux blastomères dorsaux (B,D,F,J,K) ont été injectés avec 150 pg d’ARNm de Gsc (B,C), 150 pg d’ARNm de Eng-Gsc (D,E) ou 500 pg d’ARNm de VP16-Gsc (F,G,J,K). Une hybridation in situ pour Otx2 (H,J) ou En2 (I,K) et une immunohistochimie avec l’anticorps musculaire 12/101 (H,J) ou l’anticorps contre un marqueur de la notochorde Tor 70 (I,K) ont été réalisées pour évaluer le développement axial et neural des embryons injectés ou non injectés (Contrôle) de VP16-Gsc. Les pointes de flèches blanches indiquent un axe secondaire partiel (C,E) ou une glande cémentaire (structure la plus antérieure de la tête) (B,D). Les pointes de flèches noires indiquent la coloration des muscles (H,J) ou de la notochorde (I,K). Les flèches noires indiquent la coloration liée à l’expression d’Otx2 (H) ou d’En2 (I,K). Barre d’échelle : 0,5 mm. Source : https://journals.biologists.com/dev/article/128/15/2975/41259/Goosecoid-promotes-head-organizer-activity-by

Il y a aussi activation de l’expression de protéines qui inhibent la voie Wnt. Citons Cerberus, Frzb, Dkk1, Shisa, Tiki, Notum, Angptl4, et Bighead (Cruciat et Niehrs, 2013 ; Zhang et al., 2015, Kirsch et al., 2017, Ding et al., 2018). L’action de ces inhibiteurs est nécessaire pour former les parties les plus antérieures du cerveau (télencéphale et diencéphale).

*La protéine Cerberus inhibe trois voies de signalisation. Nommée d’après le chien à trois têtes qui gardes les Enfers selon la mythologie gréco-romaine pour sa capacité à former des têtes ectopiques lorsqu’elle est surexprimée, cette protéine inhibe trois voies de signalisation : Wnt, BMP et Nodal.
*Chordine et Cerberus sont nécessaires pour la formation de la tête. Des embryons de xénope sont injectés avec des morpholinos (MO) qui inhibent la production de Chordine (Chd-MO) ou de Cerberus (Cer-Mo). On les laisse se développer jusqu’au stade bourgeon caudal. Chordine et Cerberus sont chacun nécessaires pour la formation de la tête. L’absence des deux aboutit à des embryons sans axes définis. Le côté antérieur est à gauche. Source : https://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.0020092

La surexpression des gènes comme Cerberus, Dkk1 ou Frzb aboutit à des têtes hypertrophiées ou même à des têtes ectopiques. Dkk1 ou Dickkopf-1 est un ligand de haute affinité pour LRP6, le co-récepteur de Wnt (aux côtés de Frizzled). La fixation de Dkk1 empêche Wnt d’interagir avec LRP6 et donc Dkk-1 est un antagoniste de la voie Wnt (Bafico et al., 2001).

Régionalisation le long de l’axe antéro-postérieur

Nous venons de voir que l’inhibition de la voie Wnt était nécessaire pour former la partie antérieure de la tête. Sans cette inhibition, l’expression du gène Otx2 qui marque les structures les plus antérieures du tube neural n’est pas activée.

L’activation de la voie Wnt pour former des structures plus postérieures est requise. Notamment, la signalisation Wnt stimule l’expression de Gbx2 qui inhibe l’extension de Otx2 et le cantonne dans les régions les plus antérieures (Li et al., 2009; Inoue et al., 2012). Mais la signalisation Wnt n’est pas suffisante. Il faut aussi que les FGF puissent agir. Des calottes animales de xénope donnent du système nerveux plutôt antérieur si on les incube avec des inhibiteurs de la voie BMP et il faut les incuber en plus avec des FGF pour obtenir des structures postérieures. Les FGF agissent en tant que morphogènes : plus leur concentration est élevée, plus les structures induites sont postérieures.

