par Patrick PLA, Université Paris-Saclay


SOMMAIRE :
- Introduction
- Initatiation de la traduction
- Translocation et terminaison de la traduction
- Contrôle de la dégradation des ARNm
- Contrôle de la localisation de la traduction
- Les microARN et l’inhibition de la traduction
Introduction
La conversion de l’information portée par l’ARNm en protéine représente la traduction. Il s’agit de l’interprétation de la séquence des ribonucléotides portée par l’ARNm en acides aminés. Elle est réalisée selon un code appelé le code génétique. Ce sont les ribosomes, des complexes formés de protéines et d’ARNr (ARN ribosomique) qui réalisent la traduction avec l’aide des ARNt (ARN de transfert).
Dans ce système, un triplet de nucléotides, ou codon, désigne un acide aminé. Les ARNt permettent de faire le couplage entre un codon donné et l’acide aminé correspondant. Il y a quatre codons particuliers. Un codon AUG appelé codon-initiateur codant pour la méthionine permet de commencer la traduction et 3 codons appelés codon stop (UAA, UAG, UGA) provoquent l’arrêt de la traduction.

La traduction s’effectue dans le cytoplasme, mais sa localisation peut être contrôlée (soit par la localisation de l’ARNm, soit par la localisation des ribosomes).
Initatiation de la traduction
Lorsque l’ARNm arrive dans le cytosol, il est pris en charge par des facteurs d’initiation de la traduction. Ces protéines éliminent la protéine de coiffe (protéine CBC) puis interagissent avec les protéines fixées sur la queue poly A. Ainsi, la traduction ne peut démarrer que si les deux extrémités de l’ARNm sont intactes.
Parmi les facteurs d’initiation de la traduction, citons eIF4E qui se lie à la coiffe 5′ des ARNm. Son activité peut être augmentée par une phosphorylation sur la sérine 209 à la suite de la réception par la cellule de facteurs de croissance.

eIF4E est surexprimé dans une grande variété de tumeurs, notamment les mélanomes. On pense qu’il stimule la tumorigenèse et la progression tumorale en facilitant la traduction des ARNm qui codent des protéines facilitant la prolifération et la survie. Dans les mélanomes métastatiques, une forte phosphorylation de eIF4E sur la sérine 209 est associé avec un mauvais pronostic (Carter et al., 2016).
eIF4E forme le complexe eIF4F avec la protéine d’échafaudage eIF4G et une hélicase eIF4A pour initier la traduction dépendante de la coiffe.

La traduction est initiée par la petite sous-unité du ribosome (40S) qui se fixe sur l’extrémité 5’ de l’ARNm, aidée par des facteurs d’initiation de la traduction qui ont reconnu la coiffe 5′. Cette petite sous-unité du ribosome est accompagnée de l’ARNt initiateur qui porte la méthionine. La sous-unité se déplace jusqu’à ce qu’elle parvienne au codon-initiateur. Alors, il y a un changement de conformation du complexe et les facteurs d’initiation se dissocient et la grande sous-unité ribosomique (60S) se fixe dans une position permettant à l’ARNt initiateur d’occuper le site P du ribosome. Ensuite, un second ARNt chargé de son acide aminé et accompagné d’un facteur d’élongation associé au GTP, vient occuper le site A du ribosome.
Translocation et terminaison de la traduction

