Par Patrick Pla, Université Paris-Saclay

Le néocortex est constitué de deux classes principales de neurones : les neurones glutamatergiques (excitateurs) et les interneurones GABAergiques (inhibiteurs). Les cellules glutamatergiques représentent 70 à 80 % des neurones qui peuplent le néocortex humain. La plupart d’entre eux sont des neurones pyramidaux, caractérisés par leur morphologie : un corps cellulaire conique, des arborisations dendritiques apicales et basales qui portent des épines dendritiques comme principales structures postsynaptiques excitatrices, et un axone se projetant généralement vers des cibles à longue distance. Les neurones pyramidaux qui peuplent chacune des 6 couches corticales présentent des patrons uniques d’expression génique, de morphologie et de connexions. Schématiquement, les neurones pyramidaux plus profonds (couches corticales V et VI) se projettent principalement vers les structures sous-corticales, et les neurones pyramidaux supérieurs (couches corticales II et III) se projettent principalement vers d’autres zones corticales (projections cortico-corticales), tandis que les neurones de la couche IV constituent la principale entrée d’informations en provenance des régions sous-corticales.
Les interneurones inhibiteurs GABAergiques, qui n’envoient généralement que des projections axonales locales, constituent environ 25 % des neurones du cortex humain et sont subdivisés en de nombreux types selon l’expression des gènes, la morphologie, la connectivité et les propriétés physiologiques. Ces interneurones ne sont pas générés sur place, contrairement aux neurones excitateurs. Ils sont générés ventralement à partir des éminences ganglionnaires médiales et leurs précurseurs migrent ensuite dans le cortex.

Enfin, le néocortex est morcelé en de nombreuses aires corticales, chacune spécialisée dans des fonctions spécifiques, liées à leur connectivité entre elles et avec le reste du cerveau. Les neurones de différentes zones corticales présentent également des patrons distincts d’expression génique et de morphologie, ainsi que des proportions spécifiques de classes neuronales.
Les neurones (puis les cellules gliales, nous le verrons plus loin) sont générés à partir de cellules souches neuronales qui sont en fait des cellules de la glie radiaire qualifiée de apicale car leur prolongement est en contact avec la partie apicale du neuroépithélium (du côté du ventricule, c’est-à-dire de la lumière du tube neural). Ces cellules ont un cil primaire qui baigne dans le liquide céphalo-rachidien. Des études de protéomique ont montré que ce liquide a une composition qui varie au cours du temps : il est d’abord enrichi en Sonic Hedgehog (à partir de E10,5 chez la souris) puis sa concentration diminue tandis que la concentration en acide rétinoïque augmente (vers E14,5) (Chau et al., 2015). L’auto-renouvellement et la prolifération des cellules souches neurales sont dépendants de molécules présentes dans le liquide céphalo-rachidien.

(A) Les souris Ptc1Lox/Lox;NestinCre (n = 10) présentent une activité Sonic Hedgehog élevée et constitutive dans les cellules souches neurales car on y a délété le gène codant Patched1 qui est un inhibiteur de cette voie. On génère des neurosphères à partir du cortex de ces souris (et de témoins ainsi que de souris RbpjLox/Lox;NestinCre qui ne peuvent plus activer la voie Notch dans les cellules souches neurales). La suractivation de la voie Shh aboutit à une augmentation de 8 fois du nombre de colonies de neurosphères primaires par cellule ensemencée par rapport aux témoins de la même portée. Cependant la voie Notch doit concomitamment être fonctionnelle. (B) Expansion clonale des neurosphères dérivées de cortex à E14.5. Le nombre de cellules obtenues à chaque passage a été transformé en LOG et une analyse de régression linéaire a été effectuée sur les courbes résultantes. Le taux d’expansion clonale des neurosphères est représenté par la pente de la ligne. Le nombre de cellules souches est significativement plus élevé dans les neurosphères Ptc1Lox/Lox;NestinCre par rapport aux neurosphères Ptc1Lox/Lox. Cependant, une fois de plus, la voie Notch doit pouvoir être activée. Source : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0014680
Le néocortex à six couches des Mammifères est généré de manière inversée. Les neurones les plus précoces occupent les couches les plus profondes et les derniers neurones produits occupent les couches les plus superficielles. Les neurones se développent par vagues de neurogenèse, migration radiale et différenciation à partir des progéniteurs gliaux radiaux de la zone ventriculaire et des cellules progénitrices intermédiaires de la zone sous-ventriculaire.

