Par Patrick Pla, Université Paris Saclay
- Généralités et maintien des cellules souches
- La formation des feuilles
- Induction florale et passage à la production d’une fleur
Généralités et maintien des cellules souches
Les plantes maintiennent une croissance et forment des nouveaux organes tout au long de leur vie. Cela leur permet notamment de conquérir leur place dans leur environnement et de s’adapter à ses changements malgré leur vie fixée. L’étude du méristème apical caulinaire permet de comprendre ce processus (il ne faut pas oublier qu’un deuxième méristème, le méristème racinaire fonctionne pour les parties souterraines, mais il ne sera pas traité ici).
Le méristème apical caulinaire (MAC) forme une masse bombée à l’apex de la tige et est constitué d’un ensemble de cellules qui met en place la tige (et assure ainsi la croissance primaire), les feuilles et ultimement les fleurs des Angiospermes. Il contient des cellules souches qui permettent de générer en continu de nouvelles cellules. Un centre organisateur régule la quantité de cellules souches grâce à une boucle de rétroaction négative. De manière itérative, au niveau de structures appelées noeuds, des feuilles sont générées latéralement avec des dispositions différentes selon les espèces. Des tiges latérales peuvent aussi être produites. Le maintien du MAC permet à la plante d’avoir une croissance tout au long de sa vie. La production d’une inflorescence florale signe cependant la fin de l’activité du MAC pour les tiges concernées.

Le méristème apical caulinaire (MAC) a été formellement identifié pour la première fois en 1759 par Caspar Friedrich Wolff à l’aide d’un microscope rudimentaire, mais ce n’est qu’en 1858 que Carl Nägeli a pu observer les cellules méristématiques à l’aide d’un microscope plus performant. Hanstein en 1868 a découvert que le MAC est organisé en trois couches. Schmidt en 1924 a observé que ces couches peuvent être associées aux plans de division cellulaire anticlinaux ou périclinaux.
Diverses expériences de marquage (par exemple, avec de la thymidine tritiée) ont confirmé l’activité proliférative plus élevée de la partie périphérique du MAC. La partie centrale, notamment celle qui contient les cellules souches, présente une activité mitotique faible (lors de la phase végétative. Ce ne sera plus vrai lors du passage à la floraison). La base génétique de la fonction du méristème a ensuite été analysée : de nombreux mutants avec un nombre anormal d’organes ou avec des identités d’organes modifiées ont été caractérisés à partir des années 1980 et étudié à l’échelle moléculaire par la suite.


La niche des cellules souches dans MAC est contrôlée par l’interaction réciproque de deux groupes adjacents de cellules. Il s’agit de la zone à l’extrémité du méristème en forme de dôme qui contient des cellules souches à division lente, et les cellules sous-jacentes du centre organisateur (OC). Lors de la division asymétrique des cellules souches, les cellules filles qui ne participent pas à l’autorenouvellement sont déplacées latéralement dans la zone périphérique (ZP), où elles peuvent entrer dans les voies de différenciation (Reddy et al., 2004 ; Stahl et Simon, 2005). Les cellules de l’OC expriment le facteur de transcription à homéodomaine WUSCHEL (WUS). La mutation perte-de-fonction de WUS aboutit à un méristème apical caulinaire réduit et qui n’est pas capable de se maintenir dans le temps. A l’inverse, des expériences d’expression ectopique de WUS induisent la formation de cellules souches ectopiques (y compris dans les racines) (Gallois et al., 2004). On en conclue que WUS est nécessaire et suffisant pour le maintien et la création de cellules souches.

Dans le MAC, WUS se déplace à travers les plasmodesmes vers les cellules CZ pour maintenir les cellules souches et favoriser l’expression du peptide de signalisation sécrété CLAVATA3 (CLV3) (Brand et al., 2000 ; Daum et al. , 2014 ; Müller et al., 2006 ; Schoof et al., 2000 ; Yadav et al., 2011). On dit que WUS a une action non-cellulaire autonome, c’est-à-dire qu’il est produit dans un groupe de cellules mais agit sur un autre groupe de cellules.

