La souris

Par Patrick Pla, Université Paris-Saclay

La souris domestique (Mus musculus) est un excellent modèle mammifère pour étudier une grande variété de caractères et de maladies, notamment ceux impliqués dans le développement.

L’introduction de la souris comme modèle en génétique date du début du XXème siècle, à la même époque que pour la drosophile. Dans une série d’articles de 1902 à 1905, Lucien Cuénot a utilisé des souris pour démontrer les lois de Mendel pour la première fois chez les mammifères. À peu près à la même période, William E Castle, un pionnier de l’utilisation de la drosophile pour étudier la génétique, a également commencé à étudier l’hérédité en utilisant comme phénotype la couleur du pelage chez la souris. Abbie Lathrop, institutrice à la retraite à Granby (Massachusetts, États-Unis) avait commencé quelques années plus tôt à élever des souris comme animaux de compagnie, en utilisant des souris achetées à d’autres amateurs et à sélectionner des couleurs de pelage particulières.

Pour faire un exercice de génétique (corrigé) sur la couleur du pelage de la souris, suivre ce lien.

Le laboratoire de Castle ainsi que d’autres ont lancé des programmes de recherche axés sur la génétique de la souris et ont rapidement réalisé la nécessité de créer des souches consanguines. En 1909, la première souche consanguine, DBA, a été créée et l’ère de la génétique de la souris moderne a commencé. Depuis lors, des centaines de souches consanguines ont été développées.

En 1929, CC Little a fondé le Roscoe B Jackson Memorial Laboratory, qui possède désormais le plus grand choix de lignées de souris au monde (plus de 8000 !) Parmi les autres fournisseurs importants figurent Charles River Laboratories, Harlan Laboratories et Taconic Farms, Inc., entre autres. Des lignées d’origine « naturelles » sont à la disposition des chercheurs mais aussi et surtout des lignées générées par différentes techniques de transgénèse et de mutations dirigées (voir plus loin).


Vidéo sur la dissection de l’appareil génital de la souris.

*Dissection d’une femelle gestante où on observe 16 embryons implantés dans les cornes utérines (remarquez l’abondante vascularisation liée à l’importance des échanges foeto-maternels au niveau du placenta). Photo : Hélène Vincent-Schneider (Préparation à l’Agrégation SVTU, Université Paris-Saclay)

Frise chronologique du développement des souris nouveaux-nés.


La souris est un excellent modèle pour étudier les étapes précoces du développement (clivage) et les étapes post-gastrulation.

*Clivage chez la souris et détermination des premiers lignages. A E3,5, l’ensemble épiblaste/endoderme primitif s’appelle la masse cellulaire interne. D’après https://www.nature.com/articles/ncomms6667

Pour la période juste après l’implantation correspondant à la gastrulation, les embryons ont une taille et une topologie qui les rend difficiles à étudier dans l’utérus. Des techniques récentes de culture d’embryons in vitro ont permis de faire se développer des embryons de souris jusqu’à 11 jours après fécondation soit jusqu’à l’organogenèse ! (Aguilera-Castrejon et al., 2021).

Transgénèse chez la souris

Par traitement hormonal, on fait superovuler des souris femelles puis on les accouple avec un mâle. Les zygotes sont rapidement récupérés dans les voies génitales puis incubés in vitro. L’ADN d’intérêt, souvent un gène sous le contrôle d’un promoteur spécifique est injecté dans le pronucléus mâle. Puis on sélectionne les embryons qui ont poursuivi correctement leur développement et on les injecte dans l’utérus d’une femelle pseudo-gestante (la copulation provoque des stimuli mécaniques nécessaires au bon développement de l’utérus pour la gestation alors la femelle est préalablement accouplée avec un mâle vasectomisé). Les souriceaux nés doivent ensuite être sélectionnés pour la présence et l’expression du transgène. En effet, l’insertion du transgène dans le génome ne réussit pas à chaque fois et le transgène peut aussi très bien s’être inséré dans de l’hétérochromatine silencieuse. On effectue une RT-PCR ou alors un test qui permet de révéler l’expression d’un gène rapporteur s’il est présent dans le transgène (par exemple, coloration X-gal si on a mis le gène de la β-galactosidase). De toute manière, il faut toujours étudier plusieurs lignées transgéniques car l’ADN exogène s’insérant n’importe où au hasard dans le génome, il faut vérifier que le phénotype observé n’est pas provoqué par la mutation créée par le point d’insertion mais bien par l’information du transgène lui-même.

