Par Patrick Pla, Université Paris-Saclay
L’apoptose permet de faire disparaître des cellules sans que leur contenu soit déversé dans les tissus. Le noyau se condense, l’ADN se fragmente, les cellules diminuent de volume et expriment à leur surface des signaux (par exemple de la phosphatidylsérine, un phospholipide qui est normalement présent très majoritairement sur le feuillet interne de la membrane plasmique et qui se retrouve en majorité sur le feuillet externe lors de l’apoptose) qui vont stimuler leur phagocytose par d’autres cellules. Des grosses cellules peuvent se fragmenter en structures plus petites appelées corps apoptotiques et sont alors entourées d’une membrane plasmique altérée. Ce sont alors ces corps apoptotiques qui sont phagocytés. Tout le processus ne déclenche pas d’inflammation.

La technique de choix pour observer l’apoptose dans les embryons est le TUNEL (Terminal Transferase dUTP Nick End Labeling). Au cours de l’apoptose, l’ADN se fragmente. On fait agir sur des embryons ou des cellules en culture fixés une Terminal Transférase qui ajoute des nucléotides marqués (par exemple du BrdUTP) à l’extrémité des fragments d’ADN puis ces nucléotides sont reconnus par un anticorps couplé à un fluorophore. Les cellules apoptotiques ont beaucoup plus de marquage que les cellules normales à cause de la fragmentation de l’ADN et donc apparaissent fluorescentes.
Chez les métazoaires, les mécanismes apoptotiques sont conservés au cours de l’évolution et permettent aux organismes multicellulaires de préserver l’homéostasie tissulaire (Ameisen, 2002). Des mutations qui inhibent des membres des voies de signalisation de l’apoptose sont très courantes dans les cellules tumorales (Hanahan et Weinberg, 2000).

L’apoptose a lieu de multiples fois au cours du développement, ce qui peut paraître paradoxal alors que l’organisme se construit. Mais le développement peut se dérouler selon un processus sélectif darwinien où plus de cellules que nécessaires sont produites et seules les cellules les plus fonctionnelles survivent : c’est typiquement le cas des neurones (Buss et al., 2006). L’apoptose peut permettre d’éliminer des structures devenues inutiles de part une détermination qui était jusqu’alors bipotentielle : cas de l’élimination des canaux de Wolff (chez les mammifères femelles) et des canaux de Müller (chez les mâles) et elle a un rôle dans la morphogenèse qui fonctionne alors comme de la sculpture (apoptose dans la zone interdigitale qui permet de séparer les doigts).
L’apoptose peut aussi jouer le rôle de « contrôle qualité » des populations cellulaires. Par exemple, chez le poisson-zèbre, les cellules qui ne répondent pas correctement à un gradient morphogène de Wnt (en activant trop ou pas assez sa voie de signalisation impliquant la β-caténine) meurent par apoptose.

Ced-3 a été le premier effecteur apoptotique découvert chez Caenorhabditis elegans en 1986 (Ellis et Horvitz, 1986, lien vers une version commentée de cet article). Cet organisme modèle se prête bien à ce genre d’étude car on connaît très précisément le nombre de ses cellules à tout stade de développement et donc une apoptose diminuée chez un mutant ne peut pas passer inaperçue.

Les premiers orthologues de ced-3 chez les mammifères, la caspase-9 chez l’homme (anciennement appelée enzyme de conversion de l’interleukine-1β) et Nedd-2 chez la souris, ont été décrits peu après (Yuan et al., 1993). Des homologues de ces protéines ont également été trouvés chez les insectes, à savoir Dcp-1 et Drice chez la drosophile. Ces protéines qui déclenchent l’apoptose ont été nommées caspases, qui signifie cysteine-aspartic proteases, reflétant leur spécificité pour les sites contenant des liaisons peptidiques avec l’acide aspartique, qu’elles clivent à l’aide de la cystéine présente dans leur site actif (QACXG). Jusqu’à présent, environ 15 membres de la famille des caspases ont été décrits chez l’homme et la souris (Shalini et al., 2015).
Il est à noter que chez les mammifères, certaines caspases sont également impliquées dans l’inflammation. Un rôle également non apoptotique pour la caspase effectrice clé, la caspase-3, a été identifié dans la formation des fibres du cristallin. Les cellules épithéliales qui forment le cristallin perdent leur noyau au cours de cette différenciation sans mourir et la caspase-3 contrôle ce processus (Ishizaki et al., 1998).

