Par Patrick Pla, Université Paris-Saclay
La croissance et le guidage des axones sont des étapes essentielles pour la mise en place des réseaux neuronaux. L’identité d’un neurone dépend fondamentalent à quelle cible il est connecté. Les axones ont une épaisseur comprise entre 0,1 et 15 µm mais peuvent avoir une longueur qui dépasse le mètre, ce qui implique un important contrôle de leur croissance sur un trajet qui peut être très long. L’étude de ces processus peut être aussi utile pour pouvoir stimuler la régénération axonale après une blessure.
- Rôle du cytosquelette
- Une intégration de signaux attractifs et répulsifs
- Traduction locale et stabilité protéique dans les cônes de croissance
- La mise en place des ramifications
Rôle du cytosquelette
Les signaux qui contrôlent croissance et guidage des axones activent des cascades de signalisation qui mènent très souvent à des modifications du cytosquelette. Le guidage axonal peut être considéré comme un cas particulier de migration avec le corps cellulaire qui ne bouge pas et seulement l’avant de l’axone qui se déplace (cône de croissance). C’est pourquoi on trouve de nombreuses structures cellulaires ou acteurs moléculaires en commun entre croissance axonale et migration cellulaire (dont le cytosquelette et les protéines associées).
L’extrémité des axones forme des cônes de croissance, soutenus par un réseau dynamique de microfilaments et de manière plus limitée, de microtubules. La polymérisation et la dépolymérisation cycliques des filaments d’actine dans le cône de croissance sont nécessaires pour générer la force mécanique qui provoque l’allongement axonal. Les cones de croissance présentent une structure similaire aux lamellipodes des cellules migrantes avec également des filopodes.

La stabilisation des microfilaments d’actine dans les filopodes est un élément essentiel qui va faire « tourner » le cone de croissance vers un signal attractif. Les microtubules locaux doivent aussi être stabilisés car leur fonction de « rails » pour le transport permet d’apporter les éléments nécessaires à la reponse du cone de croissance à son environnement. L’importance de la stabilisation des microtubules est aussi montrée par le fait que de faibles doses de molécules stabilisatrices comme le taxol ou les épothilones facilitent la régénération axonale et la restauration fonctionnelle dans un modèle de blessure à la moelle épinière chez le rat. L’inhibition de la fidgétine qui est une enzyme qui détruit les microtubules a le même effet (Matamaros et al. 2019).
Les deux réseaux cytosquelettiques sont coordonnés par des protéines comme la Formine-2 qui stimule la polymérisation de l’actine, tout en stabilisant les microtubules dans les cones de croissance. La Formine-2 y interagit à la fois l’actine et avec les tubulines et cette interaction est importante pour des changements de direction des cones de croissance (Kundu et al., 2021). Des mutations perte-de-fonction du gène codant la Formine-2 sont associées à des retards mentaux et des déficiences sensoriels, probablement en association avec cette fonction coordinatrice (Law et al., 2014, Marco et al., 2018).

La croissance axonale ne doit pas non plus être trop excessive car les axones ne doivent pas « dépasser » leurs cibles et ne pas former trop de branchements. Par exemple, la protéine Efa6 inhibe la formation des microtubules et est nécessaire à ce que les axones aient une bonne longueur (Qu et al., 2019).

Exemples de neurones primaires de drosophile cultivés 6 heures in vitro (A–C), observés en immunofluorescence pour l’actine (magenta) et la tubuline (vert) ; les neurones sont soit des témoins de type sauvage (A), soit déficients en Efa6 (B), soit exprimant Efa6-FL :: GFP ce qui correspond à une surexpresssion (C) ; les astérisques indiquent les corps cellulaires, les flèches pointent vers les extrémités des axones ; Barre d’échelle en C = 10 µm. Quantification des longueurs d’axones (D). Les différents génotypes sont codés par couleur : gris, témoins de type sauvage ; bleu, différentes conditions de perte de fonction Efa6 ; vert, neurones surexprimant Efa6. Source : https://elifesciences.org/articles/50319
En amont des éléments du cytosquelette et tout particulièrement des microfilaments d’actine, on retrouve les petites GTPases Rho, Rac et Cdc42. Récemment, une forme photoactivable de Rac a pu être exprimée in vivo dans des cônes de croissance de motoneurones de poisson-zèbre et la croissance des axones correspondants a pu être contrôlé par la lumière. La photoactivation de Rac a même permis de surmonter des signaux repulsifs et de faire passer des axones par des régions où ils ne peuvent pas pénétrer habituellement (Harris et al., 2020).
Une intégration de signaux attractifs et répulsifs
Les cônes de croissance peuvent recevoir des instructions attractives ou répulsives :
- par paracrinie (ligands solubles) : par exemple, la nétrine-1, agissant par l’intermédiaire des récepteurs de la famille DCC, favorise la croissance des axones et médie l’attraction; les protéines Slit, d’autre part, sont des signaux répulsifs qui agissent à travers les récepteurs de la famille Robo (Robo1 et Robo2; Notez que Robo3 est une forme particulière qui ne se lie pas à Slit et qui agit comme un dominant-négatif sur les 2 autres récepteurs Robo, c’est-à-dire qu’il inhibe la répulsion (Sabatier et al., 2004)).
- par juxtracrinie (ligands transmembranaires) : Par exemple, les interactions impliquant les éphrines.