Signalons que WUS agit de deux manières pour activer l’expression de CLV3 : soit sous forme d’homodimère, soit sous forme d’hétérodimère avec STM (SHOOTMERISTEMLESS).
WUS agit directement sur des éléments régulateurs de la transcription de CLV3 qui ont été caractérisés.


Les mutants perte-de-fonction CLV1, CLV2 et CLV3 présentent un MAC hypertrophié. Ce sont donc des régulateurs négatifs du MAC.

Chez ces mutants, l’expression de WUS est augmentée indiquant que les protéines CLAVATA inhibent l’expression de ce gène dans l’OC. La liaison du ligand CLV3 aux récepteurs CLV1 localisés dans la membrane plasmique des cellules OC déclenche une cascade de transduction du signal et inhibe l’expression du WUS, établissant ainsi une boucle de rétroaction négative (Mayer et al., 1998 ; Ogawa et al., 2008 ; Yadav et al., 2011).
La boucle CLV3-WUS sert à maintenir les tailles relatives de la CZ et de l’OC, et ainsi assure la croissance du méristème le long de l’axe apico-basal. Cependant, la perte de cellules de la PZ due à la production d’organes latéraux nécessite une augmentation compensatoire de la taille du domaine des cellules souches.
Le peptide CLV3 est perçu dans l’OC par un homodimère de récepteur kinase à répétition riche en leucine (LRR), CLAVATA1 (CLV1), qui interagit avec les corécepteurs de la famille CLAVATA3 INSENSITIVE RECEPTOR KINASES (CIK) 1–4 (Cui et al ., 2018). L’activation du CLV1 implique l’autophosphorylation, l’interaction avec les kinases et les phosphatases associées à la membrane et cytosoliques.
Un deuxième complexe de récepteurs est constitué de CLV2, une autre protéine réceptrice de type LRR, et de CRN (SUPPRESSOR OF LLP1-2 (SOL2)/CORYNE), un récepteur-kinase sans LRR (Kayes et Clark 1998, Jeong et al. 1999, Müller et al. 2008). CLV2 et SOL2/CRN sont principalement des protéines résidentes du réticulum endoplasmique (ER) et dépendent l’une de l’autre pour leur localisation dans la membrane plasmique, où le complexe CLV2-SOL2/CRN reçoit le signal CLV3 extracellulaire (Bleckmann et al. 2010). Il est possible qu’il y ait également en parallèle des hétérodimères CLV1/CLV2 comme récepteurs.
Si on surexprime CLV1, on observe qu’une forme facilement observable de CLV3 (la protéine CLV3-GFP) diffuse moins loin. Ainsi, les récepteurs à CLV3 reçoivent et transduisent le signal bien entendu mais ont aussi un rôle de piégeage du ligand CLV3 et de limitation de sa diffusion ce qui contribue à préserver un domaine où WUS peut être exprimé.
Chez Arabidopsis, la sévérité du phénotype du mutant clv1 est modérée par les récepteurs paralogues BARELY ANY MERISTEM (BAM) via un mécanisme de «compensation active». Dans la compensation active, les gènes modifient leur comportement pour compenser une perturbation génétique (comme la perte d’un paralogue) ou environnementale. Ce cas est à distinguer de la compensation passive où les paralogues ne changent pas leur comportement en cas de perturbation, et sont plus proches d’être véritablement redondants. Dans le cas des BAM d’Arabidopsis, leurs niveaux d’expression augmentent et leurs domaines d’expression changent lorsque la fonction de CLV1 est compromise, compensant activement la perte de CLV1 (Nimchuk et al., 2015).
De manière intéressante, les espèces réactives de l’oxygène ont été impliqués récemment dans la régulation des cellules souches du MAC avec les ions superoxides O2.- qui s’accumulent dans les cellules souches et H202 (eau oxygénée) qui au contraire s’accumule dans les cellules qui sortent de l’état de cellules souches et qui vont se différencier grâce à l’expression de superoxide dismutases (SOD). O2.- et H202 influencent de manière opposée l’expression de WUS dans le centre organisateur.