Les caspases apoptotiques sont classées en deux groupes : les caspases initiatrices (caspase-2, -8, -9 et -10) et les caspases exécutrices (caspase-3, -6 et -7). Ces protéases sont synthétisées sous forme de zymogènes inactifs. Elles doivent se dimériser pour devenir actives. Les caspases initiatrices peuvent s’auto-activer via autocatalyse, cependant, des interactions supplémentaires avec un complexe de protéines d’activation sont généralement nécessaires. Par exemple, le taux d’activation de la caspase-9 est supérieur de plusieurs ordres de grandeur par rapport à la forme libre lorsqu’elle est ancrée dans un complexe supramoléculaire appelé apoptosome contenant la protéine APAF-1 (Rodriguez et Lazebnik, 1999). La caspase-8 est plutôt activée par un autre complexe, le complexe de signalisation induisant la mort (DISC).

L’interaction du cytochrome c avec le domaine WD40 d’APAF-1 induit une modification de la conformation d’APAF-1 et son heptamérisation via son domaine NOD. La pro-caspase-9 est recrutée par APAF-1 grâce à leurs domaines CARD respectifs, et le complexe APAF-1/Cytochrome c/Caspase-9
forme l’apoptosome, capable d’activer les caspases effectrices 3, 6 et 7. Extrait de la thèse de Caroline Pirou, 2016.
Eliminer l’expression de APAF-1 et donc abolir la formation de l’apoptosome peut sauver des cellules embryonnaires de l’apoptose comme dans l’exemple suivant :

Les caspases exécutrices sont activées par les caspases initiatrices, puis elles clivent un large ensemble de substrats, conduisant à l’apoptose (Kumar, 2007).

Plusieurs centaines de protéines sont clivées par les caspases lors de l’apoptose. Elles ciblent notamment des protéines structurales comme les constituants du cytosquelette : actine, kératines et lamines nucléaires (Caulin et al., 1997; Mashima et al., 1997). Cela participe à la condensation cytoplasmique et nucléaire observée lors de cette mort cellulaire.

Les caspases ciblent également des protéines impliquées dans le métabolisme et la réparation de l’ADN comme PARP (Poly ADP Ribose Polymerase) ou les DNA-PK (DNA-dependent Protein Kinase). Les caspases ciblent la protéine ICAD (Inhibitor of Caspase-Activated DNase), qui est normalement associée en complexe avec la DNase CAD. Cette dernière n’est alors plus inhibée et peut participer à la fragmentation de l’ADN caractéristique de l’apoptose (Enari et al., 1998).
Certaines protéines ciblées par les caspases sont impliquées dans des processus non apoptotiques, notamment la prolifération et la différenciation cellulaires (Kuranaga et Miura, 2007). Au cours de tels processus, l’étendue des cibles des caspases reste strictement contrôlée dans le temps et dans l’espace, évitant la mort cellulaire. Des cibles habituelles des caspases en cas d’apoptose sont protégées. Par exemple, dans l’érythropoïèse, le facteur de transcription GATA-1 est protégé de la protéolyse médiée par les caspases par la protéine chaperon Hsp70 (De Maria et al., 1999 ; Ribeil et al., 2007).
Signalons qu’il existe également des voies de signalisation de l’apoptose indépendantes des caspases qui peuvent être médiées par d’autres protéases. Citons les cathepsines, les calpaïnes, la serpine/endonucléase LEI/L-DNase II (Leukocyte Elastase Inhibitor/LEI-derived DNase II) ou le facteur AIF (Apoptosis Inducing Factor) qui peuvent médier la fragmentation de l’ADN en absence d’activation des caspases, ou encore des sérine-protéases mitochondriales comme Omi/HtrA2, localisée dans l’espace intermembranaire mitochondrial et pouvant être relarguée dans le cytosol (Cregan et al., 2004; Mathiasen et Jäättelä, 2002; Torriglia et al., 2008)
En amont de la cascade d’activation des caspases, on trouve deux voies appelées extrinsèques et intrinsèques. Dans la voie extrinsèque, la stimulation des récepteurs de mort tels que Fas/Apo1 ou TRAIL, conduit à l’activation de la caspase-8 initiatrice et au clivage en aval de la caspase-3 effectrice. Le ligand Fas est par exemple exprimé à la surface des lymphocytes T cytotoxiques et des cellules NK (Natural Killer) et peut provoquer la mort de cellules infectées par des virus, de certaines cellules tumorales et de cellules issues d’une greffe.