L’appariement codon-anticodon est le facteur essentiel de sélection. Si l’appariement codon-anticodon est suffisamment fort, le GTP est hydrolysé ce qui provoque la dissociation du facteur d’élongation. L’hydrolyse du GTP produit également un changement de conformation du ribosome, ce qui active l’ARNr 28S (ARNr 25S chez les plantes). Il s’agit d’un ribozyme qui catalyse la formation d’une liaison peptidique entre la méthionine et le deuxième acide aminé. Si l’appariement codon-anticodon n’est pas suffisamment fort, l’ARNt quitte le site A sans que le GTP puisse être hydrolysé et donc la liaison entre les acides aminés n’est pas réalisée. Des essais successifs de différents couples ARNt-acide aminé qui se présentent de façon aléatoire peuvent se succéder. Une fois la liaison peptidique réalisée, l’hydrolyse du GTP lié à un second facteur d’élongation provoque un second changement de conformation du ribosome menant au déplacement relatif de l’ARNm et du ribosome, appelé translocation. Le site A se trouve libre pour recevoir un troisième ARNt chargé d’un troisième acide aminé et ainsi de suite.
Jusqu’à une période récente, on pensait que les codons synonymes (ceux qui présentent des séquences différentes sur l’ARNm mais qui aboutissent à un même acide aminé) ne provoquaient pas de différences et avaient été négligés dans l’étude des mutations humaines par exemple. On s’est rendu compte que certains codons sont utilisés plus rarement que d’autres et que la quantité d’ARNt correspondant à ces codons peuvent être rares, ralentissant la translocation et donc la production de la chaîne polypeptidique. Cela peut entraîner des conséquences sur la mise en place de la conformation des protéines et altérer leur fonction (Walsh et al., 2020).
La vitesse à laquelle se fait la translocation et l’élongation de la chaine polypeptidique en croissance est variable selon la séquence qui est lue mais aussi selon l’âge de l’organisme. Des pauses de la traduction peuvent même s’observer ce qui peut être bénéfique pour laisser le temps à des domaines de la protéine de prendre leur bonne conformation avec éventuellement l’aide de protéines chaperons (Kim et al., 2015). Mais avec l’âge, des pauses traductionnelles plus longues sont observées chez la levure et chez C. elegans aboutissant à des « embouteillages de ribosomes » et à des protéines naissantes avec des conformations partielles qui peuvent former des agrégats (Choe et al., 2016; Stein et al., 2022). De tels processus ont été impliqués dans la neurodégénération (Ishimura et al., 2014).
Les translocations se poursuivent avec ajout d’acides aminés à la chaîne polypeptidique en cours de synthèse jusqu’à la terminaison. Celle-ci est programmée dans l’ARN messager par un des trois codons stop, qui est lié à un facteur de terminaison de l’élongation associé au GTP. Aucun ARNt possède l’anticodon correspondant, le site A reste donc inoccupé. L’hydrolyse de la liaison du dernier acide aminé avec son ARNt signe la fin de la traduction. Il se forme ainsi l’extrémité carboxy terminale de la protéine. Les deux sous-unités du ribosome se dissocient et libèrent l’ARNm qui peut être traduit à nouveau (phénomène d’amplification : un gène peut être transcrit de multiples fois en ARNm et chaque ARNm peut être traduit de multiples fois).
Récemment, il est apparu que les ARNt n’étaient pas de simples liens entre les codons et les acides aminés. Les ARNt peuvent être clivés pour former des 5’tRFI ou des 3’tRFI selon le fragment considéré et ils peuvent inhiber ou faciliter la traduction selon le contexte. Ils peuvent même contrôler la transcription d’après un mécanisme encore inconnu. Les 5’tRFIGly/GCC (c’est-à-dire un fragment 5′ de l’ARNt lié à la glycine et qui reconnait le codon GCC) et 5’tRFIGlu/CTC sont capables d’activer la transcription de leur propre gène ce qui augmente la quantité d’ARNt disponible. Cela a lieu autour de la MBT (transition mi-blastuléenne) chez le poisson-zèbre et si on inhibe ce phénomène, le développement est anormal. Il s’agit d’une boucle de rétroaction positive qui doit augmenter la production d’ARNt pour permettre de traduire les nouveaux ARNm à la reprise de la transcription lors de la MBT et pour pouvoir produire une quantité importante de nouvelles protéines (Chen et al., 2021).
Dans le cytoplasme, la région 3’ non codante des ARNm permet de contrôler l’amorçage de la traduction. Ce contrôle dépend de modifications de la polyadénylation des ARNm qui doivent être stockés dans les cellules. C’est particulièrement le cas dans les ovocytes où des ARNm sont stockés dans le cytoplasme au cours de l’ovogénèse et seront indispensables aux premiers stades du développement où il n’y a pas de transcription (ces ARNm sont codés par des gènes dits à effet maternel). La traduction de ces ARNm stockés doit être temporairement réprimée, jusqu’à être activée au bon moment après la fécondation. Les ovocytes contiennent de nombreux ARNm de réserve dont la queue polyA est réduite à 20-40 résidus. Dans ces conditions, les protéines de liaison à l’extrémité 3’ ne se fixent pas, mais une protéine, la maskine, reconnaît la courte queue poly A, s’y fixe et interagit avec la coiffe en 5’. Elle empêche alors l’interaction de la coiffe avec les facteurs d’initiation de la traduction et la fixation de la petite sous-unité des ribosomes. Si l’ovulation ou la fécondation ont lieu, la maskine est déplacée, ce qui permet à la poly A-polymérase d’allonger la queue polyA. Les protéines qui participent à la traduction peuvent alors se fixer et favoriser le recrutement des ribosomes.
Focus sur les ribosomopathies
Les ribosomopathies sont des maladies caractérisées par des mutations dans les composants du ribosome ou des facteurs clés de la biogenèse du ribosome qui produisent des phénotypes spécifiques dans divers tissus. Par exemple, l’anémie Diamond Blackfan (DBA), qui résulte d’une haploinsuffisance de ∼20 différentes protéines ribosomiques essentielles (RP), a pour symptômes des anomalies congénitales mal comprises, telles que des malformations craniofaciales et des membres (notamment des doigts), ainsi qu’une altération de la différenciation érythroïde (Sieff, 2010; Yelick et Trainor, 2015). Le défi scientifique posé par cette maladie est de comprendre comment ce qui affecte des protéines qui sont exprimées presque partout puissent avoir des effets aussi spécifiques.
De nombreuses études suggèrent que les phénotypes des ribosomopathies peuvent résulter de l’activation du facteur de transcription p53 induit par le stress. En particulier, on pense que des mutations dans les protéines ribosomiques conduisent à la stabilisation et à l’activation de p53 par un mécanisme dans lequel le stress nucléolaire et la biogenèse de ribosomes défectueux entraîne l’inhibition du principal régulateur inhibiteur de p53, Mdm2 (Deisenroth et al., 2010; Dutt et al., 2011, Morgado-Palacin et al., 2015). La stabilisation de p53 contribue aux ribosomopathies via l’activation transcriptionnelle de gènes impliqués dans la régulation de la prolifération cellulaire et de l’apoptose (Deisenroth et Zhang, 2010). Le rôle de p53 dans la génération de ces phénotypes est bien mis en évidence lors de l’examen de l’haploinsuffisance de RP in vivo. Des études sur des modèles de souris et de poisson zèbre de DBA ont démontré que l’haploinsuffisance de RP peut entraîner des défauts spécifiques aux tissus, qui peuvent être sauvés par la perte de p53 (Barlow et al., 2010; Danilova et al., 2008; McGowan et Mason, 2011). Bien que ces résultats mettent en évidence le rôle de p53 dans le développement de phénotypes de maladies, la façon dont les effets globaux médiés par p53 sur les cellules, tels que l’arrêt du cycle cellulaire et l’apoptose, peuvent conduire à des phénotypes de développement aussi spécifiques aux tissus reste un paradoxe.
Alternativement, il a été suggéré que des mutations dans les RP peuvent conduire à une dérégulation traductionnelle indépendante de p53 (Dalla Venezia et al., 2019; Khajuria et al., 2018). Malgré cela, les modifications apportées à la traduction ont été largement inexplorées dans les contextes de développement in vivo associés à l’haploinsuffisance RP. Une récente étude de culture cellulaire a identifié des défauts de traduction dans les cellules hématopoïétiques lors de la déplétion des RP habituellement mutées dans le DBA et suggère que les niveaux de ribosomes peuvent jouer un rôle dans ce dysfonctionnement (Khajuria et al., 2018). Cependant, il est difficile de savoir comment cette hypothèse rend compte de phénotypes complexes in vivo et comment elle peut être conciliée avec le rôle connu de p53 dans l’étiologie des phénotypes de ribosomopathie.
Il existe de plus en plus de preuves que le ribosome peut se diversifier structurellement et fonctionnellement pour réguler la traduction (Gilbert, 2011 ; Sulima et Dinman, 2019). Par exemple, l’expression spécifique de la grande protéine de sous-unité ribosomique L38 (RPL38) (Kondrashov et al., 2011) et les segments d’expansion ribosomique (Leppek et al., 2020) régulent la traduction de certains gènes Hox.