Exemple d’application :

*Conséquence de la délétion d’un silencer sur l’expression d’un gène rapporteur. Le gène rapporteur LacZ a été mis sous le contrôle de séquences régulatrices du gène codant L1-CAM, une protéine d’adhérence importante pour la croissance des axones. La construction incorporée dans la lignée transgénique en I est la même que celle en D à l’exception de la délétion d’une séquence d’une trentaine de paires de bases appelée NRSE. Les embryons de souris ont été sacrifiés à E11,5, fixés et colorés dans du X-gal. On observe qu’en absence de NRSE, LacZ est nettement plus exprimé signant la présence d’un silencer dans NRSE. bw = paroi du corps; cg = ganglions crâniens ; cm = mésenchyme céphalique ; de = ectoderme dorsal ; drg = ganglions de la racine dorsale ; sc = chaîne nerveuse sympathique ; t = télencéphale ; tg = ganglion trijumeau.
Barre d’échelle = 1 mm. Source : https://rupress.org/jcb/article-pdf/138/6/1343/1273097/32824.pdf
Technique de knock-out et CRISPR/Cas9
*Introduction des mutations knock-out ou knock-in dans des souris. La mutation par recombinaison homologue est réalisée dans des cellules ES (embryonnaires souches) pluripotentes. Ces cellules sont injectées dans la masse cellulaire interne de blastocyste sauvage et l’embryon chimérique ainsi généré est transféré dans une mère porteuse. On obtient des souriceaux chimériques et certains d’entre eux ont leur lignée germinale formée à partir des cellules mutées (descendantes des cellules ES injectées dans les blastocystes). On croise ces souris avec des souris normales. A la génération suivante, la moitié des souris aura toutes leurs cellules hétérozygotes pour la mutation. On croise alors ces souris entre elles et un quart de leur descendance sera homozygote pour la mutation introduite. D’après https://www.genome.gov/about-genomics/fact-sheets/Knockout-Mice-Fact-Sheet
*Comparaison de la technique classique du knock-out/knock-in et de la technique CRISPR/Cas9 pour introduire une mutation chez la souris. a) Génération d’allèles knock-out et knock-in à l’aide de la technologie des cellules souches embryonnaires (ES) chez la souris. Un clonage est nécessaire pour insérer dans un vecteur plasmidique la construction qui va remplacer le locus endogène. Ces vecteurs contiennent une cassette de sélection positive et négative. Le plasmide est ensuite électroporé dans les cellules ES puis il y a une sélection. Après vérification de la bonne insertion de la séquence, les cellules sont injectées dans un blastocyste, qui est ensuite transféré dans une femelle pseudogestante. Les descendants chimériques sont génotypés pour s’assurer que la construction attendue est correctement insérée dans le génome par recombinaison homologue. Les souris chimères devront se reproduire avec une souris sauvage pour produire des souris hétérozygotes qui, croisées entre elles, permettront de donner les mutants homozygotes. b) Génération d’allèles complexes à l’aide d’une édition améliorée du génome via la technologie d’administration d’acide nucléique dans l’oviducte (i-GONAD). Un ou deux ARN guide (sgRNA) sont conçus pour soit perturber un exon critique (knockout), soit supprimer un exon entier pour le remplacer par une séquence au choix (knockin). Les sgRNA sont synthétisés, ou transcrits in vitro, puis complexés avec le tracrRNA puis la protéine Cas9 pour former un complexe ribonucléoprotéique (RNP). Les RNP sont électroporés in situ dans l’oviducte d’une femelle gravide avec un long ADN simple brin qui servira de matrice à la réparation (ssODN). Les descendances sont génotypées pour vérifier l’édition réussie du gène d’intérêt. La deuxième procédure est nettement moins couteuse et nettement moins longue. Source : https://genomebiology.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13059-018-1409-1
Le système Cre-Lox