De manière intégrée, le MAC peut répondre à des signaux en provenance d’autres régions de la plante. Par exemple, l’expression de WUS est stimulée par les cytokinines dont les précurseurs sont produits par les racines puis transportés dans les parties aériennes par le xylème (Gordon et al., 2009; Osugi et al., 2017). Cela permet de coordonner la croissance de l’appareil aérien avec la croissance de l’appareil racinaire.

SHOOTMERISTEMLESS (STM) qui est important pour le maintien des cellules souches stimule la synthèse de IPT5 et de IPT7 qui sont des enzymes impliqués dans la biosynthèse de cytokinines (Jasinski et al., 2005), ce qui indique qu’une source locale de production de cytokinines à proximité du MAC est aussi activée.

Les cytokinines sont des hormones végétales proches de l’adénine (la zéatine est la plus répandue). Elles sont synthétisées par trois enzymes codées par des familles multigéniques : l’ISOPENTENYL TRANSFERASE (IPT), la mono-oxygénase du cytochrome P450 (CYP735A) et LONELY GUY (LOG), qui convertissent les molécules en leur forme active. Les cytokinines se lient aux récepteurs ARABIDOPSIS HISTIDINE KINASE 2 (AHK2)–AHK4 ce qui initie une cascade de signalisation en plusieurs étapes qui conduit finalement à la phosphorylation et à l’activation des facteurs de transcription ARR de type B qui activent l’expression de gènes spécifiques. Les ARR de type B activent l’expression des ARR de type A qui ont un effet inhibiteur créant une boucle de rétroaction négative.
BILAN :

La formation des feuilles
Les feuilles sont des structures généralement aplaties qui constituent le principal organe photosynthétique des Angiospermes. Elles sont constituées d’un limbe plat (avec des nervures qui correspondent aux tissus conducteurs) et d’un pétiole qui relie la feuille au noeud de la tige.
Les feuilles se forment à partir de primordia foliaires qui forment des prolongements en forme de doigt qui se positionnent latéralement au MAC.

(A) Apex végétatif d’Arabidopsis vu en microscopie électronique à balayage. Le côté adaxial de la feuille est adjacent au MAC, tandis que le côté abaxial de la feuille est plus éloigné. L’axe dorso-ventral est établi au début du développement et est clairement évident dans la feuille de gauche, qui s’arque sur le méristème en raison de la croissance différentielle de chaque côté de la feuille. La barre d’échelle est de 50 μm.
(B) Feuille en développement d’Arabidopsis. Les trichomes adaxiaux sur la plus grande feuille sont un marqueur de l’axe dorso-ventral. La barre d’échelle est de 250 μm.
(C) Représentation schématique d’une coupe transversale de feuille avec l’épiderme externe adaxial et abaxial et le mésophylle interne légendés.
(D) Coupe transversale de la nervure médiane des feuilles avec le xylème adaxial et les cellules abaxiales du phloème. Source : https://journals.plos.org/plosgenetics/article?id=10.1371/journal.pgen.0020089
La production des feuilles se répète de manière cyclique à travers la formation de phytomères par le MAC (un phytomère est un segment de la tige qui comprend un entre-noeud et un noeud. Ce dernier porte une ou plusieurs feuilles et éventuellement un ou des bourgeons axillaires).

La distribution des organes latéraux le long de la tige, connue sous le nom de phyllotaxie, suit des schémas réguliers qui peuvent être décrits avec des outils mathématiques.

