Par Patrick Pla, Université Paris-Saclay
La métamorphose correspond à un changement radical de mode et de milieu de vie des animaux concernés avec parfois des changements importants du plan d’organisation. Par exemple, les ascidies perdent leur corde et une partie de leur système nerveux. Chez les Echinodermes, la larve pluteus à symétrie bilatérale devient un adulte à symétrie pentaradiée. Il s’agit d’exemples frappants où le même génome est capable d’organiser la morphogenèse de deux organismes aux caractéristiques assez différentes.
Dans ce chapitre, nous allons nous concentrer sur les Insectes et les Amphibiens où la métamorphose a été particulièrement bien étudiée.
La métamorphose chez les Hexapodes
Nous nous concentrerons sur les Insectes holométaboles qui, après plusieurs stades larvaires forment une nymphe qui est le stade où se déroule la métamorphose. Après une dernière mue dite imaginale, l’adulte (ou imago) est capable de se reproduire. Les larves et les adultes ont souvent des morphologies très différentes avec des modes et des milieux de vie également très différents.


De très nombreuses structures sont remaniées lors de la métamorphose, des structures disparaissent complètement et de nouvelles se développent.

Les disques imaginaux
Les disques imaginaux sont des structures qui se mettent en place au cours du développement embryonnaire et qui restent internalisées durant la vie larvaire. Les disques imaginaux ne sont pas forcément composés de cellules quiescentes et certains disques qui donnent de grandes structures comme les pattes ou les ailes présentent une prolifération importante durant les stades larvaires.

Lors de la métamorphose, les disques imaginaux se développent en des structures externes (éversion) typiquements adultes (antennes, yeux, pièces buccales, pattes, ailes, pièces génitales…).
Ce sont des structures aplaties formées de cellules épithéliales ectodermiques.

Le disque imaginal d’aile de la drosophile est un modèle classique de développement, notamment pour la signalisation et pour le rôle des gènes Hox, tout particulièrement Ultrabithorax qui réprime le développement du disque imaginal de l’aile dans le troisième segment thoracique et qui le transforme en haltère chez les Diptères. Les axes de polarité des futures structures sont déjà mises en place dans les disques imaginaux avant la métamorphose.

La signalisation Notch réprime le QE. La croissance de l’aile proprement dite est assurée par la prolifération quasi uniforme de la population de cellules exprimant Vg dépendantes de QE (observée par l’incorporation d’EdU pendant la phase S dans D, turquoise). Source : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2018196117
Dans les disques imaginaux des ailes de drosophile, Hh est sécrété dans le compartiment postérieur (P) et se propage vers le compartiment antérieur (A) (Capdevila et al., 1994 ; Tabata et Kornberg, 1994).

La signalisation Hh ne se produit pas dans les cellules du compartiment P car elles n’expriment pas de composants critiques de la voie Hh, tels que l’effecteur transcriptionnel Ci qui est l’orthologue des facteurs de transcription Gli des Vertébrés (Eaton et Kornberg, 1990). En revanche, les cellules du compartiment A peuvent recevoir et répondre à Hh mais sont incapables de produire Hh. Dans les cellules du compartiment A situées à proximité de la source de production de ligands Hh à la frontière A/P, la signalisation Hh déclenche l’activité de la voie et, par conséquent, une augmentation de la transcription des gènes cibles (Ingham et al., 1991 ; Basler et Struhl, 1994 ; Capdevila et al., 1994 ; Tabata et Kornberg, 1994 ; Chen et Struhl, 1996).

Lors de la métamorphose, on parle d’éversion des disques imaginaux, qui permet de déployer les structures adultes.