Les paralogues des protéines ribosomiques (RP) diversifient l’activité des ribosomes au cours du développement des gonades (Hopes et al., 2021), et l’hétérogénéité intracellulaire des ribosomes régule la traduction (Shi et al., 2017).
Les segments d’expansion (ES) consistent en une multitude de structures d’ARNr qui ressemblent à des tentacules et qui s’étendent à partir du ribosome central. Les ES sont remarquablement variables en séquence et en taille à travers l’évolution eucaryote avec des fonctions largement inconnues. En caractérisant la liaison du ribosome à un élément régulateur dans le 5′ UTR de l’ARNm de Hoxa9, des chercheurs ont identifié une structure secondaire sous la forme d’une tige-boucle modulaire qui se lie à un seul ES, ES9S. L’édition du génome pour perturber spécifiquement le site de l’interaction Hoxa9-ES9S aboutit à une production plus faible de la protéine HoxA9 ce qui démontre l’importance fonctionnelle d’une telle liaison sélective ARNm-ARNr dans le contrôle de la traduction.
Les modifications post-transcriptionnelles des ARNr comme la 2’-O-méthylation sur le ribose peuvent aussi contribuer à des modifications de l’efficacité de la traduction (Khoshnevis et al., 2022).
Contrôle de la dégradation des ARNm
La déadénylation est une première étape de la dégradation des ARNm cytoplasmiques (Wiederhold et Passmore, 2010). Le complexe enzymatique impliqué dans le raccourcissement poly(A) est le complexe CCR4-NOT (Doidge et al., 2012; Temme et al., 2014). Chez les mammifères, l’importance physiologique de la déadénylation de l’ARNm médiée par le complexe CCR4-NOT a été démontrée dans les spermatocytes et les ovocytes en parallèle avec la méiose où la dégradation des ARNm est massive (Sha et al., 2018 ; Yu et al., 2016) puis ce complexe a été retrouvé agir dans de multiples types cellulaires (Mostafa et al., 2020).