Un modèle couramment observé est la phyllotaxie en spirale où les organes successifs forment des angles d’environ 137 ° (qualifiés d’angle d’or). Lorsque deux organes sont initiés simultanément en paire opposée, décalés de 90° par rapport à la paire précédente, ils forment un motif « décussé ». La phyllotaxie « distique », telle qu’observée chez le maïs et le riz, est caractérisée par des organes s’initiant séquentiellement à des angles de 180°.
Cette organogenèse sur les parties latérales du MAC est déclenchée par l’accumulation de la phytohormone auxine. Sur la base des modèles d’expression des gènes de biosynthèse de l’auxine YUCCA1 (YUC1), YUC2, YUC4, YUC6 et TRYPTOPHAN AMINOTRANSFERASE OF ARABIDOPSIS1 (TAA1), on pense que l’auxine est produite dans tout le dôme du méristème et redistribuée vers les primordia naissants principalement via le transporteur d’efflux actif PIN1 (Yoshida et al., 2011). En accord avec cette idée, les transporteurs d’influx et d’efflux d’auxine sont nécessaires pour un positionnement correct des organes.
Les premières expériences ont démontré que la position des nouvelles ébauches dépend de la position des plus anciennes conduisant à un modèle d’inhibition latérale de la phyllotaxie dans lequel chaque ébauche d’organe agit comme un puits d’auxine, épuisant ainsi localement l’auxine et créant un champ inhibiteur où aucun autre organe peut initier. À l’aide de modèles informatiques, il a été prédit qu’une rétroaction de l’accumulation ou du flux d’auxine sur l’expression ou la polarité de PIN1 peut expliquer les schémas de phyllotaxie observés dans la nature.
Dans les ébauches foliaires, ASYMMETRIC LEAVES1 et 2 (AS1 et AS2) inhibent l’expression de SHOOTMERISTEMLESS (STM) ce qui compromet définitivement le maintien des cellules souches.
La lumière jour également un rôle dans l’initiation de la formation des feuilles via la production de cytokinine (Yoshida et al., 2011).

La forme des feuilles est sous la dépendance d’un réseau de régulation génique qui fonctionne au niveau des marges foliaires.

Induction florale et passage à la production d’une fleur
La fleur est une structure particulière aux Angiospermes, où le gamétophyte femelle reste enfermé dans les ovules qui se trouvent dans les ovaires, eux-mêmes inclus dans des carpelles. Les fleurs sont le plus souvent hermaphrodites et donc des pièces florales fertiles mâles, les étamines, produisant les grains de pollen (qui sont les gamétophytes mâles) sont également présents. Le gamétophyte mâle, contrairement au gamétophyte femelle, est dispersé (pollinisation par le vent ou les animaux (très souvent les insectes)). Les pièces fertiles (carpelles et étamines) sont entourées par des pièces dites stériles (sépales et pétales).


La production d’une fleur est un changement du programme de développement au sein du MAC et des cellules qui en dérivent. Ce changement est activé par des contrôles internes (âge, nutrition) et par des facteurs de l’environnement (photopériode, température).
Les plantes annuelles fleurissent une seule fois dans leur cycle de vie, qui se termine en 1 an. Les plantes bisannuelles, quant à elles, germent et poussent de manière stérile la première année et ne fleurissent que la seconde année. Les plantes vivaces telles que les buissons et les arbres vivent plusieurs années et peuvent fleurir une seule fois (monocarpie) ou à plusieurs reprises (polycarpie) à intervalles d’une ou de plusieurs années. Chez les espèces polycarpiques des milieux tempérés, l’initiation florale a souvent lieu en automne et le développement des fleurs seulement le printemps suivant.
La capacité des Angiospermes à correctement se reproduire dépend de leur capacité à produire des fleurs au bon moment de l’année (par exemple lorsque leurs insectes pollinisateurs sont actifs).
Le MAC devient un méristème d’inflorescence et produit les cellules qui donneront les pédoncules floraux et puis les sépales, les pétales, les étamines et les carpelles. Les cellules souches du méristème « s’épuisent » lors de la production des carpelles.
Rôle de la photopériode
La photopériode favorise la floraison en réponse au cycle jour/nuit et représente le signal environnemental principal de régulation de la floraison. Les plantes qui fleurissent uniquement lorsque la durée du jour dépasse un minimum critique sont appelées plantes à jours longs (LD) et les plantes qui fleurissent uniquement lorsque la durée du jour tombe en dessous d’un minimum critique sont appelées plantes de jours courts (SD). En réalité, c’est plutôt la durée de la nuit qui est critique pour la floraison dans ce cas et illuminer les plantes seulement pendant quelques minutes durant la phase obscure suffit à inhiber la floraison. Signalons que certaines plantes sont indifférentes à la photopériode et fleurissent lorsqu’elles arrivent à maturité, quelque soit la durée du jour (tomate, pissenlit, maïs…).
Arabidopsis est une plante LD facultative qui fleurit au plus vite dans des conditions LD, mais finira par fleurir également dans des conditions SD non inductives. Dans ce dernier cas, les gibbérellines (GA) deviennent indispensables à la floraison.
La photopériode est détectée dans les feuilles et provoque les changements dans l’identité du MAC. Chez plusieurs plantes, telles que Arabidopsis, la tomate, le tabac et le riz, la protéine florigène (FT) ou ses homologues se déplace des feuilles vers le MAC où elle induit le passage à la floraison.
La photopériode entraîne l’horloge circadienne, qui est un élément essentiel du mécanisme de détection de la longueur du jour par les plantes. Des études chez Arabidopsis thaliana ont identifié CONSTANS (CO) comme l’acteur ciblé par l’information photopériodique (Suarez-Lopez et al., 2001) et il est lui-même sous le contrôle de l’horloge circadienne.