La vitesse de prolifération des cellules souches et des précurseurs tend à ralentir au cours du temps durant le développement du cortex. Si on abolit l’expression du gène p27 qui est un inhibiteur de CDK qui « freine » la progression dans le cycle cellulaire, on obtient des couches corticales II-IV qui possèdent plus de neurones et qui sont plus épaisses (Caviness et al., 2003).

Durant tout le processus, le maintien des cellules souches neurales est crucial. Les progéniteurs neurogéniques intermédiaires expriment Delta-like 1 (Dll1) et activent la voie Notch dans les cellules souches ce qui inhibe leur différenciation et les maintient dans un état de cellule souche (l’importance de cette signalisation a déjà été mise en évidence dans les expériences en parallèle avec la voie Shh plus haut). Cette communication Dll1/Notch juxtacrine se passe grâce à de longs prolongements avec lesquels les progéniteurs et les cellules souches entrent en contact (Nelson et al., 2013).


Chez le mutant de souris reeler, les nouveaux neurones sont incapables de passer par-dessus les autres pour générer des couches plus externes du cortex comme c’est le cas habituellement. La mutation a été isolée dans le gène codant la Reeline, une large glycoprotéine de plus de 3.000 acides aminés. Elle est secrétée par les cellules les plus superficielles du cortex : les cellules de Cajal-Retzius. La Reeline est perçue par les nouveaux neurones grâce à deux co-récepteurs ApoER2 et VLDLR et contrôle leur migration (Feng et al., 2007).
Chez l’Homme, des mutations dans de nombreux gènes affectant la migration neuronale aboutissant à des défauts plus ou moins prononcés de la morphologie et de l’anatomie du cortex ont été caractérisées.