La méthylation de l’adénosine est la modification la plus courante de l’ARN chez les eucaryotes. Le groupe méthyle est attaché à la position azote-6 de l’adénosine, créant la N6-méthyladénosine ou m6A. Cette modification est reconnue chez la drosophile par la protéine FMR1 au sein d’un motif AGACU sur les ARNm maternels et aboutit à la stimulation de leur dégradation (Zhang et al., 2022).
Des ARNm peuvent être protégés de la dégradation. Par exemple au cours du développement puis du fonctionnement chez l’adulte du système nerveux, des protéines se liant à l’ARN appelées HuA, HuB, HuC et HuD stabilisent deux familles d’ARNm qui, sans ces protéines, seraient dégradées plus vite (Perrone-Bizzozero et Bird, 2013). Des mutations dans HuD ont été associées à des déclenchements précoces de la maladie de Parkinson (Nourredine et al., 2005).

La dégradation peut être précédée de l’élimination de la coiffe 5′ ce qui rend les ARNm cibles incapables d’être traduits (Charenton et Graille, 2018). La déplétion chez la souris de la protéine qui réalise cette élimination, Dcp1a, aboutit à une léthalité à E10,5 avec un grand retard de développement, montrant le rôle fondamental de ce mécanisme (Ibayashi et al., 2021).
Contrôle de la localisation de la traduction
Il existe un premier contrôle de la localisation de la traduction via la reconnaissance du peptide signal en 5′ de la protéine naissante durant le début de la traduction. Ce peptide signal est essentiellement composé d’acides aminés hydrophobes et est reconnu par un complexe SRP (constitué par 6 protéines et un ARN) qui arrime les ribosomes au reticulum endoplasmique qui devient granuleux (REG).
2) Le complexe SRP/ribosome se lie au récepteur SRP sur le reticulum endoplasmique de manière dépendante au GTP (les 2 pastilles rouges)
3) Le ribosome est ainsi arrimé proche sur le translocon et l’allongement reprend. Le peptide signal reste dans le pore du translocon tandis que les régions solubles du polypeptide sont enfilées dans la lumière du RE sous forme de boucles. Le complexe SRP est libéré lorsqu’il y a lyse du GTP en GDP.
La protéine en production traverse alors la membrane du REG. Elle peut s’y arrêter et devenir transmembranaire ou alors poursuivre son passage et se retrouver dans la lumière du REG. Cela concerne notamment les protéines secrétées qui, lorsqu’elles sont des morphogènes ou font partie de la matrice extracellulaire, ont un rôle considérable au cours du développement.