Contrôle neurohormonal du déclenchement de la métamorphose
Chez les Insectes, les stades larvaires sont largement consacrés à la nutrition et les phases adultes sont consacrés à la reproduction, quelquefois même exclusivement. La taille du dernier stade larvaire est donc déterminante pour la taille de l’adulte, sachant aussi que celui-ci n’aura plus aucune mue. Les mécanismes neuroendicriniens contrôlant la croissance ont donc un rôle important non seulement dans le déclenchement des mues mais aussi dans le déclenchement de la métamorphose.
L’ecdysone est impliquée dans le contrôle des mues de manière générale (pas seulement la mue nymphale). Elle est produite dans la glande prothoracique par une série de réactions médiées par une oxygénase dite de Rieske appelée Neverland et des enzymes codées par la famille de gènes Halloween qui comprend plusieurs cytochromes P450 et une déshydrogénase/réductase. Une fois libérée dans l’hémolymphe, l’ecdysone est absorbée par plusieurs tissus périphériques, notamment l’intestin, le corps adipeux et les tubules de Malphigi, où elle est convertie en l’hormone active 20-hydroxyecdysone par le produit du gène shade qui code une enzyme à cytochrome P450 (Petryk et al., 2003). La 20-hydroxyecdysone circulante induit alors une réponse génétique systémique dans plusieurs tissus en se liant à un complexe du récepteur de l’ecdysone (EcR) et de l’ultraspiracle, tous deux membres de la famille des récepteurs nucléaires.

L’histoire de la découverte et de la caractérisation de l’ecdysone : En 1954, Peter Karlson et ses collègues purifièrent 25 mg de cristaux d’ecdysone à partir de 500 kg (!) de pupes de vers à soie en utilisant le test biologique Calliphora pour suivre l’activité de l’hormone (Butenandt et Karlson, 1954). Dans une série d’expériences chimiques et d’analyse des cristaux, l’ecdysone a été caractérisée comme une hormone stéroïde (Huber et Hoppe, 1965; Karlson, Hoffmeister, Hummel, Hocks, et Spiteller, 1965). La première preuve que l’ecdysone a un rôle direct dans la régulation de l’expression des gènes était basée sur le gonflement localisé (appelé puff) des chromosomes polytènes des glandes salivaires. Les puffs sont des décondensations de la chromatine à des loci spécifiques sur ces chromosomes géants et correspondent à une activité transcriptionnelle locale. En particulier, il a été constaté que certaines de ces puffs étaient induites rapidement après l’ajout d’ecdysone aux glandes salivaires cultivées du moucheron Chironomus (Clever et Karlson, 1960) et d’autres sont plus lents à apparaître (puffs tardifs en comparaison des puffs précoces). Un traitement concomitant avec un inhibiteur de la synthèse protéique aboutit à l’absence des puffs tardifs mais les puffs précoces se forment. Cela a amené la conclusion que l’ecdysone active d’abord l’expression d’une première batterie de gènes et que leurs produits activent ensuite une seconde batterie.
Chez la drosophile, une seule impulsion d’ecdysone déclenche chacune des deux premières mues larvaires (Warren et al., 2006). Au cours du stade terminal du troisième stade larvaire, trois impulsions de bas niveau suivies d’un pic élevé d’ecdysone initient les changements physiologiques et comportementaux nécessaires pour transformer une larve à la recherche de nourriture en une pupe immobile qui ne s’alimente plus. Bien que les rôles des pics initiaux d’ecdysone de bas niveau ne soient pas complètement compris, le dernier pic important déclenche la nymphose et le début de la métamorphose.

Il existe un lien entre la taille/le poids de la larve et la sécrétion d’ecdysone car le franchissement d’un seuil de poids aboutit à une mue avec un certain délai, même si on ne nourrit plus la larve après ce franchissement (Edgar, 2006; Mirth et Riddiford, 2007; Mirth et Shingleton, 201). Le corps gras détecte les conditions nutritionnelles (notamment le taux d’ATP et la concentration en acides aminés qui activent la voie TOR) et les communique au système nerveux central (SNC) via un signal dérivé du corps gras (FDS). Ce FDS agit sur les cellules neurosécrétoires pour réguler la production de peptides analogues à l’insuline de la drosophile (dILP). Les dILP régulent à leur tour le taux de croissance et la production de l’hormone de mue stéroïde ecdysone (E) par les cellules de la glande prothoracique. L’augmentation artificielle de dILP dans l’hémolymphe provoque un pic d’ecdysone et une métamorphose précoce (Walkiewicz et Stern, 2009).

