Le xénope

Par Patrick Pla, Université Paris-Saclay

Les grenouilles ont été utilisées depuis longtemps pour étudier les premières étapes du développement embryonnaire chez les vertébrés, car leurs ovocytes sont gros (1 à 2 mm de diamètre), nombreux (500 à 800 pour la ponte d’une femelle de xénope), faciles à manipuler et fécondés à l’extérieur de l’animal. Ainsi le développement de l’embryon précoce est facilement suivi. Leur développement est rapide et sa progression peut être modulée par la température selon les besoins de l’expérimentateur (en évitant des changements trop violents cependant, notamment lors de la gastrulation car cela peut amener à des malformations). Le xénope se prête particulièrement bien à une approche de criblage rapide et efficace de gènes candidats ou de traitements pharmacologiques.

*Xénope femelle en train de pondre. On observe les ovocytes qui sont en train de sortir du cloaque.

Vous pouvez découvrir le cycle du développement du xénope sur ce schéma interactif.

Des dessins d’observation de l’ensemble des stades de développement du xénope sont disponibles sur ce lien.

Le xénope est un modèle où on peut très facilement voir les mouvements de la gastrulation. Vous pouvez regarder cette vidéo de sa gastrulation et de sa neurulation.

*Un exemple de marquage de territoire chez l’embryon de xénope pour établir une carte des territoires présomptifs ou suivre les mouvements de la gastrulation. Photo : Caroline Borday et Odile Bronchain, Travaux Pratiques à l’Université Paris-Saclay

Deux espèces de Xenopus sont utilisées dans la recherche sur le développement : X. laevis et X. tropicalis. Chaque espèce offre des avantages spécifiques. Xenopus laevis produit de gros embryons qui sont excellents pour la microchirurgie embryonnaire, l’analyse de la surexpression des gènes, les études biochimiques. Il continue d’être un organisme modèle important, même s’il est peu adapté à l’analyse génétique à cause de son allotétraploïdie (voir ce site pour comprendre son histoire génétique).

De son côté, Xenopus tropicalis est un organisme diploïde qui facilite les études de perte de fonction. Les ovocytes et les embryons de Xenopus tropicalis sont cependant plus petits que ceux de Xenopus laevis. Le génome des xénopes a une conservation importante avec l’Homme. Celui de Xenopus tropicalis contient des orthologues pour environ 79 % des gènes identifiés dans les maladies humaines. De plus, son génome a un degré élevé de synténie avec le génome humain, contenant de longues régions équivalentes avec des gènes positionnés dans un ordre conservé.

L’expression des gènes dans les embryons de xénope peut être facilement manipulée à l’aide de microinjections d’ARNm et d’oligonucléotides morpholino antisens (MO) pour un gain ou une perte de fonction, respectivement.

*Embryons de xénope au stade 32 cellules, prêts à être injectés. Ils sont déposés dans un faible volume de tampon sur un grillage en nylon pour les stabiliser lors de l’injection. Le tampon contient du Ficoll qui est un gros polysaccharide qui densifie le milieu et évite que du contenu cytoplasmique ne se déverse à l’extérieur lorsqu’on retire l’aiguille de l’embryon après l’injection. Source : compte Twitter @ailencervino
Injection d’un embryon de xénope au stade 2 (presque 4) cellules.

Les morpholino antisens (MO) sont conçus pour cibler soit le site de départ de la traduction (le codon d’intiation AUG), soit un site d’épissage du transcrit primaire de l’ARNm cible.