La composante « rythme circadien » de la régulation est médiée par GIGANTEA (GI), CYCLING DOF FACTORS (CDF) et la protéine F-box FKF1, et régule les profils d’expression quotidiens de CO (Imaizumi et al., 2005 ; Sawa et al., 2007 ; Fornara et al., 2009).
Comment est perçue la lumière (et donc la photopériode) dans les feuilles ? La perception de la lumière dépend en partie des phytochromes. Ce sont des chromoprotéines absorbant la lumière rouge claire/rouge sombre avec un chromophore lié par covalence (Franklin et Quail, 2010). PhyA et phyB sont les membres les plus abondants et les plus importants de la famille. Dans l’obscurité, les phytochromes sont présents sous la forme inactive absorbant la lumière rouge clair (Pr), qui est convertie en conformère actif absorbant la lumière rouge sombre ou rouge lointain (Pfr avec fr pour far-red) lors d’une illumination à la lumière rouge clair. La forme Pfr est rapidement reconvertie en forme Pr en absorbant la lumière rouge sombre (photoconversion) ou par un processus plus lent et indépendant de la lumière appelé réversion sombre (Rockwell et al., 2006). La phosphorylation de phyB sur la sérine 86 accélère la réversion sombre du récepteur (Medzihradszky et al., 2013).

En parallèle, la lumière bleue est perçue dans les feuilles par les cryptochromes (CRY1 et CRY2) et FKF1.
La régulation de l’horloge circadienne de la transcription de CO et la régulation de sa stabilité protéique par les photorécepteurs limitent l’activité du CO à une fenêtre en fin d’après-midi. Cela permet au CO de favoriser la floraison en activant directement l’expression du gène florigène FLOWERING LOCUS T (FT) spécifiquement dans l’après-midi/la soirée de longue journée (LD) (An et al., 2004). Bien que les transcrits de CO soient exprimés à des niveaux élevés de l’après-midi au petit matin suivant sous les jours courts (SD) et les LD, la protéine CO ne s’accumule que dans l’après-midi des LD. La déstabilisation de la protéine CO par ubiquitinylation dans la période d’obscurité est due à l’activité du complexe CONSTITUTIVELY PHOTOMORPHOGENEC 1 (COP1)-SUPPRESSOR of PHYA-105 (SPA), qui empêche la floraison sous SD (Jang et al., 2008, Liu et al., 2008).

Les cryptochromes CRY1 et CRY2 interagissent avec SPA1 d’une manière dépendante de la lumière bleue, ce qui entraîne l’inhibition de l’activité COP1 et l’accumulation de la protéine CO le soir des longues journées (Lian et al., 2011 ; Zuo et al., 2011).