La production d’ecdysone par la glande prothoracique dépend de la maturation de ce tissu avec des cellules qui doivent devenir polyploïdes grâce à des cycles d’endoréplication. Cette étape est dépendante d’une histone déméthylase, KDM5, qui active (sans doute indirectement via des régulations de la transcription) la voie de signalisation MAPK qui est nécessaire à la production d’ecdysone (Drelon et al., 2019).

La production d’ecdysone dépend aussi de la PTTH, l’hormone pro-thoracicotrope, produite par des neurones du cerveau. Si son rôle est majeur dans des modèles de Lépidoptères comme Manduca sexta, son rôle est moins marqué chez la drosophile où l’abolition de sa sécrétion ne fait que retarder la métamorphose. La production de la PTTH est dépendante de la photopériode ce qui permet d’ajuster la métamorphose au rythme des saisons.
PTTH agit sur la production d’ecdysone en se liant à son récepteur Torso à la surface des cellules de la glande prothoracique. Cela active la voie de signalisation Ras/Raf/ERK. Les dILP agissent en activant la voie PI3K/ Akt. Akt stimule TOR via l’inhibition de TSC1/2 et TOR est aussi directement activé par les acides aminés amenés par la nutrition dans la glande prothoracique (McBrayer et al., 2007). Il y a donc là une boucle d’amplification. Toutes ces voies convergent vers une augmentation de l’expression des gènes Halloween codant des enzymes de la voie de biosynthèse de l’ecdysone (Keightley, Lou et Smith,1990; Niwa et al., 2005; Yamanaka et al., 2007).
Les disques imaginaux sont des structures aplaties dispersées dans la larve et qui assurent la morphogenèse des organes adultes durant la métamorphose. On sait que la lésion expérimentale de ces disques provoque un retard de la métamorphose. Il y a donc un signal qui part des disques imaginaux et qui contrôle la production d’ecdysone. Ce signal a été identifié comme dILP8 qui est un peptide apparenté à l’insuline qui, contrairement aux autres dILP, inhibe la production d’ecdysone dans la glande prothoracique (Colombani et al., 2012; Garelli et al., 2012). Il est produit par des disques imaginaux immatures ou qui n’ont pas encore atteint une taille critique. Il n’agit sans doute pas directement sur la glande thoracique mais via l’inhibition de la production de PTTH.
La 20-hydroxyecdysone agit sur ces cibles via un récepteur dimérique composé du récepteur à l’ecdysone EcR et de Ultraspiracle. EcR tout seul ne peut pas activer l’expression de gènes en présence de son ligand (Billas et al., 2003; Hu et al., 2003). Ultraspiracle est l’orthologue du récepteur RXR à l’acide rétinoïque des Vertébrés. En présence de 20-hydroxyecdysone, EcR recrute la protéine NURF qui est capable de faire glisser des nucléosomes le long de l’ADN et ainsi d’activer la transcription (Badenhorst et al., 2005).

