Les vésicules extracellulaires

Par Patrick Pla, Université Paris-Saclay

Les vésicules extracellulaires (VE) sont des particules produites et excrétées par les cellules et entourées d’une bicouche lipidique. Elles étaient autrefois considérées comme des déchets cellulaires mais elles constituent en fait une forme importante de communication intercellulaire et attirent désormais une attention considérable en raison de leurs rôles dans une variété de processus physiologiques et pathologiques.

L’une des principales classes de VE est constituée par les exosomes, de petites vésicules, dont la taille varie de 30 à 150 nm de diamètre, qui se forment dans des corps multivésiculaires (MVB) et sont acheminées vers la surface cellulaire (au lieu des lysosomes où ces corps multivésiculaires aboutissent habituellement). Les MVB fusionnent avec la membrane plasmique et libèrent leur contenu, les exosomes, dans l’espace extracellulaire. Un tel processus a pu être observé in vivo par exemple lors de la formation du réseau des trachées chez la drosophile où des exosomes sont émis dans la lumière trachéale (Camelo et al., 2022).

**Génération et libération d’exosomes et d’ectosomes. Le corps multivésiculaire (MVB) est une vacuole endocytaire occupée par des vésicules correspondant à des vésicules intraluminales distinctes (ILV) remplies par des molécules spécifiques chargées à partir du cytosol. Le bourgeonnement vers l’intérieur des vésicules est suivi de leur fission et de la libération d’ILV dans la lumière du MVB (diamètre de 50 à 150 nm). Lors de leur génération, les MVB peuvent évoluer dans deux directions alternatives (flèches) : vers les lysosomes (Lyso) ou vers la membrane plasmique. L’exocytose du MVB est suivie d’une libération extracellulaire rapide de vésicules, appelées exosomes (Exo). L’assemblage et la libération des ectosomes de la surface cellulaire ont lieu au niveau de la membrane plasmique. L’étape initiale est l’assemblage de microdomaines membranaires plus grands (100 à 400 nm de diamètre d’ectosome). Leur composition est distincte de celle de la membrane plasmique d’origine et partiellement similaire à celle des membranes ILV. Des molécules spécifiques, composées de protéines, de lipides et d’acides nucléiques, s’accumulent dans la lumière de la vésicule. Lors de leur courbure rapide vers l’extérieur et de leur bourgeonnement, les vésicules de l’ectosome (Ecto) subissent un pincement et un détachement vers l’espace extracellulaire. N = noyau. Source : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fcell.2022.877344/full
***Mécanismes de bourgeonnement des vésicules intraluminales lors de la formation des exosomes. L’ESCRT (endosomal sorting complex required for transport) qui permet la formation des MVB puis des exosomes fait intervenir de manière séquentielle quatre sous-unités, ESCRT-0, -I, -II et -III, qui séquestrent les cargos dans des microdomaines à la membrane des endosomes tardifs et leur permettent de bourgeonner en tant que vésicules intraluminales. Une ubiquitine (Ub) est associée aux sous-unités ESCRT. ALIX est une protéine accessoire de l’ESCRT, qui permet en principe de contourner les sous-unités ESCRT-0, -I, -II et de relier directement ses partenaires à l’ESCRT-III. La synténine lie directement ALIX avec son domaine N-terminal et les tétraspanines (CD63/tétraspanine-6) et les syndécanes grâce à ses deux domaines PDZ. Source : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2021/12/msc200706/msc200706.html

L’autre classe majeure de VE est le plus souvent appelée microvésicules (MV). Les MV sont nettement plus grandes que les VE dérivées des MVB et leur diamètre varie de 0,2 à 1,0 μm de diamètre et se forment à la suite de leur bourgeonnement vers l’extérieur et de leur fission de la membrane plasmique (Desrochers et al., 2016; Latifkar et al., 2019).

Les VE peuvent voyager d’une cellule productrice à une cellule réceptrice dans le milieu extracellulaire des tissus ou être transportées par le sang ou le liquide céphalo-rachidien. On en trouve également dans les urines, la salive, les larmes (sans que cela ait forcément une valeur adaptative). Des nouvelles techniques de protéomiques quantitatives permettent de trouver l’origine cellulaire des VE dans les biofluides selon leur profil protéique, notamment en tétraspanines dont les qualités/quantités varient beaucoup selon le type cellulaire d’origine et sont donc des marqueurs intéressants (Garcia-Martin et al., 2022).

Une variété de protéines, d’ARNm et de micro-ARN est associée aux MV et aux exosomes. Cette cargaison est souvent localisée dans la lumière des VE, même si, dans certains cas, elle est associée à la surface de la vésicule (Jeppesen et al., 2019; Valadi et al., 2007; Desrochers et al., 2016; Ratajczak et al., 2006).

Plusieurs protéines de liaison à l’ARN (RBP) ont été impliquées dans la sélection et le chargement des ARN dans les VE, notamment les protéines nucléaires hétérogènes ribonucléoprotéines A2/B1 (hnRNPA2B1) (Villarroya-Beltri et al., 2013), SYNCRIP (Santangelo et al., 2016), HuR (Mukherjee et al., 2016) et les protéines MVP (Statello et al., 2018; Teng et al., 2017). YBX1 a été impliqué dans le chargement du microARN miR-233 dans les exosomes (Shurtleff et al., 2016).