Pour les progéniteurs qui deviennent post-mitotiques, il s’agit ensuite de se différencier dans le sous-type de neurone adéquat en fonction de la couche corticale occupée et de se brancher correctement de manière à établir des synapses fonctionnelles. FEZ Family Zinc Finger 2 (Fezf2) est un régulateur et sélecteur transcriptionnel requis pour la spécification des sous-types de neurones de projection corticospinale qui se trouvent dans la couche V (Molyneaux et al., 2005). Fezf2 active l’expression du récepteur de guidage axonal EphB1 et du transporteur vésiculaire du glutamate 1 (vGlut1) dans les neurones de projection corticospinale. Fezf2 est également nécessaire pour le développement dendritique de ces neurones. Pour ce faire, il active l’expression d’une batterie de microARN. Le cluster miR-193b et miR-365 est exprimé de manière différentielle durant le développement des neurones de projection corticospinaux en comparaison avec les neurones calleux, et ce cluster réprime l’expression de MAPK8 qui est exprimé dans les neurones projetant vers le corps calleux (Lyer et al., 2021). Le gain de fonction des miARN miR-193b et miR-365 contrôle la ramification dendritique dans les neurones de projection corticale et phénocopie la perte de fonction de MAPK8. Dans la couche V, Fezf2 inhibe également l’expression de Tbr1 qui est nécessaire pour la détermination des neurones corticothalamiques (qui se développent dans la couche VI) et celle de Satb2 qui est nécessaire pour la détermination des neurones qui projettent vers le corps calleux (Chen et al., 2008). A l’inverse, Tbr1 et Sox5 sont tous deux exprimés à des niveaux élevés dans les neurones de projection corticothalamiques dans la couche VI. Ils favorisent ce destin neuronal en réprimant directement l’expression de Fezf2 dans cette couche (Han et al., 2011; McKenna et al., 2011).
Avec plus de 80 milliards de neurones, l’humain est l’une des espèces de Mammifères possédant le plus grand nombre de neurones cérébraux (bien qu’il soit nettement inférieur en nombre à celui des éléphants et des baleines), et le néocortex affiche le plus grand nombre de neurones corticaux (environ 16 milliards) par rapport à la masse cérébrale, ainsi que par rapport à d’autres espèces de primates et de cétacés. Parmi les primates, le cortex humain contient de loin le plus grand nombre de neurones, avec environ deux fois plus de neurones que le cortex de chimpanzé et plus de dix fois plus que le cortex de macaque. Le plus frappant est que le cortex humain affiche également le nombre relatif et absolu le plus élevé de neurones pyramidaux des couches supérieures (couches II et III) par rapport aux autres espèces. Cette expansion des couches supérieures est déjà présente chez les singes et est encore élargie chez les Hominidés. Cette expansion est probablement importante dans l’évolution des circuits corticaux humains, car les neurones de la couche supérieure sont principalement impliqués dans les projections intracorticales. Leur nombre plus élevé contribue donc à des niveaux plus élevés de connectivité entre les zones corticales. Des études utilisent actuellement des comparaisons d’organoïdes corticaux produits à partir de cellules souches humaines et des cellules souches de singe pour comprendre les origines développementales des différences spécifiques à la lignée humaine. Le développement du cortex humain est plus lent mais la densité en dendrites des neurones produits est plus importante. Des études complémentaires ont montré que cela est sans doute dû à la présence de 4 gènes SRGAP2 dans la lignée humaine au lieu de un seul chez les singes proches (Schmidt et al., 2019).
Le développement des cellules gliales
Les cellules souches neuronales corticales donnent naissance tant aux neurones, qu’aux oligodendrocytes, qu’aux astrocytes. Les cultures de ces cellules montrent qu’elles possèdent une horloge interne qui contrôle le temps pendant lequel elles produisent des progéniteurs de neurones, puis des progéniteurs de cellules gliales (Qian et al., 2000; Shen et al., 2006). Des cellules souches neurales avec une triple potentialité puis une bipotence transitoire ont pu être cultivées : NA (neurones + astrocytes), NO (neurones + oligodendrocytes) et AO (astrocytes-oligodendrocytes). Des ligands orientant vers l’une ou l’autre voie ont été identifiés. Par exemple, le CNTF oriente fortement le destin des progéniteurs générés vers la voie astrocytaire et stimule également la prolifération des progéniteurs astrocytaires (Ravin et al., 2008). CNTF active le facteur de transcription STAT3 qui se fixe directement sur les promoteurs des gènes GFAP et S100, qui sont des gènes exprimés dans les cellules gliales. Dans les progéniteurs générés tôt dans le développement, l’ADN du promoteur de GFAP est méthylé, ainsi STAT3 ne peut pas déterminer les cellules en glie et ce sont des neurones qui sont d’abord produit avant que cette marque épigénétique inhibitrice soit enlevée (Fan et al., 2005). L’absence de l’ADN méthyltransférase de maintenance DNMT1 dans les précurseurs neuronaux aboutit à leur différenciation en astrocytes.


Le timing du passage de la production de neurones à la production de cellules gliales est donc étroitement régulé et a lieu 7 jours après la naissance chez la souris et 6 mois après la naissance chez les humains. Ce changement est dépendant aux facteurs évoqués ci-dessus mais aussi à l’activation de l’expression du gène NFIA qui code un facteur de transcription. Lors de la différenciation de cellules pluripotentes humaines (cellules ES ou iPS), l’expression transitoire de NFIA d’origine exogène accélère rapidement la production de cellules gliales (Tchieu et al., 2019).
Régionalisation au sein du cortex
Il existe aussi des différences régionales au sein du cortex qui sont fonctionnellement importantes car les différentes aires générées ont des connectivités et des fonctions différentes. Les différences peuvent même s’observer à l’échelle de la cytoarchitecture. Par exemple, les régions consacrées au traitement de l’information sensorielle, comme le cortex visuel, ont un nombre relativement important de cellules de la couche IV, qui forment la couche d’entrée d’informations tandis que les régions importantes pour la « sortie » de l’information du cortex, comme le cortex moteur primaire, ont un grand nombre de neurones pyramidaux de la couche V et relativement peu de cellules de la couche IV.
La spécification des différentes régions du cortex est sous le contrôle d’une cascade de régulations géniques avec à leur tête des gradients de morphogène comme les FGF.