*Morpholino lié à une séquence d’ARN. Un morpholino (MO) est normalement plus long et fait 25 bases. Source : https://www.sdbcore.org/object?ObjectID=268&SubTopicID=20

Voici un exemple d’utilisation de MO pour étudier la fonction des morphogènes de la famille BMP :

*L’inhibition de l’expression de Bmp2, Bmp4 et Bmp7 par des morpholinos antisens inhibe la phosphorylation de Smad1 et provoque une dorsalisation et des troncatures postérieures des embryons de xénope. (A) Conception des morpholinos (MO) antisens Bmp4, Bmp7 et Bmp2 qui ciblent le codon de démarrage de la traduction dans les deux pseudoallèles exprimés dans l’espèce tétraploïde X. laevis. (B) La traduction in vitro en présence d’acides aminés marqués au S35de Bmp4, Bmp7 et Bmp2 est spécifiquement inhibée par les MO respectifs. (C) Les MO pour Bmp2, Bmp4 et Bmp7 ont été injectés seuls (12 ng chacun) ou en combinaison dans les 4 blastomères d’un embryon de xénope. (D) Sur ce western-blot, on observe que la phosphorylation de Smad1 dans les embryons de stade 11 est diminuée par la co-injection de plusieurs MO de Bmp. (E-H) Les embryons injectés par Bmp4 MO (F) sont dorsalisés avec des têtes élargies (comparer avec les embryons de contrôle, E). Les pointes de flèches rouges délimitent le marqueur de la moelle épinière Hoxb9. (G) Le phénotype dorsalisé induit par le MO Bmp4 est sauvé par micro-injection de 100 pg d’ARNm Bmp4 de souris. (H) La microinjection d’ARNm de souris Bmp4 seul (100 pg) donne des embryons ventralisés avec de petites têtes, sans yeux et des structures de moelle épinière réduites (pointes de flèches rouges). (I-L) Les embryons déplétés en Bmp4 (J) se développent en têtards sans nageoires ventrales et avec des têtes légèrement plus grosses que les embryons témoins (I). Notez la position de l’anus, qui est déplacé (postériorisé) jusqu’au bout de la queue (tête de flèche blanche. (K) Les têtards déplétés en Bmp7 se développent avec une perte partielle de la nageoire ventrale et un anus postérieur (tête de flèche blanche) (L) La double déplétion de Bmp4 et Bmp7 se traduit par des têtards dépourvus de structures de queue. A chaque fois, ce sont des images représentatives d’une soixantaine de xénopes par expérience. Source : https://journals.biologists.com/dev/article/132/15/3381/52502/Depletion-of-Bmp2-Bmp4-Bmp7-and-Spemann-organizer

Un autre avantage majeur de l’utilisation de Xenopus pour étudier le développement est la capacité de générer des animaux transgéniques. L’incorporation d’ADN exogène dans le génome d’un zygote a été développée chez Xenopus tropicalis et Xenopus laevis à la fin des années 1990. Lorsqu’il correspond à un rapporteur fluorescent comme la GFP sous le contrôle d’un promoteur spécifique, l’expression d’un transgène peut être surveillée au fil du temps dans un embryon vivant en développement. Des lignées rapportrices, par exemple de l’activité d’une voie de signalisation, peuvent être étudiées. Une activation transgénique inductible peut en plus fournir une expression spatio-temporelle contrôlée.

En plus des méthodes perte- et gain-de-fonction efficaces et peu coûteuses, Xenopus présente des avantages pour l’analyse comparative des structures. En effet, l’injection d’une seule cellule de l’embryon à deux cellules peut cibler le côté gauche ou droit de l’embryon. En utilisant des traceurs fluorescents (GFP) ou enzymatiques (β-galactosidase), on peut facilement détecter le côté injecté de l’embryon et le comparer au côté non injecté. De telles manipulations sont très utiles car elles fournissent un contrôle interne chez le même animal pour chaque expérience. En plus de l’injection au stade 2 cellules, les embryons de xénope ont une carte du destin cellulaire bien définie pour chaque système organique. Cela permet des injections ciblées, où l’expression des gènes peut être modifiée dans des organes ou des tissus spécifiques.