Les sémaphorines sont également impliquées dans le guidage axonal par juxtacrinie, même si certaines formes peuvent être secrétées et participer à la signalisation paracrine. Elles peuvent en effet être transmembranaires, ou associées à la membrane par une queue de glycosylphosphatidylinositol (GPI) mais aussi solubles.

Les sémaphorines se lient aux protéines transmembranaires plexines et neuropilines. La signalisation activée par les sémaphorines au cours du développement est fondamentale pour la formation et l’organisation des circuits neuronaux. En effet, son dérèglement est lié à des maladies du développement du système nerveux telles que l’autisme et la schizophrénie (Gilabert-Juan et al., 2015, Mosca-Boidron et al., 2015).
Prenons un exemple avec un ligand soluble (paracrinie). Nell2 (neural epidermal growth factor (EGF)-like-like 2, initialement identifiée chez le poussin et nommée « Nel ») est une glycoprotéine extracellulaire qui présente des similitudes structurelles avec la thrombospondine 1 et qui est principalement exprimée dans le système nerveux. Nell2 est exprimé dans la région dorso-médiale du dLGN, qui correspond au territoire du thalamus recevant les axones RGC ipsilatéraux (c’est-à-dire dont le corps cellulaire est du même côté (côté droit par exemple)). Des analyses de traçage d’axones in vivo ont montré que le régionalisation spécifique de la projection des RGC est perturbée chez les souris Nell2 knock-out (Nell2−/−) : les axones RGC controlatéraux envahissaient anormalement le domaine ipsilatéral du dLGN, alors que les axones ipsilatéraux se terminaient par des plaques partiellement fragmentées, formant ainsi un motif en mosaïque de zones de terminaison d’axones controlatéraux et ipsilatéraux. In vitro, Nell2 induit un effondrement du cône de croissance et provoque une répulsion dans les axones RGC controlatéraux, mais pas ipsilatéraux. Cette inhibition spécifique de l’axone controlatéral a été observée à la fois dans les RGC de type sauvage et Nell2-/-. Ces résultats prouvent que Nell2 agit comme une molécule de guidage inhibitrice spécifique des axones RGC controlatéraux et les empêche d’envahir le territoire ipsilatéral du dLGN (Nakamoto et al., 2019).

Un même récepteur peut être capable d’intégrer des signaux attractifs et répulsifs. Néogénine (NEO1), un récepteur à un domaine transmembranaire de la superfamille des Ig, est capable de se lier à la Nétrine-1 (qui est généralement attractrice) et à RGM (qui est répulsive). L’interaction RGM/NEO1 aboutit à l’activation de la petite GTPase Rho et à la rétraction du cône de croissance. En présence des 2 ligands, il se forme un trimère Nétrine-1/RGM/NEO1 ce qui a pour conséquence d’inhiber les effets de chacun des ligands (Robinson et al., 2021).
Les facteurs attracteurs ou répulsifs peuvent agir sur les interactions cône de croissance-matrice extracellulaire (MEC) qui sont importants pour la croissance et le guidage axonal. Par exemple, la Sémaphorine-3A (sema3A) qui agit via des récepteurs Neuropiline/Plexine peut diminuer l’état d’activation de l’intégrine β1 (c’est-à-dire diminuer ses capacités à interagir avec la MEC) et promouvoir le désassemblage des points focaux d’adhérence contenant la paxilline (Bechara et al., 2008). Ces points focaux sont des éléments essentiels de la motilité où la cellule prend appui sur la MEC pour avancer. Leur désassemblage constitue donc un frein majeur à la croissance axonale dans une région où il y a de la Sémaphorine-3A.