Le phytochrome A (phyA) stabilise également CO à ce moment d’une manière dépendante de la lumière rouge sombre (Valverde et al., 2004) qui implique notamment la désactivation de COP1 par l’interaction phyA-SPA1 (Sheerin et al., 2015). En revanche, phyB favorise la dégradation du CO dans la première moitié de la journée de manière dépendante de la lumière rouge (Valverde et al., 2004). La protéine PHL interagit à la fois avec le phyB sous sa forme Pfr et CO et semble protéger CO des effets du phyB, contribuant ainsi à l’accumulation de CO le soir (Endo et al., 2013).
CO active directement l’expression de FLOWERING LOCUS T (FT), qui à son tour déclenche la floraison (Samach et al., 2000).
Rôle de la vernalisation
La vernalisation correspond à une période prolongée de froid qui est nécessaire pour la floraison. Certaines souches d’Arabidopsis qui fleurissent durant l’été ne connaissent pas de vernalisation (elles vivent dans les climats plus chauds) tandis que d’autres souches d’Arabidopsis qui vivent sous des climats plus froids ont besoin de la vernalisation pour fleurir. Cela empêche toute floraison à la fin de l’été et en automne et restreint la floraison au printemps, période la plus favorable.
L’effet majeur de la vernalisation est la baisse de l’expression du répresseur de la floraison FLOWERING LOCUS C (FLC) qui est un facteur de transcription à boîte MADS.

L’expression de FLC est préalablement activée par FRIGIDA (FRI) qui favorise l’insertion du variant d’histone H3.3 dans les séquences régulatrices de FLC ce qui favorise des modifications de la chromatine qui stimulent sa transcription (Zhao et al., 2021).

La vernalisation doit renverser l’activation de l’expression de FLC (Li et al., 2018). En effet, FLC réprime directement l’expression de FT et de SOC1 qui sont nécessaires à la transition florale (Helliwell et al., 2006).

Signalons que les souches d’Arabidopsis qui fleurissent rapidement en été sans besoin de vernalisation présentent des mutations perte-de-fonction dans le gène codant FRIGIDA et/ou des mutations qui atténuent la fonction de FLC (Michaels et al., 2003). Lors de la colonisation récente des îles du Cap Vert par des Arabidopsis, il y a eu une sélection de mutations sur le gène FRIGIDA et FLC qui permettent d’accélérer la mise à fleur ce qui augmente la fitness de ces plantes dans cet environnement (Fulgione et al., 2022).
La vernalisation provoque une baisse progressive (sur quelques mois) de l’acétylation de l’histone H3 et provoque la déméthylation progressive de H3K9 par VRN1/VIN3 dans les séquences régulatrices de FLC (Sung et al., 2004, Song et al., 2013). L’exposition au froid active aussi l’expression du long ARN non codant (lncARN), COLDAIR qui est codé dans le premier intron de FLC. COLDAIR recrute la protéine PRC2 (de la famille des gènes Polycomb) qui aboutit à la triple méthylation répressive de H3K27 dans les séquences régulatrices de FLC (Heo et Sung, 2011). La quantité de H3K27me3 est proportionnelle à la période de froid que la plante a traversé. Une partie de l’organisation générale de la chromatine change lors de la vernalisation et on observe les deux allèles de FLC se rapprocher (Zhu et al., 2015).

La mémoire de la vernalisation, c’est-à-dire le maintien à un état silencieux du locus FLC permet aux plantes de fleurir, mais est réinitialisé ou effacé lors le développement des graines ce qui garantit que chaque génération doit être vernalisée pour acquérir la compétence de fleurir (Choi et al., 2009 ; Luo et al., 2020).

Morphogenèse florale et identité des verticilles
Le développement floral peut être divisé en plusieurs stades selon des structures morphologiques spécifiques. Au cours des stades 1 et 2, un groupe de cellules commence à former le méristème floral hémisphérique qui augmente progressivement sa taille. Au stade 3, des ébauches des sépales apparaissent, qui s’allongent pour générer des structures dépassant partiellement le méristème floral au stade 4.