BR-C, E74 et E75 sont des gènes cibles immédiats du dimère EcR/Ultraspiracle, tous codant des facteurs de transcription. E74 permet de produire 2 isoformes qui partagent un même domaine ETS de fixation à l’ADN. E74A est produit quand la concentration d’ecdysone est élevée et E74B est produit quand cette concentration est moyenne ou faible. DHR3 et DHR4 sont aussi des cibles directes mais leur transcription maximale nécessite la présence au moins d’une des 3 protéines précoces.
Le gène ftz-f1 code un récepteur nucléaire agissant dans la cascade de l’ecdysone et est orthologue au facteur stéroïdogène 1 des vertébrés (SF-1). Son expression est activée par E75, DHR3 et DHR4. Deux isoformes de protéines ont été décrites, αFTZ-F1 et βFTZ-F1 qui diffèrent par leur partie N-terminale et sont générés par un site de transcription différent et un épissage alternatif (Lavorgna et al., 1991; Ueda et al., 1990). Alors que αFTZ-F1 est fourni par la mère et joue un rôle essentiel dans l’embryogenèse, βFTZ-F1 est exprimé dans les premiers stades de la formation des pupes (Yamada et al., 2000 ; Yu et al., 1997). Des mutations perte-de-fonction dans βftz-f1 entraînent une létalité juste avant la métamorphose. βftz-f1 fonctionne comme un facteur de compétence pendant le développement prénymphal, garantissant que les réponses au pulse d’ecdysone larvaire précoce soient différentes du pulse prépupal qui a lieu 12 h plus tard.
Parmi les cibles plus tardives de la cascade activée par les ecdystéroïdes, on trouve broad dont le produit est indispensable à la mue nymphale (mais il est inhibiteur de la mue imaginale et son expression est inhibée par la suite) (Zhou et Riddiford, 2002; Zhou et al., 2004).
Durant la métamorphose, l’ecdysone inhibe la signalisation des dILP (les protéines apparentées à l’insuline) qui ont un effet anabolique d’accumulation de réserves. Or la métamorphose est une période d’utilisation des réserves. L’une des protéines dont l’expression est activée directement ou indirectement par l’ecdysone (on ne sait pas encore laquelle) bloque la phosphorylation sur des tyrosines qui accompagne habituellement l’activation du récepteur des dILP.

On a donc une boucle de rétroaction où les dILP stimulent la production d’ecdystéroïdes durant la phase larvaire mais une fois arrivé la métamorphose, les ecdystéroïdes s’opposent à l’action des dILP.
Le franchissement du poids critique lors du dernier stade larvaire aboutit à la chute de la concentration circulante en hormone juvénile qui était toujours présente lors des mues antérieures. Si, expérimentalement, on ajoute de l’hormone juvénile au dernier stade larvaire, la métamorphose est inhibée et selon les espèces, soit une nouvelle mue larvaire a lieu, soit le dernier stade larvaire se maintient au delà de la période habituelle. Cette hormone sesquiterpénoïde est produite dans les corpora allata. L’ecdysone elle-même joue un rôle dans le contrôle de sa production avec de faibles concentrations qui stimule la production d’hormone juvénile et de fortes concentrations qui l’inhibent. Lors du dernier stade larvaire, le taux d’ecdysone chute a des niveaux extrêmement bas, éteignant la synthèse d’hormone juvénile. Les pics d’ecdysone suivants ne sont pas suffisants pour redémarrer cette synthèse et le dernier pic a de toute manière une forte concentration inhibitrice. La production d’hormone juvénile est aussi contrôlée par les connexions nerveuses vers les corpora allata avec des neurones dopaminergiques inhibant la synthèse au dernier stade larvaire (Kaneko et Hiruma, 2007). sNPF est un petit peptide qui est synthétisé dans les corpora cardiaca et transféré dabs les corpora allata au début du dernier stade larvaire et il contribue à éteindre la synthèse d’hormone juvénile (Yamanaka et al., 2008).
L’hormone juvénile inhibe la mue nymphale lors des mues précédentes en agissant via son récepteur, le facteur de transcription Met. L’inhibition de l’expression de Met aboutit à une métamorphose précoce (Konopova et Jindra, 2007; Parthasarathy et al., 2008). Met agit sur la transcription en s’associant à la protéine Taiman (ou SRC). Le complexe active la transcription de Kr-h1 (Krüppel-homolog1) dont le produit inhibe la transcription de broad qui code une protéine nécessaire à la mue nymphale (Kayukawa et al., 2012).
Met peut aussi avoir pour ligand des insecticides de synthèse comme le méthoprène ou le pyriproxyfène qui perturbent le déclenchement de la métamorphose.
Déroulement de la métamorphose
Beaucoup de cellules larvaires subissent une endoréplication où l’ADN est répliqué mais il n’y a pas de mitose (ce phénomène est plus répandu dans le règne végétal que dans le règne animal). Cela permet aux cellules d’avoir de multiples copies des différents allèles et de croître en taille rapidement. Ces cellules sont tuées en priorité lors de la métamorphose et leurs réserves réutilisées.
Beaucoup de tissus spécifiquement larvaires sont détruits durant la métamorphose. L’autophagie joue un rôle important. La macroautophagie qui est la mieux caractérisée implique la séquestration de composants cytoplasmiques et de protéines lysosomes pour la dégradation. Au cours de ce processus, une membrane d’isolement séquestre le matériel cytoplasmique et s’allonge pour former une vésicule à double membrane, l’autophagosome. L’autophagosome se dirige vers le compartiment lysosomal où sa membrane externe fusionne avec les lysosomes et libère le contenu interne pour la dégradation. Les perméases lysosomales recyclent ensuite les produits de dégradation vers le cytoplasme (Mizushima et Komatsu, 2011).
Durant la métamorphose dans l’intestin ou les glandes salivaires de la nymphe, E93 qui figure parmi les cibles des ecdystéroïdes active l’expression d’une batterie de gènes qui stimulent l’autophagie nommés Atg (Lee et al., 2002). L’inhibition de l’autophagie par des mutations de perte de fonction dans Atg1, Atg2 ou Atg18 retarde fortement l’élimination de l’intestin moyen (Denton et al., 2009). De plus, la surexpression d’Atg1 dans l’intestin moyen des larves est suffisante pour induire l’autophagie et une dégradation prématurée (Denton et al., 2012).
L’autophagie est accompagnée par l’apoptose dans les glandes salivaires et l’intestin moyen. En plus d’activer les gènes Atg, les ecdystéroïdes activent l’expression des caspases et de ark qui est l’orthologue de Apaf-1 chez la drosophile.
Le système nerveux subit un remodelage important. Par exemple, les neurones de « mushroom bodies » qui reçoivent l’information olfactive dans le cerveau perdent leurs dendrites et leurs axones et en font croître des nouveaux (Lee et al., 1999), tandis que les neurones sensoriels périphériques C4da ne perdent puis font recroître que leurs dendrites (Kuo et al., 2005, Zhu et al., 2019).