Les knock-out abolissent la fonctionnalité d’un gène depuis le début de son expression. Or parfois un gène peut avoir des fonctions à différents moments du développement. S’il a un rôle vital à une phase précoce, un knock-out ne permettra pas de connaître sa fonction à des phases tardives. Le système Cre-Lox a permis de franchir cet obstacle en rendant possible une délétion d’un gène contrôlée spatio-temporellement au cours du développement. La Cre est une recombinase du bactériophage P1 qui est capable d’exciser toute séquence située entre deux séquences LoxP. Ainsi, il suffit de faire une souris transgénique exprimant Cre sous le contrôle d’un promoteur spécifique ou exprimant une forme activable de Cre (fusion Cre-récepteur aux œstrogènes activable par le tamoxifène) et de la croiser avec une souris où on a introduit par knock-in deux séquences LoxP entourant l’ADN à déléter.

**Système Cre-Lox. Ici, l’activation de la Cre par un promoteur spécifique provoque la délétion d’un gène mais permet l’expression de la eGFP (une forme de la GFP à la fluorescence renforcée). En effet, dans la souris knock-in en haut à droite, la eGFP ne peut être exprimée car il y a un codon STOP entre le gène ciblé et elle. Grâce à l’action de la Cre dans les cellules où elle est exprimée dans les souris F1, non seulement le gène cible mais aussi ce codon STOP est éliminé. Cette méthode permet de repérer par fluorescence les cellules où le gène cible a été délété et de suivre leur devenir. Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Cre-Lox_recombination#/media/File:CreLoxP_experiment.png

Le système Cre-Lox peut aussi être utilisé pour faire du suivi de lignage cellulaire. L’activation d’un promoteur donné dirige l’expression de la Cre qui va permettre la délétion d’une séquence générant un codon STOP qui empêche la production d’une protéine rapportrice fonctionnelle. Toutes les cellules qui ont activé le promoteur et aussi ses descendantes vont alors exprimer la protéine rapportrice. Cela est valable y compris pour les cellules où l’activité du promoteur se sera éteinte car la délétion de la séquence générant un codon STOP est définitive et donc une expression transitoire de la Cre suffit.

**Suivi de lignage cellulaire chez la souris grâce au système Cre-Lox
De plus en plus d’études de transcriptomique

Le développement chez la souris, comme dans d’autres modèles, est de plus en plus étudié à l’échelle transcriptomique et cellulaire par scRNAseq (analyse transcriptomique sur cellules isolées). Des lignages basés sur la compilation de plusieurs études à différents stades ont pu être établis (Qiu et al., 2022).

***Lignages de la souris entre E3,5 et E13,5 déduit des études de transcriptomiques sur cellules isolées (scRNAseq). Source : https://www.nature.com/articles/s41588-022-01018-x

SITES DE RÉFÉRENCE : The Jackson Laboratory et ses plus de 8000 lignées de souris.

Atlas des stades de l’embryogenèse de la souris

QUELQUES LABORATOIRES FRANCOPHONES TRAVAILLANT AVEC CE MODELE :

Centre d’études et de recherches thérapeutiques en ophtalmologie (CERTO) – Rétina France, Saclay

Equipe « Reprogrammation épigénétique et Développement » – IGM, Montpellier

Equipe « Mécanismes moléculaires de la différenciation cellulaire dans l’embryon précoce de souris » – GRED, Clermont-Ferrand

Equipe « Signalisation Notch dans les cellules souches et les tumeurs » – Institut Curie, Paris

Equipe « Mécanique du développement des Mammifères » – Institut Curie, Paris

Equipe « Signalisation et progression tumorale » – Institut Curie, Orsay

Equipe « Signalisation, développement et tumeurs cérébrales » – Institut Curie, Orsay

Equipe « Rôle des cils dans le développement et la pathologie du cerveau » – IBENS, Paris

Equipe « Cellules souches et développement musculaire » – Institut Pasteur, Paris