Signalons que le peptide signal est clivé par une peptidase dans le REG et ne fait donc pas partie des protéines matures.
La localisation de la traduction au REG n’est pas seulement un problème d’adressage. Dans le système endomembranaire qui est constitué par le REG, l’appareil de Golgi et les vésicules de sécrétion, les protéines issues de la traduction peuvent subir une maturation et des modifications post-traductionnelles qui affectent leur fonction de manière essentielle. Parfois, des protéines chaperons les aident à avoir une conformation correcte. Par exemple, la protéine chaperon Mesd aide LPR5 et LRP6, les co-récepteurs des ligands Wnt, à avoir une conformation fonctionnelle. En son absence, les souris mutées présentent des défauts de développement de même nature qu’une déficience en signalisation Wnt (Hsieh et al., 2003).
Mais à l’intérieur même de la catégorie des protéines traduites dans le cytoplasme (et non pas à la surface du REG), il peut exister des localisations particulières de la traduction qui résultent de la localisation des ARNm dans des régions spécifiques de la cellule. Ce ciblage et cette localisation asymétrique de l’ARNm sont le résultat d’une cascade d’événements ordonnés qui consistent en la formation d’un complexe ribonucléoprotéique, la translocation du complexe vers les sites d’ancrage, l’ancrage des particules au cytosquelette et la traduction locale des ARNm.
Dans la plupart des cas, la localisation des ARNm est spécifiée par des séquences de la région 3’ non traduite (3’UTR) des ARNm. C’est par exemple le cas dans les ovocytes de drosophile et d’amphibien, les myoblastes, les neurones et les fibroblastes. Dans ces deux derniers types de cellules, les ARNm de l’actine alpha et gamma sont présents autour du noyau tandis que celui de l’actine beta est localisé à la périphérie des cellules au niveau des lamellipodes (ou des cônes de croissance chez les jeunes neurones). L’ARNm codant cette forme d’actine possède des séquences particulières sur son 3’UTR qui permet ce transport vers le cortex cellulaire.
Dynamique en temps réel de l’ARNm de la beta-actine dans une cellule en migration. La technique de marquage MS2-GFP a été utilisée pour visualiser l’ARNm endogène de la beta-actine. La carte des couleurs montre l’intensité de fluorescence de NLS-MCP-GFP divisée par l’intensité de colorant cytoplasmique, représentant la concentration d’ARNm de beta-actine (Hye Yoon Park and Robert H. Singer, Albert Einstein College of Medicine).
Les microARN et l’inhibition de la traduction
De curiosité au début des années 2000, les microARN sont passés au statut de composants fréquents et indispensables pour comprendre l’expression des gènes par régulation de la traduction (Bartel, 2018). On estime que près de la moitié des ARNm codés par le génome humain ont un microARN qui les contrôle.
Les microARN (miARN), qui font entre 20 et 25 nucléotides sont produits à partir de transcrits plus longs synthétisés par l’ARN polymérase II, la même qui synthétise les ARNm. Les transcrits primaires sont longs de plusieurs centaines à plusieurs milliers de nucléotides et sont appelés pri (pour primary transcript)-miARN. Un pri-miARN peut contenir la séquence d’un ou de plusieurs miARN. Les miARN sont également produits à partir de certains introns excisés et des régions 3′ non traduites de certains pré-ARNm. Des structures en épingle à cheveux de 70 nucléotides de longueur avec un appariement de bases imparfait dans la tige se forment dans les pri-miARN. Une RNase nucléaire spécifique d’ARN double brin appelée Drosha agit alors dans le noyau avec une protéine appelée DGCR8 chez l’homme (Pacha chez la drosophile) et clive la région en épingle à cheveux du long précurseur, générant un pré-miARN.


Selon la structure secondaire du pri-miRNA des clivages alternatifs peuvent être produits par Drosha, augmentant le répertoire de cibles dont la traduction sera inhibée à partir d’un seul pri-miRNA (Bofill-De Ros et al., 2019). Certains pri-miRNA sont polycistroniques, c’est-à-dire qu’ils forment plusieurs boucles qui donneront naissance à plusieurs microARN différents (tels miR156, miR166 ou miR395 chez les Angiospermes) (Merchan et al., 2009).