Les FGF sont produits dans la région la plus antérieure du système nerveux qu’on appelle l’ANR (pour Anterior Neural Ridge) (Eagleson et al., 2002). Cette région est induite chez la souris par l’endoderme viscéral antérieur (AVE), une structure extraembryonnaire qui produit aussi des FGF.
Ces gradients de morphogène se traduisent ensuite en gradients d’expression de facteurs de transcription : un gradient de Pax6 qui spécifie plutôt les régions antérieures et un gradient de Emx2 qui spécifie plutôt les régions postérieures. Les souris mutantes Pax6-/- présentent une hypertrophie des régions corticales postérieures au détriment des régions antérieures alors que c’est l’inverse pour les souris mutantes Emx2-/- (Muzio et Mallamaci, 2003).

Des études de transcriptomique et de ChiPseq ont permis de révéler les réseaux de régulation génétiques à l’oeuvre dans les cellules souches neurales de différentes régions du cortex (Ypsilanti et al., 2021).
Mise en place, maintien et modifications des connexions
Une fois les neurones générés et leur identité précisée, l’arborisation dendritique et la croissance axonale se mettent en place. Une page spéciale sur la croissance axonale sera bientôt publiée.
Une proportion importante de progéniteurs neuronaux (les estimations varient entre 20 et 60%) meurt par apoptose durant le développement embryonnaire. Des souris n’exprimant pas Apaf-1 ou la caspase 9 qui sont des activateurs de l’apoptose présentent des zones progénitrices élargies (Yoshida et al., 1998). Dans les premiers jours après la naissance, des neurones en train d’être incorporés dans les circuits meurent également (autour de 30% des neurones). Le taux d’apoptose varie selon les régions corticales, avec plus de mort cellulaire dans le cortex moteur que dans le cortex somatosensoriel par exemple (Blanquie et al., 2017).

Ensuite, durant toute la vie post-embryonnaire, ce sont les synapses qui se font et se défont au gré des stimuli nerveux. Ces mécanismes contribuent à la plasticité du système nerveux. De manière plus subtile, des synapses peuvent se renforcer ou au contraire s’affaiblir.
Un exemple bien étudié d’affinement post-natal des connexions neuronales est constitué par les colonnes de dominance oculaire de la couche IV du cortex visuel. Les axones qui arrivent dans cette couche du cortex et qui apportent les informations en provenance de l’un ou de l’autre œil sont mélangés à la naissance. Progressivement, ces axones se séparent en territoires précis. Des expériences de suture d’un seul œil après la naissance chez le chat ou le singe ont montré que ce sont les stimuli en provenance de la rétine qui sont légèrement différents d’un œil à l’autre qui territorialisent les projections. Quand un œil est suturé, les projections axonales qui transmettent ces informations au cortex se réduisent tandis que celles en provenance de l’autre œil sont maintenues donc finissent par être relativement plus grandes. Ces expériences ont aussi mis en évidence l’existence d’une période critique. Ces réarrangements de projection axonale et de synapse n’ont lieu de manière significative que sur une période assez courte. Après, des réarrangements peuvent avoir lieu mais sur une échelle plus petite. Au niveau moléculaire, les réarrangements impliquent des sécrétions différentielles de facteurs neurotrophiques tels le BDNF et des expressions différentielles de molécules impliquées dans l’adhérence ou la communication juxtacrine telle les éphrines.
A un niveau d’intégration inférieur, le nombre de synapses connectées à un neurone peut changer, ce qui se traduit par une augmentation du nombre de ses épines dendritiques, c’est-à-dire les éléments post-synaptiques. La force des synapses peut être modulée ce qui peut se traduire morphologiquement par des changements de la forme des épines dendritiques. Au niveau moléculaire, par exemple, les quantités de récepteurs de neurotransmetteurs peuvent être modifiées.
Bien que des modifications aient lieu toute la vie, elles ralentissent fortement à partir de la puberté. Certaines régions du cerveau hors cortex restent néanmoins assez « plastiques », notamment l’hippocampe impliqué dans la mémorisation.
EN DIRECT DES LABOS :
Effets des résidus médicamentaux sur le développement du cerveau – INRAE
Mécanismes physiologiques et pathologiques du développement cortical – IGBMC
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- Axe antéro-postérieur chez la drosophile
- Caenorhabditis elegans
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- Et l’Humain ?
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