Les embryons de xénope et notamment de Xenopus laevis qui sont plus gros se prêtent très bien à des expériences de microchirurgie embryonnaire. Fait important, parce que les premiers stades de clivage sont holoblastiques (par opposition aux clivages méroblastiques chez les embryons de poule ou de poisson zèbre), le vitellus (réserves énergétiques) est distribué à toutes les cellules, de sorte que les explants ne nécessitent aucune nutrition supplémentaire car ils peuvent survivre en utilisant les nutriments stockés dans les cellules. Le tissu disséqué se développe et se différencie dans une simple solution saline. Le xénope est aussi utile pour produire des cultures cellulaires de cellules pluripotentes : les cellules de la calotte (ou coiffe) animale, prélevées sur des blastulas. Sans intervention, ces cellules finissent par se développer en petits organoïdes épidermiques. Mais en présence de différents ligands et avec des combinaisons d’expression de gènes (induites par des injections d’ARNm dans l’embryon précoce au préalable), ces cellules peuvent aussi donner des tissus neuraux, des cellules de crêtes neurales, des cellules mésodermiques ou endodermiques.

**Exemple d’étude pour lequel le xénope est un excellent modèle : Analyse du transcriptome d’explants de calotte animale de stade 12. (A) Des ARNm de gènes d’intérêt (Cerberus, Wnt8, Chordine, FGF8, Xnr2, BMP4) sont injectés dans toutes les cellules d’un embryon au stade 4 cellules. La calotte animale est ensuite prélevée au stade 9 (blastula âgée) et cultivée jusqu’à l’équivalent du stade 12 (gastrula). Les cellules de la calotte animale sont cultivées non dissociées (les cellules donnent alors de l’épiderme) ou dissociées (elles donnent du tissu neural). Les ARNm des cellules ont été purifiés puis soumis au RNAseq (B) « Heatmap » montrant les changements de l’expression des gènes dans chacune des situations par rapport au cas des cellules provenant d’embryons non injectés et aussi avec des demi-embryons V/D dérivés de la même couvée d’embryons. V/D, ventral/dorsal. Une matrice de corrélation de la dissociation de la calotte animale (induction neurale) (C) et des signatures de l’épiderme (D) dans les données d’ARN-seq est présentée. Les scores de corrélation ont été calculés sous forme de coefficients de corrélation de Pearson et codés par couleur comme indiqué dans la barre d’échelle à droite du panneau. Ces résultats montrent que les signatures de calottes animales obtenues via RNA-seq distinguent facilement les conditions d’induction neuronale et épidermique. (E) Signature de dissociation examinée via PCA pour analyser la dimensionnalité dans neuf conditions expérimentales (BMP/con AC, Ven/Dor, FGF8/con AC, Xnr2/con AC, Wnt8/con AC, Cer/con AC, Diss/con, Dor /Ven et Chrd/con AC). AC, calotte animale ; con, contrôle; Dor, dorsale ; Ven, ventral. Chaque axe représente une composante principale (PC1 et PC2), le premier présentant la plus grande variation. Conditions de formation de l’épiderme en cluster PCA (Ven et BMP), conditions d’induction neuronale (Diss, Cer, Chrd et D/V) et conditions de formation du mésoderme (FGF8 et Xnr2) sans biais systémique. Notez que les conditions épidermiques et de dissociation (qui génère du tissus nerveux) se situent sur des quadrants opposés, indiquant les plus grandes différences. (F) Tableau des gènes induits par l’ARNm de Cer, la dissociation, l’ARNm de Chrd et l’ARNm de Wnt dans les coiffes animales répertoriés selon l’induction de Cerberus. Parce que Bighead a été induit dans toutes les conditions de neuralisation et classé deuxième dans la liste, il a été choisi pour une analyse plus approfondie. On voit bien la puissance du xénope pour les criblages très précis. Source : Ding et al., 2018

SITE DE REFERENCE : Xenbase

EN DIRECT DES LABOS :

QUELQUES EQUIPES DE RECHERCHE FRANCOPHONES QUI TRAVAILLENT SUR LE SUJET :

Tefor Paris Saclay

Equipe « Cellules souches et neurogenèse dans la rétine » – NeuroPSI, Université Paris-Saclay

Plateforme Xénope de l’U1035 INSERM – Biothérapie des maladies génétiques inflammatoires et cancer – Université de Bordeaux