Par Patrick PLA, Université Paris-Saclay

L’organogenèse correspond à l’étape de formation des organes par prolifération des précurseurs déterminés puis par leur différenciation. Il peut y avoir encore des migrations (cellules de crête neurales vers de multiples destinations, myoblastes vers les bourgeons de membres, cellules germinales vers les gonades en formation…) mais elles ne concernent plus l’embryon entier comme lors de la gastrulation. Souvent, les organes se forment par interactions entre les tissus (placode ectodermique et neuroectoderme pour l’œil par exemple), souvent provenant de feuillets embryonnaires différents (épiderme provenant de l’ectoderme et derme et hypoderme provenant du mésoderme pour la peau). De l’apoptose localisée permet de « sculpter » et d’ajuster le nombre de cellules (formation des doigts de nombreux Tétrapodes, sélection des neurones fonctionnels).
Pour les vertébrés, alors qu’à la neurulation et au début de l’organogenèse, tous les embryons se ressemblent (stade phylotypique), à la fin de l’organogenèse, ils ont la morphologie et l’anatomie propre à leur espèce avec parfois de larges variations au sein d’un phylum (de la baleine à la souris chez les Mammifères euthériens par exemple).
Alors que les précédentes étapes du développement étaient bien bornées dans le temps, l’organogenèse a un début et une fin très différenciée selon l’organe considéré. Elle peut se terminer largement après le développement embryonnaire (cerveau du nouveau-né humain très immature, glandes mammaires chez la femme). Pour les organismes à développement indirect, la métamorphose est une période intense d’organogenèse post-embryonnaire. Pour les organes et les tissus qui se renouvellent en permanence grâce aux cellules souches (peau, intestin, « tissu sanguin »…), l’organogenèse ne se termine vraiment qu’avec la mort.
Le développement des somites est une étape importante de l’organogenèse. Ces structures épithéliales du mésoderme paraxial sont composées de cellules multipotentes qui sont spécifiées par la suite. Elles se divisent en sclérotome (avec des cellules qui réalisent une transition épithélio-mésenchymateuse) et en dermomyotome. Le sclérotome donne naissance aux vertèbres et aux tendons (seulement la partie la plus dorsale du sclérotome appelée syndetome). Le dermomyotome se divise ensuite en myotome (qui donne les muscles du dos et des membres) et en dermatome (qui donne le derme). La démonstration de ces lignages a notamment été mise en évidence avec les chimères caille-poulet :


La régionalisation de chaque somite dépend de signaux paracrines en provenance du tube neural, de l’ectoderme non-neural (épiderme) et de la chorde.

Parmi les structures embryonnaires qui changent de forme et de fonction au cours de l’organogenèse, citons la chorde qui est une structure de soutien général pour l’embryon et un centre de signalisation important et qui dégénère en partie et finit par donner le noyau pulpeux (ou nucleus pulposus) des disques intervertébraux (Choi et al., 2008).

Au cours de l’organogenèse des Vertébrés, la partie antérieure du tube neural se développe pour donner 3 puis 5 vésicules à l’origine des différentes parties du cerveau. Le canal central peut s’élargir et former des ventricules remplies de liquide céphalorachidien en continuité avec le canal de l’épendyme de la moelle épinière qui est position plus postérieure.

Les inductions entre tissus d’origines différentes sont assez nombreuses au cours de l’organogenèse ce qui montre l’interdépendance de structures dont on soupçonnerait difficilement qu’elles aient un lien entre elles. Par exemple, les glandes mammaires (qui sont des glandes sudoripares modifiées) sont induites dans l’épiderme par les somites sous-jacents (qui donnent des vertèbres, des muscles et du derme) via une signalisation FGF.

Citons un autre exemple : la formation et le développement de la vésicule otique (dérivée de la placode otique) qui est à l’origine de nombreuses structures de l’oreille interne :

On peut citer aussi l’induction des hépatocytes et des futures cellules pulmonaires dans l’endoderme est provoquée par des FGF produits par le mésoderme cardiaque (Shifley et al., 2012).
La morphogenèse de l’œil est aussi le fruit de signalisations croisées entre l’ectoderme (qui forme le cristallin et la cornée) et le neurectoderme du cerveau antérieur (qui forme la rétine et l’épithélium pigmenté rétinien).

La vésicule optique qui est une expansion du prosencéphale (cerveau antérieur) envoie des signaux inducteurs vers l’épiderme qui va former la placode du cristallin : BMP4, FGF8 et Delta. L’épiderme avait déjà été rendu compétent à ces signaux au préalable, dès la gastrulation. La placode du cristallin envoie en retour des FGF qui activent la formation de la coupe optique, laquelle envoie en retour d’autres FGF qui provoquent l’invagination de la placode. Il s’agit d’un exemple classique d’inductions réciproques successives (Ogino et al., 2012). Signalons que les cellules du cristallin envoient aussi des signaux vers l’épiderme sus-jacent resté à la surface pour y induire la formation de la cornée.