*FGF est un morphogène postériorisant. Des calottes animales de xénope sont dissociées pour induire des structures neurales et ensuite soumises à différentes concentrations de bFGF (=FGF2). Les ARNm sont extraites des calottes et soumises à une RT-PCR pour les gènes indiqués (dont le patron d’expression sur l’axe AP est indiqué en A) : XeNK-2, En-2 (=Engrailed-2), XlHbox1 (=Hoxc6), XlHbox6 (=Hoxc9). EF1alpha est utilisé comme contrôle. Source : https://journals.biologists.com/dev/article/121/9/3121/38848/bFGF-as-a-possible-morphogen-for-the

On constate que des doses moyennes et fortes induisent l’expression des gènes Hox. Pour ce faire, la signalisation FGF active l’expression des gènes de la famille Cdx.

L’acide rétinoïque agit également et postériorise les structures en activant aussi des gènes Hox.

*Régionalisation antéro-postérieure du tube neural. Embryon de poulet au stade 8 somites. Le domaine d’expression du marqueur antérieur Otx2 et le domaine d’expression de Gbx2 sont précisés. La voie Wnt est activée dans le cerveau postérieur (mais son action est inhibée dans le cerveau antérieur). L’acide rétinoïque est actif dans la région la plus postérieure du cerveau et la partie antérieure de la moelle épinière. Les FGF forment un gradient avec une plus forte expression dans la région postérieure. Ils sont cependant présents dans la région la plus antérieure (l’ANR ou Apical Neural Ridge) et régionalisent localement le télencéphale et aussi présents à la frontière entre le mésencéphale et le rhombencéphale mais là aussi leur action est locale. Inspiré de Millet et al., 1996.

Le contrôle par les gènes Hox de l’identité des segments le long de l’axe AP a été mis en évidence chez la drosophile et les gènes orthologues ont été découverts chez les Vertébrés. Mais entre l’ancêtre commun des Vertébrés et des Protostomiens, il y a eu une double duplication du génome dans la branche qui mène aux Vertébrés. Là, où il y a un gène chez la Drosophile, il y en a (théoriquement) 4 chez les Vertébrés. A cause des redondances fonctionnelles, certains des gènes issus de ces duplications ont été délétés ou transformés en pseudogènes.

*Complexes homéotiques chez la drosophile et chez les Mammifères. Les gènes orthologues sont indiqués de la même couleur. Le gène orthologue à Abd-B des Deutérostomiens a eu de multiples duplications avant la double duplication du génome des Vertébrés qui a affecté l’ensemble des gènes Hox. D’après https://www.hindawi.com/journals/bmri/2014/591374/

Les redondances résiduelles rendent aussi plus difficiles les analyses fonctionnelles et il faut souvent avoir recours à des doubles ou à des triples mutants pour obtenir un phénotype significatif (Wellick et Capecchi, 2003).

*Les triples mutants Hoxa10-/-;Hoxc10-/-;Hoxd10-/- et Hoxa11-/-;Hoxc11-/-;Hoxd11-/- présentent des antériorisations de l’identité des vertèbres. Dans le premier cas, toutes les vertèbres lombaires sont transformées en vertèbres sacrées et dans le deuxième cas, toutes les vertèbres sacrées sont transformées en vertèbres lombaires. D’après https://www.science.org/doi/10.1126/science.1085672

La même règle de colinéarité que chez la drosophile s’applique chez les Vertébrés. Plus le gène est en 5′ dans le complexe, plus son domaine d’expression est postérieur.