Les MV et les exosomes peuvent transférer leur cargaison vers d’autres cellules (c’est-à-dire receveuses) et, ce faisant, modifier le comportement cellulaire. Par exemple, lors d’un exercice musculaire intense les cellules musculaires striées squelettiques relarguent des exosomes contenant des microARN à destination du foie qui aboutissent à une meilleure sensibilité à l’insuline et donc à une meilleure régulation de la glycémie (Castano et al., 2020).

*Réponse différente à une alimentation sucrée de la glycémie sanguine en fonction des exosomes. Des exosomes purifiées à partir du plasma de souris sédentaires (EXO-CT) ou faisant régulièrementdes exercices intenses (EXO-RUN) ont été injectés 2 fois par semaine pendant 4 semaines dans des souris sédentaires. Puis un repas riche en sucre est donné à t=0 et la glycémie est suivie sur deux heures. Source : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2016112117

Les rôles des VE dans la progression du cancer ont été étudiés. Elles aident à façonner le microenvironnement tumoral, à promouvoir l’immunosuppression et à améliorer la croissance, la survie, l’invasion et la propagation métastatique des cellules cancéreuses (Antonyak et Cerione, 2014; Antonyak et al. ., 2011; Costa-Silva et al., 2015; Kreger et al., 2016; Van Niel et al., 2018). Par exemple, des cellules faiblement métastatiques issues de cancer du sein secrètent des vésicules extracellulaires riches en Transglutaminase 2 (Tg2) qui activent les fibroblastes environnants à produire une matrice extracellulaire favorable à la migration (Schwager et al., 2022). Les VE ont été particulièrement bien étudiées dans le cas des tumeurs des cellules sanguines dans la moelle osseuse (Ohyashiki et al., 2017).

*Les tumeurs hématologiques changent leur microenvironnement de la moelle osseuse grâce à des vésicules extracellulaires. Les cellules tumorales sécrètent des vésicules extracellulaires (petits cercles verts) vers leurs cellules environnantes telles que les cellules stromales mésenchymateuses de la moelle osseuse (BM-MSC), les cellules endothéliales et les cellules immunitaires. MDSC, cellule suppressive d’origine myéloïde ; NK, natural killer; RBC, globule rouge. Source : https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2016.0484

Cependant, les VE ont également un impact sur un large éventail de processus physiologiques. Dans les blastocystes de souris, Les VE produites par les cellules pluripotentes dans l’ICM sont transférés au trophectoderme pour favoriser l’implantation, une étape précoce de la grossesse dans laquelle l’embryon en développement se fixe et envahit l’utérus (Desrochers et al., 2016). Les MV transportent alors la laminine et fibronectine qui interagissent avec les intégrines le long des surfaces des trophoblastes, et déclenchent l’activation de deux kinases de signalisation, JNK et FAK, ce qui stimule la migration des trophoblastes.

**Les microvésicules en provenance des cellules ES stimulent la polarité migratoire des trophoblastes. Les trophoblastes HTR8/SVneo ont été incubés avec un milieu sans sérum ou avec ce milieu avec des Microvésicules isolées à partir de cellules ES pendant 1h. Les cellules sont fixées puis la F-actine est reconnue par la phalloïdine couplée à la rhodamine et Rac1 est reconnu par immunofluorescence. Les pointes de flèche indiquent les lamellipodes. Barre d’échelle = 20 μm. Source : https://www.nature.com/articles/ncomms11958
**Les microvésicules en provenance des cellules ES stimulent la phosphorylation de FAK dans les trophoblastes. Western-blot réalisé à partir de trophoblastes HTR8/SVneo privés de sérum et traités avec un milieu sans sérum supplémenté avec des MV provenant de cellules ES pendant les durées indiquées. Le rapport de chaque paire phospho-FAK/FAK totale est présenté. Source : https://www.nature.com/articles/ncomms11958
**Modèle résultant des expériences précédentes. D’après https://www.nature.com/articles/ncomms11958

Dans le système nerveux, de nombreuses fonctions des vésicules extracellulaires ont pu être mises en évidence à la fois en situation développementale, physiologique et pathologique. Par exemple, au cours du développement, les astrocytes produisent des VE qui exposent à leur surface la protéine synapsine-1 qui se lie au récepteur neuronal NCAM (neuronal cell adhesion molecule). L’internalisation de cette protéine après sa fixation à son récepteur par les neurones favorise la survie neuronale et la croissance des dendrites et des axones (Wang et al., 2011).

**Les différents rôles des vésicules extracellulaires dans le système nerveux central. Le panneau supérieur (fond vert) représente les conditions physiologiques, le panneau inférieur (fond rouge) représente les conditions pathologiques. La diversité du contenu vésiculaire est illustrée dans la vésicule centrale. La couleur des VE dépend de leur origine cellulaire. BHE : barrière hémato-encéphalique ; CMH : complexe majeur d’histocompatibilité ; DNF : dégénérescence neurofibrillaire. Source : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2021/12/msc200646/msc200646.html

Les exosomes peuvent avoir un rôle dans la régulation des cellules souches et dans le vieillissement. Par exemple, des exosomes produits par des adipocytes péri-musculaires de souris âgées (mais pas de souris jeunes) contiennent de grandes quantités de miARN Let-7d-3p qui inhibent la prolifération des cellules souches musculaires (les cellules satellites) et des précurseurs musculaires en diminuant l’expression du facteur de transcription HMGA2 (Itokazu et al., 2022).