La métamorphose chez les Amphibiens
La métamorphose chez les Amphibiens peut prendre plus ou moins d’ampleur selon le groupe considéré. Les Anoures perdent leur queue au moment du climax de la métamorphose (grenouille, xénope…) tandis que les Urodèles la conservent (salamandre, triton…). Certains Amphibiens comme les axolotls n’ont pas véritablement de métamorphose et deviennent sexuellement matures tout en conservant des caractères larvaires (pédomorphose). Nous verrons pourquoi plus loin.
Vidéo sur la métamorphose de la grenouille rousse : https://www.canal-u.tv/chaines/canal-unisciel/les-vertebres/la-grenouille-rousse-rana-temporaria-la-sortie-des-eaux


La métamorphose des Amphibiens est sous le contrôle des hormones thyroïdiennes. La glande thyroïde est homologue à l’endostyle des Cordés non vertébrés qui secrètent du mucus iodé. La thyroïde des Vertébrés a conservé un fonctionnement de glande exocrine tout en évoluant en glande endocrine. Les hormones thyroïdiennes sont produites à partir d’un grand précurseur protéique, la thyroxine, qui est exocytée au centre d’un groupe de cellules assemblées en acini. Des tyrosines de la thyroxine sont iodées puis clivées pour former les hormones thyroïdiennes qui traversent les cellules acineuses pour être sécrétées dans le sang.