**Application de la règle de colinéarité lors de la spécification de l’identité des rhombomères dans le rhombencéphale. Vue sagittale du cerveau postérieur subdivisé en 12 segments transversaux : territoires de l’isthme et du r1 (r0-r1), 5 rhombomères morphologiquement distincts (r2-r6), et 5 crypto-rhombomères (r7-r11) le long de l’axe AP. En dessous, profil d’expression des gènes Hox corrélé aux limites intersegmentaires et aux limites transversales des noyaux des nerfs crâniens. V, noyau moteur du trijumeau ; VII, noyau moteur du visage ; VIII, noyaux vestibulocochléaires ; VIIIn, VIIIe nerf crânien ; X, noyau moteur vagal dorsal ; XII, noyau moteur hypoglosse ; Amb, noyau moteur ambigu ; AP, Area postrema ; AVCN, Anteroventral cochlear nucleus ; DCN, noyau cochléaire dorsal ; dcn, noyaux de la colonne dorsale ; DLL, noyau dorsal du lemniscus latéral ; ILL, noyau intermédiaire du lemniscus latéral ; PVCN, noyau cochléaire postéroventral ; RAmb, noyau rétroambigu ; SOC, complexe olivaire supérieur ; VLL, noyau ventral du lemniscus latéral. Source : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fncir.2017.00018/full

Chez les Vertébrés, l’expression des gènes Hox posent des frontières conservées au cours de l’évolution. Par exemple, la limite d’expression antérieure de Hoxc6 correspond à la transition entre les vertèbres cervicales et les vertèbres thoraciques, quelque soit le nombre de vertèbres cervicales ou thoraciques chez les différentes espèces (Böhmer, 2017). Cette limite d’expression est notamment nettement plus postérieure chez les Oiseaux que chez les Mammifères, les Oiseaux ayant en général deux fois plus de vertèbres cervicales que les Mammifères.

L’action des gènes Hox sur l’identité des vertèbres se passe très tôt. les vertèbres dérivent du sclérotome en provenance des somites mais la détermination de l’identité des vertèbres a lieu dans le mésoderme pré-somitique, avant même la formation des somites. En effet, si on transplante le mésoderme présomitique qui donne normalement des vertèbres thoraciques dans la région du mésoderme présomitique d’un autre embryon qui donne des vertèbres cervicales, le greffon donnera toujours des vertèbres thoraciques, même dans ce nouvel environnement (Kieny et al., 1972). C’est le signe que la détermination a déjà eu lieu.

Comme chez la drosophile, des gains-de-fonction des gènes Hox postériorisent les structures et les perte-de-fonction les antériorisent. Dans le rhombencéphale, si on élimine toute l’action des gènes Hox en réalisant une perte-de-fonction de Pbx qui est un partenaire essentiel pour que les protéines Hox trouvent leur séquence cible sur l’ADN, tout le rhombencéphale ressemble au rhombomère 1, qui est le rhombomère par défaut (Waskiewicz et al., 2002). La spécification des rhombomères plus postérieurs nécessite le bon fonctionnement des facteurs de transcription Hox.

A cela s’ajoute chez les Vertébrés une colinéarité temporelle, plus le gène est en 5′ dans le complexe plus il est exprimé tardivement. Chez la souris, les premiers gènes Hox (en 3′ du complexe) sont exprimés à partir de E7 et les derniers (en 5′ du complexe) sont exprimés à partir de E9. Cette activation séquentielle doit être coordonnée avec la production elle aussi séquentielle de nouvelles structures telles que les somites à partir du mésoderme présomitique (Noordermer et al., 2014).

Les gènes Hox des groupes de paralogie 1 à 8 spécifient les régions qui ont été directement affectées par la ligne primitive alors que les gènes Hox des groupes de paralogie 9 à 13 spécifient les régions qui sont dépendantes des progéniteurs neuromésodermiques bipotents (NMP) du bourgeon caudal qui « terminent » la croissance de l’axe dans la région la plus postérieure de l’embryon après la gastrulation. Les NMP peuvent adopter un destin neural en inhibant l’expression de Brachyury et en maintenant l’expression de Sox2. À l’inverse, les NMP acquérant le destin du mésoderme conservent l’expression de Brachyury, et inhibent l’expression de Sox2, tout en augmentant l’expression de Tbx6 et Msgn1, devenant des cellules progénitrices mésodermiques. Cette deuxième partie de l’élongation de l’embryon le long de l’axe AP montre un ralentissement par rapport à la première partie et les gènes Hox paralogues 9 à 13 sont responsables de ce ralentissement qui aboutit au bout du compte à l’arrêt de la croissance en longueur. Ces gènes Hox inhibent avec de plus en plus de force l’activité de la voie Wnt qui est postériorisante. Cela aboutit à l’extinction de l’expression de Brachyury (Denans et al., 2015).