Au stade 5, les ébauches d’étamines et de pétales apparaissent sur les flancs du méristème floral. Au stade 6, les sépales recouvrent complètement les structures internes. En parallèle, le méristème floral subit une différenciation terminale et les carpelles se différencient au niveau de la zone centrale. Au cours des stades 7 à 9, le développement des organes floraux se poursuit et le stigmate apparaît au sommet du gynécée. Au cours des stades 10 à 12, tous les organes floraux, en particulier les pétales et les étamines, s’allongent rapidement, ce qui donne des pétales de longueur similaire à celle des étamines. Au stade 13, les étamines s’allongent plus rapidement que le gynécée pour atteindre le sommet du stigmate ce qui permet l’autopollinisation et la fécondation réussie des ovules. Au cours des stades 14 à 19, les siliques et les graines se développent pour devenir matures, et les pétales et les sépales se flétrissent progressivement (Kwiatkowska, 2006).
La production réussie d’organes floraux (nombre approprié d’organes floraux disposés dans des positions normales) nécessite un maintien et une régulation stricts du méristème floral. Aux stades 1 à 2 du développement floral, le méristème floral utilise des mécanismes de régulation similaires à ceux du MAC. Les gènes affectant la taille du MAC affectent généralement la taille du méristème floral. Les mutants clv1 présentent des méristèmes floraux élargis, entraînant une augmentation du nombre d’organes dans les quatre verticilles floraux et même des verticilles supplémentaires (Clark et al., 1993).

Les mutants clv3 présentent des défauts du méristème floral similaires à clv1, suggérant que CLV3 fonctionne avec CLV1 pour maintenir l’identité du méristème floral à travers la même boucle de rétroaction CLV-WUS que dans le MAC (Sun et Ito, 2010).
Après le stade floral 3, le mécanisme moléculaire régulant le méristème floral devient différent de celui du MAC. Au cours du stade floral 3 à 6, WUS favorise l’expression d’AGAMOUS (AG), spécifique des pièces fertiles de la fleur (Lenhard et al., 2001; Lohmann et al., 2001). Avec le développement floral, AG et le complexe répressif polycomb 1 (PRC1) commencent ensemble à inhiber l’expression de WUS (Liu et al., 2011). En parallèle, AG commence à induire progressivement l’expression de KNUCKLES (KNU), un répresseur à doigts de zinc de type C2H2 qui recrute davantage PRC2 pour inhiber l’expression de WUS (Sun et al., 2009, Sun et al., 2014, Sun et al., 2019).


L’action de KNU et des complexes PRC2 aboutit à l’accumulation de triméthylation sur la lysine 27 de l’histone H3 (H3K27me3) qui est une marque épigénétique répressive de la transcription sur les séquences régulatrices de WUS (Sun et al., 2019).
Enfin, lorsque la fleur se développe jusqu’au stade 6, le méristème floral est différencié en phase terminale et les carpelles commencent à se développer. Une étude récente a montré que KNU peut inhiber directement l’expression de CLV1 et CLV3 lors de la détermination du méristème floral. De plus, KNU peut interagir avec WUS pour inhiber l’expression de CLV3 dans la zone centrale, et l’interaction KNU-WUS interrompt les homodimères WUS et les hétérodimères WUS-HAIRYMERISTEM 1, entraînant la terminaison du méristème floral (Shang et al., 2021).