Les molécules intervenant dans la polarité planaire (PCP) peuvent également intervenir :
* soit de manière cellulaire-autonome comme dans le cas des neurones commissuraux où Frizzled3 et Vangl2 (deux membres de la voie Wnt/PCP) sont nécessaires dans les axones pour qu’ils tournent antérieurement après avoir atteint la région médiane sagittale (Lyuksyutova et al., 2003; Schafer et al., 2011)

* soit de manière non cellulaire-autonome où c’est l’environnement des axones en croissance qui doit avoir une polarité planaire correcte (cas des axones des neurones du ganglion spiral de type II dans la cochlée) (Ghimire et al., 2018).

Un exemple classique : les neurones commissuraux lors du développement de la moelle épinière
Par définition, les neurones commissuraux ont leur axone qui passe du côté contralatéral. La classe la plus dorsale des neurones commissuraux de la moelle épinière, les neurones dI1, a été largement étudiée en ce qui concerne le guidage de leur axone vers la région la plus ventrale du tube neural : la plaque du plancher. Ces axones traversent ensuite la ligne médiane et tournent vers l’avant à la sortie de la plaque du plancher du côté controlatéral. Pour cette population particulière d’axones, des molécules de guidage et des récepteurs contrôlant toutes les étapes de ce processus de navigation ont été identifiés et comprennent des attractifs et des répulsifs à longue portée, ainsi que des éléments de guidage à courte portée.

Traduction locale et stabilité protéique dans les cônes de croissance
La production locale de protéine par une traduction d’ARNm spécifiques transportés dans les cones de croissance est un élément essentiel.

Du reticulum endoplasmique est aussi transporté vers les cones de croissance et les ribosomes peuvent s’accrocher dessus pour la traduction de protéines transmembranaires ou sécrétées. Par exemple, dans les motoneurones en développement, la traduction locale aux cones de croissance est stimulée par des facteurs neurotrophiques comme le BDNF (qui agit via son récepteur TrkB) (Deng et al., 2021).

Des signaux attracteurs tels que la nétrine-1 (via le récepteur DCC), le BDNF (via le récepteur TrkB) et le NGF (via le récepteur TrkA) induisent la synthèse locale de composants cytosquelettiques tels que la β-actine (Leung et al. 2006, Willis et al. 2007, Yao et al. 2006). En revanche, des signaux répulsifs tels que Sema3A (via les récepteurs Nrp1/PlexinA) et Slit2 (via le récepteur Robo2) induisent la traduction de régulateurs négatifs du cytosquelette tels que RhoA et la cofiline, entraînant un effondrement du cône de croissance (Piper et al. 2006).
La synthèse mais aussi la dégradation des protéines est un paramètre important pour la croissance et le guidage axonal. Le système ubiquitine-protéasome permet de diminuer rapidement la quantité d’une protéine donnée dans le cone de croissance, ce qui permet de répondre rapidement à des signaux. Par exemple, une activité normale du protéasome dans les axones en croissance de cellules ganglionnaires rétiniennes est nécessaire pour que la nétrine puisse repousser ces axones (Campbell et Holt, 2001). L’ubiquitine ligase Cdh1-APC qui est connue pour jouer un rôle lors de la mitose (et notamment le déclenchement de l’anaphase) joue un rôle important dans la croissance axonale (Konishi et al., 2004). Elle agit non seulement dans le cone de croissance mais aussi dans le noyau où elle cible SnoN, un co-répresseur transcriptionnel (Stegmüller et al., 2006). SnoN stimule la croissance axonale dans les cellules granulaires du cervelet et donc l’action de Cdh1-APC module et limite la croissance axonale de ces neurones.

La mise en place des ramifications
La plupart des neurones développent plusieurs branches à partir de leurs axones uniques pour établir des connexions synaptiques à différentes destinations (Gibson et Ma, 2011 ; Kalil et Dent, 2014).

L’architecture ramifiée se forme en plusieurs étapes, notamment l’initiation, la maturation, la croissance, le guidage et l’élimination des branches, qui sont régulées par des signaux extracellulaires et des activités neuronales (Gibson et Ma, 2011). Les branches peuvent se remodeler par compétition (Lichtman et Colman, 2000 ; Schuldiner et Yaron, 2015) ou en réponse à des blessures (Kerschensteiner et al., 2004 ; Tuszynski et Steward, 2012). Étant donné que chaque branche a des besoins structurels et fonctionnels uniques, les branchements constituent des « points de décision » potentiels pour le transport axonal.
- Adhérence cellule-cellule
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- Axe antéro-postérieur chez la drosophile
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