Le principal produit de la glande thyroïde est la tétraiodothyronine (thyroxine ; T4) avec des quantités mineures de triiodothyronine (T3). Coïncidant avec les mesures de l’activité thyroïdienne, la concentration plasmatique et le contenu du corps entier de T3 et T4 augmentent tout au long de la prométamorphose et atteignent un pic au climax de la métamorphose (Denver, 2009). Comme chez les autres Vertébrés, T3 a une plus grande activité biologique que T4 chez les amphibiens en raison des récepteurs ayant une affinité 10 à 15 fois plus grande pour la T3 que pour la T4. La conversion de T4 en T3 peut se faire dans les tissus cibles grâce à l’enzyme thyroxine 5′-désiodase ou grâce aux enzymes iodothyronine deiodinases-1 et -2 (codés par les gènes Dio1 et Dio2). La iodothyronine deiodinase-3 codé par le gène Dio3 inactive au contraire les hormones thyroïdiennes. Dio3 est exprimé dans la queue du têtard pendant toute la phase de pré-métamorphose jusqu’au climax où son expression chute, et Dio2 qui code une enzyme activatrice (convertissant T4 en T3) a le patron d’expression inverse. Cela permet d’éviter une régression précoce de la queue avant que les pattes ne soient complètement formées. D’ailleurs, la patte postérieure qui est un des tissus qui répond précocement aux hormones thyroïdiennes pendant la pré-métamorphose exprime assez tôt l’enzyme activatrice Dio2. Si on inhibe Dio2 par l’acide iopanoïque, l’activité de T4 est insuffisante pour provoquer le développement de la patte postérieure (Brown, 2005).

La sécrétion des hormones thyroïdiennes est sous le contrôle de l’axe hypothalamo-hypophysaire. Une ablation de l’hypophyse antérieur abolit la métamorphose. Elle peut être restaurée par l’injection de TSH ou thyréostimuline. Durant la phase larvaire, un peu de TSH est produit et c’est la CRH (et non la TRH) produite par l’hypothalamus qui stimule cette sécrétion (De Groef et al., 2006). La CRH est plus généralement connue pour stimuler la sécrétion d’ACTH mais chez les Amphibiens, elle stimule aussi celle de la TSH. Ces deux actions sont médiées par 2 récepteurs différents présents dans 2 types cellulaires différents : CRF1 dans les cellules produisant l’ACTH et CRF2 dans les cellules produisant la TSH. La quantité de récepteurs CRF2 augmente fortement dans l’hypophyse antérieure à l’approche de la métamorphose (Kaneko et al., 2005). Dans le même temps, les neurones qui secrètent CRH deviennent matures tout comme les vaisseaux sanguins qui relient l’hypothalamus à l’hypophyse antérieure. Ce sont les taux faibles à moyen d’hormones thyroïdiennes qui contrôlent cette maturation et donc c’est un rétrocontrôle positif qui va provoquer la pré-métamorphose puis le climax.

Il existe habituellement un rétrocontrôle négatif des hormones thyroïdiennes sur la production de TSH mais il est est moins marqué durant la pré-métamorphose et le climax de la métamorphose, sans doute en liaison avec l’expression accrue de la monodéionidase désactivante Dio3 dans l’hypophyse à ce stade (Sternberg et al., 2011). Après le climax, le rétrocontrôle redevient actif et la sécrétion d’hormones thyroïdiennes chute.
Chez l’axolotl (Ambystoma mexicanum), la maturité sexuelle est atteinte avec une rétention des caractères larvaires. L’injection d’hormones thyroïdiennes sous forme de T4 ou de T3 chez ces animaux est capable de provoquer une métamorphose. L’efficacité de la T4 montre que l’axolotl exprime les enzymes qui permettent de la convertir en T3, plus active. L’injection de TSH est aussi capable de provoquer une métamorphose montrant que la glande thyroïde est fonctionnelle. Naturellement, on trouve peu de TSH dans le sang des axolotls. Au cours de l’évolution, c’est la libération de TSH par les cellules hypophysaires qui a été abolie.
Voss (1995) a croisé A. mexicanum domestiqué et A. tigrinum (qui réalise une métamorphose) pour créer des hybrides F1 qu’il a rétrocroisés avec A. mexicanum. Les rapports obtenus entre les métamorphes et les pédomorphes sont cohérents avec le contrôle du phénotype par un seul locus, soutenant ainsi l’idée classique d’une mutation unique sous-jacente à l’évolution de la pédomorphose.
Les hormones thyroïdiennes agissent via des récepteurs intracellulaires TRα et TRβ. En pré-métamorphose, on trouve essentiellement TRα qui forme un dimère avec RXR (le co-récepteur à l’acide nucléique). L’expression de TRβ est activée par ces complexes TRα/RXR et ce sont les dimères TRα/TRβ qui deviennent majoritaires lors du climax de la métamorphose. Cette succession de récepteurs pour les hormones thyroïdiennes est importante pour la bonne succession des évènements du développement post-embryonnaire. En absence de T3, les récepteurs recrutent des co-répresseurs de la transcription. En présence de T3, les récepteurs recrutent des co-activateurs tels p300 et SRC (Shi et al., 2012).