L’identité des verticilles floraux (sépales, pétales, étamines, carpelles) est contrôlée par un réseau de régulation génique appelé modèle ABCE. Chaque verticille est spécifié par une combinaison de facteurs de transcription codés par les gènes de classe A, B, C et la présence des produits des gènes de classe E est indispensable pour tous les verticilles (en l’absence de tous les gènes de classe E (ou de tous les gènes de classe A,B,C) , il n’y a plus de verticilles floraux mais des feuilles qui sont produites, ce qui indique d’ailleurs que les pièces florales sont des feuilles modifiées).
Les protéines en question font partie de la famille des facteurs de transcription à boîte MADS, du nom de leur domaine de fixation à l’ADN (de 56 acides aminés qui se trouve plutôt dans la partie N-terminale). Les mutations des gènes correspondant provoquent des mutations homéotiques (un verticille transformé en un autre) mais ce ne sont pas des gènes codant des facteurs de transcription à homéoboîte comme les gènes Hox des animaux !
Le domaine MADS de ces facteurs de transcription se fixe sur des séquences spécifiques de l’ADN appelées « boîtes CArG » avec pour séquence consensus 5′-CC(A/T)6GG-3′.
Chaque verticille est spécifié par un complexe de 4 facteurs de transcription MADS (quartet) : au moins un facteur de classe E est toujours présent. Dans les régions donnant naissance aux sépales, il y a expression de facteurs de classe A, dans celles donnant naissance aux pétales, il y a expression de facteurs de classe A et de classe B, dans celles donnant naissance aux étamines, il y a expression de facteurs de classe B et de classe C et dans celles donnant naissance aux carpelles, il y a expression de facteurs de classe C. Chaque combinaison se fixe sur des sites de fixation de l’ADN qui sont en grande partie différents et donc activent des gènes cibles differents (Smaczniak et al., 2017).

Les gènes de classe A sont APETALA1 (AP1) et APETALA2 (AP2), les gènes de classe B sont APETALA3 (AP3) et PISTILLATA (PI), le gène de classe C est AGAMOUS (AG). Les gènes de classe E sont SEPALLATA1 (SEP1), SEP2, SEP3 and SEP4. Ces gènes de classe E ne sont pas complètement redondants avec SEP3 qui semble jouer un rôle plus important que les autres.
Il n’y a pas de gènes de classe D impliqués dans le développement des verticilles floraux au sens strict mais ils sont impliqués dans le développement des ovules à l’intérieur des carpelles d’où le modèle complet ABCDE.
L’expression ectopique du gène de classe E SEP3 avec des gènes de classe B et C dans des feuilles aboutit à des organes qui ressemblent à des étamines ce qui montre que les gènes BCE ne sont pas seulement nécessaires à la formation de pièces florales mais également partiellement suffisants pour transformer un organe végétatif en un organe reproducteur (Honma et Goto, 2001). De même l’expression ectopique de SEP3 et des deux gènes de classe B AP3 et PI aboutit à transformer les feuilles en structures ressemblant à des pétales.

Les composants d’un complexe de facteur de transcription MADS voient leur expression activée indépendamment mais ensuite dans une rétroaction positive de renforcement, le complexe lui-même active l’expression de ses composants.

Les gènes de classe A répriment l’expression des gènes de classe C et inversement. Ainsi, en cas de perte-de-fonction des gènes de classe C, l’expression des gènes de classe A s’étend sur tous les verticilles et de manière symétrique c’est le cas pour les gènes de classe C en cas de perte-de-fonction des gènes de classe A.
AGAMOUS est indispensable à la formation des grains de pollen car il active l’expression de SPOROCYTELESS (SPL) qui est nécessaire à cette formation (Ito et al., 2004). Le développement des nectaires qui sont des glandes sécrétrices de nectar qui attirent les insectes est aussi dépendant de AGAMOUS qui active l’expression de CRABS CLAW (CRC) qui dirige leur formation (Morel et al., 2018). En revanche, AGAMOUS inhibe l’expression des gènes qui permettent le développement des trichomes (des structures typiquement foliaires) ou qui sont impliqués dans la photosynthèse (O’Maoiléidigh et al., 2013; O’Maoiléidigh et al., 2018).
Le modèle ABCE a permis d’interpréter correctement les fleurs avec des structures moins classiques que celles d’Arabidopsis. Par exemple, les aristoloches ont des fleurs formées d’un périanthe en forme de trompe et d’un gynostemium considéré comme la fusion entre les étamines et la région stigmatique des carpelles. L’analyse génomique et transcriptomique d’une aristoloche a confirmé une expression généralisée des gènes de classe B (AP3 et PI) confirmant la nature pétaloïde du périanthe et la fusion des verticilles étamines/carpelles (Qin et al., 2021).
BILAN :

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- Les techniques et les outils pour la biologie cellulaire
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