Lin28a est une protéine qui se fixe sur des ARN et qui, notamment, empêche la maturation du microARN Let-7. Chez la souris, Lin28a est nécessaire pour que les gènes Hox postérieurs ne soient pas activés trop tôt. Chez la souris Lin28a-/-, parmi d’autres gènes Hox, le gène Hoxc13 est exprimé trop tôt, ce qui résulte en un arrêt prématuré de la croissance de l’axe AP. L’activation plus précoce d’autres gènes Hox provoquent des postériorisations de vertèbres typiques des gains de fonctions de gènes Hox.

**Postériorisation de l’axe AP chez le mutant Lin28a-/- chez qui les gènes Hox sont exprimés plus précocement. Vertèbres C = cervicales, T = thoraciques, L = lombaires, S = sacrées, Ca = caudales. Source : https://elifesciences.org/articles/53608

Lin28a agit via la répression de Let-7 qui selon des voies encore inconnues aboutit à ce que les protéines du complexe répresseur de type Polycomb PRC1 ne soient pas aussi présentes sur les séquences régulatrices des gènes Hox, aboutissant à leur expression plus précoce (Sato et al., 2020). Le complexe Polycomb PRC1 et aussi le complexe PRC2 ont également pour rôle de maintenir réprimé à long terme l’expression des gènes Hox « inappropriés » pour une région donnée de l’embryon puis après l’éclosion/la naissance. Le modèle classique d’inhibition de la transcription par les complexes Polycomb implique le recrutement initial de PRC2, qui dépose méthyle triplement H3K27, suivi du recrutement de PRC1 via sa sous-unité de liaison à H3K27me3, conduisant à l’ubiquitylation de H2A qui est une marque épigénétique répressive (Wang et al., 2004).

***Principaux composants des complexes Polycomb PRC1 et PRC2. Le complexe répressif PRC1 comprend des paralogues interchangeables pour les quatre sous-unités principales : 3 de Polyhomeotic (PH), 5 de Polycomb (PC), 2 de Sex Comb Extra (SCE) et 6 de Posterior Sex Comb (PSC). Ensemble, les sous-unités SCE et PSC correspondent au complexe catalytique de type ubiquitine ligase E3 de PRC1 (bord pointillé). Le complexe répressif PRC2 se compose des sous-unités centrales EZH1/2, SUZ12, EED et RbAp46/48, avec EZH1/2 (bord pointillé) possédant l’activité catalytique méthyltransférase de PRC2. Source : https://www.mdpi.com/1422-0067/22/6/2976

Tout ce qui vient d’être expliqué pour la mise en place des axes est mis en application lorsqu’il s’agit de différencier des cellules in vitro à partir de cellules souches pluripotentes telles que les cellules iPS. La succession des molécules de signalisation ajoutés dans les milieux est inspirée des signaux présents dans l’embryon (Petros et al., 2011).