Signalons que T3 peut également avoir pour récepteur le domaine extracellulaire de l’intégrine αVβ3 et que cette interaction active la voie MAPK (Davis et al., 2005).
En dehors des hormones thyroïdiennes, la corticostérone produite par la glande corticosurrénale joue un rôle dans la métamorphose des Amphibiens. Elle retarde la croissance et la métamorphose des larves (Belden et al., 2005) mais une fois la métamorphose déclenchée, elle l’accélère (Darras et al., 2002). La sécrétion de corticostérone est produite lors d’un stress et on peut interpréter son action de manière adaptative : la métamorphose est une phase délicate et fragile du cycle de développement et il ne vaut mieux pas entamer une métamorphose dans un environnement stressant. Et si la métamorphose a été déjà déclenchée alors que l’environnement devient stressant, il vaut mieux en sortir le plus vite. Il y a néanmoins des exceptions. Par exemple, les têtards Scaphiopus couchii vivent dans des mares qui sont plus éphémères et sujettes au dessèchement que deux espèces proches. On constate que chez elle, son taux de corticostérone est constamment élevé (sans doute lié au stress hydrique) et que sa métamorphose se passe rapidement relativement aux deux autres espèces (Kulkarni et al., 2017).

Le développement accéléré de S. couchii a pour conséquence de donner des grenouilles plus petites avec des pattes plus courtes et moins de graisse abdominale. Outre l’effet particulier de la corticostérone, S. couchii a un récepteur aux hormones thyroïdes qui est plus sensible à son ligand que les autres espèces, ce qui contribue également à l’accélération du déclenchement de la métamorphose.
La première MMP (métalloprotéase matricielle) identifiée, la collagénase, a été trouvée dans la résorption de la queue des têtards pendant la métamorphose des amphibiens. Son expression est activée par des hormones thyroïdiennes. D’autres membres de ces endopeptidases ont été impliqués dans la résorption de la queue au cours de la métamorphose de la grenouille, notamment MMP-2, MMP-9, MMP-11, MMP-13 et MMP-18.
La métamorphose des Amphibiens est très sensible à la pollution et les mécanismes associés commencent à être élucidés. Par exemple, les dioxines provoquent une suractivation de l’expression du gène Klf9 qui est une cible précoce des hormones thyroïdiennes et de la corticostérone au cours de la métamorphose (Han et al., 2022). Cette suractivation peut provoquer un désynchronisation des différents évènements du développement post-embryonnaire.
Même s’il n’y a pas de métamorphose chez l’Homme, les hormones thyroïdiennes sont importantes pour son développement post-embryonnaire. Un manque de T3 (généralement à cause d’une carence en iode) peut aboutir à ce qui a été appelé le crétinisme : retard mental, défaut de développement du système nerveux moteur et auditif, arrêt du développement des organes génitaux et petite taille.
- Adhérence cellule-cellule
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- Axe antéro-postérieur chez la drosophile
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- Contrôle de la transcription
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