La voie intrinsèque implique les mitochondries, et notamment la libération du cytochrome c de l’espace intermembranaire mitochondrial dans le cytosol. Le cytochrome c libéré se lie à la protéine d’amarrage Apaf-1 et facilite la formation du complexe apoptosome qui recrute et active la caspase-9. Ce complexe apoptosome caspase-9/APAF-1/cytochrome c est la forme holoenzymatique de la caspase-9, qui active par clivage protéolytique l’exécuteur de l’apoptose caspase-3 comme nous l’avons vu.
Les mitochondries jouent un rôle central dans l’activation des caspases par la voie intrinsèque (Singh et al., 2019). Lors de divers stimuli induisant la mort, la membrane externe mitochondriale est altérée, permettant la libération du cytochrome c dans le cytosol et l’activation ultérieure de la cascade des caspases. Ce phénomène, appelé perméabilisation de la membrane externe mitochondriale, est strictement régulé par la famille de protéines Bcl-2 (Kale et al., 2018).
Les protéines de la famille Bcl-2 partagent un ou plusieurs domaines d’homologie Bcl-2 (BH) (Youle et Strasser, 2008). Sur la base d’analyses de structure et de fonction, les protéines Bcl-2 ont été classées en trois groupes : à domaine BH3 uniquement, multidomaine pro-apoptotique et multidomaine anti-apoptotique (Chipuk et al., 2010).
Une fois activées, les protéines multidomaines pro-apoptotiques, telles que Bax et Bak, forment des canaux sur la membrane externe des mitochondries, induisant la fuite d’agents activateurs de l’apoptose dans le cytosol, notamment le cytochrome c (Bleicken et al., 2013) ou encore Smac/Diablo, des protéines qui s’attachent aux protéines inhibitrices de l’apoptose, IAP et les inhibent (Rehm et al., 2003).

Les protéines multidomaines anti-apoptotiques, notamment Bcl-2, Bcl-xL et Mcl-1, neutralisent Bax et Bak en formant des hétérodimères avec eux à travers un sillon hydrophobe formé par leurs domaines BH1, BH2 et BH3, protégeant ainsi la cellule de l’apoptose (Petros et al., 2004). Bcl-xL est capable de faire sortir Bax des mitochondries, l’empêchant de former les canaux sur la membrane externe de ces organites qui font sortir des agents pro-apoptotiques vers le cytosol (Edlich et al., 2011).
Les protéines à domaine BH3 seul sont des protéines pro-apoptotiques qui jouent le rôle de « sentinelles » capables d’intégrer divers stress cellulaires et de déplacer l’équilibre en faveur des acteurs pro-apoptotiques en antagonisant les membres de la famille anti-apoptotique Bcl-2 ou en activant Bax et Bak (Youle et Strasser, 2008). Par exemple, l’expression du gène codant la protéine PUMA est activée par p53 à la suite de dommages à l’ADN qui ne sont pas réparés et PUMA inhibe l’activité des acteurs anti-apoptotiques et stimule l’activité des acteurs pro-apoptotiques (Wang et al., 2007).