**Voies de signalisation successivement activées ou inhibées pour obtenir des neurones d’un type précis à partir de cellules souches pluripotentes. On commence d’abord par inhiber les BMP pour mimer l’induction neural dans un contexte avec peu de signalisation Wnt et en présence de FGF. Puis les progéniteurs neuraux obtenus sont soumis à des protocoles de régionalisation avec une inhibition des BMP et des Wnt pour produire des neurones antérieurs, avec l’addition de FGF8 pour produire des neurones proches de la frontière mésencéphale/métencéphale (isthme) et avec l’addition d’acide rétinoïque pour produire des neurones des régions postérieurs. Ensuite, Shh est ajouté si on souhaite obtenir des neurones ventraux. La cyclopamine inhibe la signalisation Shh pour obtenir des neurones dorsaux (nécessaire seulement que pour obtenir des neurones dorsaux télencéphaliques). α = anti- . Source : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnmol.2011.00030/full

L’axe droite-gauche

Dans l’embryon de souris, la rupture de la symétrie gauche-droite (GD) est déclenchée à 7,75 jours après la fécondation (E7.75) par un écoulement du liquide extracellulaire vers la gauche dans le nœud de Hensen, une cavité embryonnaire sur la ligne médiane. Le flux de fluide vers la gauche, appelé flux nodal est généré par un mouvement de rotation dans le sens des aiguilles d’une montre des cils nodaux (il y en a 200 environ). Ils sont inclinés vers le côté postérieur et effectuent des mouvements dits efficaces vers la gauche et de récupération vers la droite, entraînant un flux net vers la gauche. L’orientation particulière de ces cils est la conséquence de la polarité cellulaire planaire (PCP) dans les cellules épithéliales qui les portent, causée par la distribution de Vangl1 et Prickle au pôle antérieur des cellules et de Dvl au pôle postérieur (Antic et al., 2010).

**Nœud de Hensen d’un embryon de souris vu en microscopie électronique à balayage. Notez les cils sur les cellules. Barre d’échelle : 20 μm. Source : https://www.nature.com/articles/ncomms1624
**Distribution de la vitesse du flux nodal dans les embryons de souris aux stades EHF (pour early headfold, apparition du repli de la tête) à E7,5 et au stade 2 somites (2-soms) à E7,75. Les flux sont observés grâce au déplacement de microbilles fluorescentes d’un diamètre de 0,2 μm. Le côté gauche est à droite sur la représentation. Source : https://www.nature.com/articles/ncomms1624

Deux hypothèses principales pour le mécanisme d’action du flux dans la détermination de GD dans l’embryon de souris ont été proposées. Le modèle à deux cils suggère que deux populations de cils nodaux existent dans le nœud de Hensen: les cils mobiles au centre génèrent le flux vers la gauche, tandis que les cils immobiles dans la région périphérique détectent le flux par stimuli mécaniques (Shinohara et al., 2012). L’autre modèle propose que le flux vers la gauche transporte des vésicules submicrométriques (NVP) qui contiennent Sonic hedgehog et de l’acide rétinoïque, qui activent des gènes spécifiques du côté gauche. Quel que soit le mécanisme, il s’ensuit que la voie de signalisation Nodal est activée spécifiquement à gauche. Dans les cellules de ce côté du nœud de Hensen, il y a une entrée de Ca2+ dans le cytoplasme qui active une cascade de transduction aboutissant à l’inhibition de l’inhibiteur de la voie Nodal, Dand5 (aussi appelé Cerl2). Les ARNm de Dand5 sont dégradés plus rapidement sous le l’action de la protéine Bicc1 activée par le Ca2+ (Nakamura et al., 2012Maerker et al., 2021). La voie de signalisation Nodal peut ainsi agir et activer la transcription de Pitx2 (Yoshioka et al., 1998).

**Signalisation spécifique à gauche chez l’embryon de souris. A quelques petites variations près, le réseau est similaire dans d’autres modèles. Sous l’influence de Sonic Hedgehog qui est transporté à gauche, l’expression du Nodal y est activée qui active à son tour l’expression de Pitx2 dans le mésoderme des lames latérales gauches. Nodal active l’expression de Lefty-1 dans le tube neural qui est capable de séquestrer Nodal et de l’empêcher de diffuser vers la droite. N = nœud de Hensen. Source : https://www.mdpi.com/2308-3425/4/4/16/htm

LIEN VERS LE GLOSSAIRE