Signalons que des précurseurs de microARN sont aussi générés à partir d’introns selon des modalités différentes de celles décrites ci-dessus. On appelle ces microARN des mirtrons (Ruby et al., 2007).
Quel que soit les modalités de leur production, les pré-miARN sont reconnus et exporté du noyau par l’Exportine-5 (Yi et al., 2003) (l’orthologue chez les plantes s’appelle HASTY (Park et al., 2005)). Une fois dans le cytoplasme, la RNase spécifique de l’ARN appelée Dicer agit avec une protéine de liaison à l’ARN double brin appelée TRBP chez les humains (Loquacious chez la drosophile) pour cliver davantage le pré-miARN en un miARN double brin. Celui-ci fait environ deux tours d’une hélice d’ARN de forme A, avec des brins de 21-23 nucléotides de long et deux nucléotides non appariés à chaque extrémité. Enfin, l’un des deux brins est sélectionné pour l’assemblage dans un complexe de silencing (RISC) où la région 5′ du miARN monocaténaire est attachée à la protéine Argonaute (Iwasaki et al., 2010). Ce complexe Argonaute/miARN est généralement très stable, avec une demi-vie pouvant aller jusqu’à plusieurs jours (Gantier et al., 2011). Le miARN reconnait sa séquence cible, le plus souvent dans la région 3’UTR de l’ARNm cible. Le blocage de la traduction se fait alors de différentes manières, par blocage de l’initiation ou de l’élongation de la traduction. Les protéines de la famille Argonaute sont capables de se lier à la guanosine méthylée de la coiffe 5′ des ARNm et sont essentiels dans ce processus (Djuranovic et al., 2011). Certains miARN et complexes associés sont capables de recruter des endonucléases qui détruisent les ARNm.
Les miARN sont clairement essentiels pour le développement embryonnaire et ce, dès les stades précoces. En effet, le knock-out de Dicer chez la souris aboutit à une impossibilité d’obtenir des miARN matures et les embryons arrêtent leur développement autour de la gastrulation avec une taille réduite et une absence d’induction du mésoderme (Bernstein et al., 2003). De même chez Arabidopsis, le mutant perte-de-fonction dcl1 (Dcl1 est l’équivalent de Dicer chez les plantes) aboutit à une léthalité embryonnaire (Schauer et al., 2002).
Certains miARN peuvent être produits de manière massive et avoir de multiples cibles : c’est le cas de miR-430 chez le poisson-zèbre. Lors de l’activation de la transcription dans l’embryon (MBT), des centaines d’ARNm maternels perdent leur queue polyA et sont dégradés. Ce processus est provoqué par la fixation sur leur 3’UTR de miR-430 qui est codé par un gène qui a 90 copies dans le génome du poisson-zèbre. Plus tard, miR-430 a un rôle dans la neurogenèse (Takacs et Giraldez, 2016). Inversement, l’expression d’un même ARNm peut être contrôlée par plusieurs miARN (comme par exemple MYB2D contrôlé par miR-828 et miR-858 (Guan et al., 2014)).
Des surexpressions ou des expressions trop faibles de miARN ont été associées à des tumeurs et également une partie des déficiences mentales de la trisomie 21 trouve son origine dans la surexpression de miR-155 qui est codé par un gène sur le chromosome 21 (Nuovo et al., 2018).
Chez les végétaux, les microARN peuvent être transportés sur de longues distances via les plasmodesmes ou le phloème et agir de manière non-cellulaire autonome. Par exemple, des microARN sont synthétisés dans les tiges en cas de carence nutritive et transportés vers les racines où elles participent à l’activation des réponses pour compenser ces carences (Buhtz et al., 2010, Lin et al., 2008). Chez les Fabacées, miR-2111-3 est un microARN exprimé dans les cellules du phloème des feuilles et qui est transporté par la sève brute et inhibe dans les racines l’expression de TML (TOO MUCH LOVE) qui est un inhibiteur de la formation de nodosités (Tsikou et al., 2018).

LA CARTE MENTALE

AUTRE RESSOURCE :
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