Les facteurs dits de survie sont des ligands qui activent des voies de signalisation qui s’opposent à l’apoptose. Elles peuvent agir en augmentant l’expression de Bcl-2 ou de Bcl-xL, en inactivant Bad (c’est ce que fait Akt par exemple) ou en inhibant des inhibiteurs de IAP (ces derniers sont anti-apoptotiques).
Certains virus empêchent l’activation des voies apoptotiques ce qui prolonge la vie des cellules qu’ils ont infectées et favorise leur propagation. Par exemple, le virus de la famille de l’herpès HHV8, responsable de la maladie de Kaposi, exprime une protéine vFLIP qui inhibe la caspase-8 (Ruder et al., 2020).
Un déclenchement déficient de l’apoptose est une des caractéristiques des cellules tumorales. Cela assure leur survie et leur croissance, et également leurs résistances aux traitements (Hata et al., 2015). Elles expriment souvent plus fortement des membres anti-apoptotique de la famille Bcl2. Par exemple, dans le lymphome folliculaire, qui est le second lymphome le plus fréquent chez l’adulte (4000 nouveaux cas chaque année en France), est le plus souvent causé par une translocation qui déplace le gène codant Bcl2 (qui veut dire d’ailleurs B-cell lymphoma 2) situé sur le chromosome 18 vers une région du chromosome 14 qui contient les séquences régulatrices d’un gène codant une chaîne lourde d’immunoglobulines exprimée dans les lymphocytes B. Ainsi, Bcl2 est surexprimé et bloque toute possibilité d’apoptose, même en cas d’accumulation d’autres mutations qui causent des cancers. Des mutations gain-de-fonction dans la séquence codante de Bcl2 peuvent aussi être décelées dans certains lymphomes folliculaires (Correia et al., 2015).
Des nouvelles molécules thérapeutiques sont étudiées pour inhiber leur activité ou également pour stimuler directement des protéines pro-apoptotiques telles que Bax (Reyna et al., 2017).

Il existe d’autres morts cellulaires régulées que l’apoptose : la ferroptose est une mort cellulaire par accumulation de peroxides de phospholipides. Cette accumulation peut être provoquée par des ions Fe2+ d’où son nom. Elle peut aussi être provoquée par un défaut de glutathion qui ne peut plus jouer son rôle d’antioxydant ou par l’inhibition de l’expression de la glutathione peroxidase-4 (GPX4) qui est l’enzyme qui catalyse la réaction protectrice (Yang et al., 2014). Au cours de la ferroptose, il n’y a pas de fragmentation de l’ADN contrairement à l’apoptose (Han et al., 2020). La nécroptose est une autre forme de mort cellulaire caractérisée par une augmentation de la perméabilité membranaire qui la rapproche de la nécrose et qui est médiée par un complexe appelé nécrosome et qui dépend notamment de la phosphorylation de RIPK3, l’un des composants du nécrosome (Zhang et al., 2009). La nécroptose peut s’observer par exemple dans le cas de cellules infectées par des virus qui inhibent les caspases activatrices de l’apoptose (Berghe et al., 2014). Citons également la pyroptose qui correspond à la formation de pores dans la membrane plasmique par les protéines de la famille des gasdermines.
L’élimination des cellules apoptotiques
Les cellules qui subissent une mort cellulaire programmée sont généralement englouties par des cellules phagocytaires ce qui évite les réponses inflammatoires ou maintient l’homéostasie tissulaire. L’échec de ce processus entraînerait une accumulation redondante de cellules apoptotiques dans l’organe, conduisant finalement au développement de maladies inflammatoires auto-immunes ou neurodégénératives (Doran et al., 2020).
Avant d’être reconnus par les phagocytes, les cellules apoptotiques libèrent ou exposent certaines molécules qui favorisent leur reconnaissance et leur élimination. Les macrophages de mammifères sont divisés en deux sous-groupes en fonction de leurs cytokines inflammatoires (Röszer, 2015), M1 et M2. Ce sont les macrophages M2 qui sont impliqués dans la phagocytose des cellules apoptotiques. Les cellules épithéliales et les fibroblastes peuvent également absorber une quantité limitée de particules apoptotiques et jouer un certain rôle (Cao et al., 2004; Monks et al., 2005; Juncadella et al., 2013).
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