Le mésenchyme céphalique intervient également en envoyant des signaux qui activent l’expression de Mitf dans l’épithélium pigmenté rétinien. Mitf est un facteur de transcription (qui est aussi exprimé dans les mélanocytes issus des crêtes neurales) et qui active la transcription des gènes codant les enzymes permettant de synthétiser les mélanines. Le mésenchyme céphalique donne lui-même naissance à la choroïde (en contact avec l’épithélium pigmenté rétinien) et à la sclérotique.
La placode qui donne le cristallin n’est qu’une des multiples placodes céphaliques (épaississements de l’ectoderme provenant de la bordure neurale antérieure) dont beaucoup donnent naissance à de nombreux dérivés nerveux et gliaux dans le système nerveux céphalique.

Les placodes olfactives ou nasales donnent notamment naissance aux neurones permettant l’olfaction dans l’épithélium olfactif et dans l’organe voméro-nasal ainsi qu’aux neurones à GnRH qui vont ensuite migrer et se localiser dans l’hypothalamus (Cho et al., 2019; Barbotin et al., 2017) et secréter la neurohormone GnRH en direction de vaisseaux sanguins qui irriguent l’adénohypophyse ou hypophyse antérieure qui elle-même dérive d’une autre placode, la placode adénohypophysaire. Ces neurones contrôlent alors la reproduction. Ce lien entre olfaction est reproduction est retrouvé chez les patients du syndrome de Kallmann qui associe anosmie et hypogonadisme.
Nous ne pouvons bien sûr pas être exhaustif et décrire le développement de tous les organes et tissus mais vous trouverez sur le site un certain nombre de pages consacrées à des structures importantes et particulièrement bien étudiées :
Développement des muscles striés squelettiques
Développement des cellules de crêtes neurales
Développement des organes génitaux et des cellules germinales
Développement des bourgeons de membre
EN DIRECT DES LABOS : Les organoïdes : Des chercheurs du monde entier cherchent actuellement à différencier des cellules souches en organoïdes, c’est-à-dire en organes produits in vitro, contenant plusieurs types cellulaires organisés et fonctionnels. Ces organoïdes peuvent apporter de grandes avancées scientifiques fondamentales mais aussi appliquées pour les thérapies cellulaires (qui deviendraient des thérapies tissulaires voire permettraient la production de véritables greffons d’organes complets in vitro). Ils peuvent aussi constituer une alternative partielle à l’expérimentation animale.
QUELQUES LABORATOIRES FRANCOPHONES QUI TRAVAILLENT SUR LE SUJET :
Equipe « Biologie à grande échelle » – CEA Grenoble
- Adhérence cellule-cellule
- Arabidopsis thaliana
- Axe antéro-postérieur chez la drosophile
- Caenorhabditis elegans
- Concepts principaux
- Contrôle de la traduction
- Contrôle de la transcription
- Contrôle génétique
- Croissance et guidage axonal
- Des modèles animaux moins classiques
- Développement et évolution
- Et l’Humain ?
- Exercices sur l’ovogenèse, la spermatogenèse et la fécondation
- Exercices sur le contrôle de l’expression des gènes
- Exercices sur le développement des bourgeons de membre
- Exercices sur le développement des muscles striés squelettiques
- Exercices sur les cycles et les divisions cellulaires
- Exercices sur les étapes du développement, les inductions embryonnaires et la mise en place des axes de polarité
- Exercices sur les matrices extracellulaires, le cytosquelette et les adhérences cellule-cellule
- Exercices sur les voies de signalisation
- Glossaire
- Hématopoïèse et développement des cellules du système immunitaire
- Histoire de la biologie cellulaire et de la biologie du développement
- L’acide rétinoïque
- L’apoptose
- L’ovogénèse prépare le développement embryonnaire
- La drosophile
- La famille TGFβ et ses voies de signalisation
- La fécondation
- La formation des somites
- La gastrulation
- La métamorphose chez les Hexapodes et les Amphibiens
- La neurogénèse chez les mammifères adultes
- La neurulation
- La poule
- La souris
- La voie de signalisation de l’auxine et ses rôles
- La voie de signalisation Hedgehog
- La voie de signalisation Hippo et ses composants YAP/TAZ
- La voie de signalisation Notch
- Le clivage
- Le cytosquelette
- Le destin des cellules et les réseaux de régulation génique
- Le développement des bourgeons de membre
- Le développement des muscles striés squelettiques
- Le développement des organes génitaux et des cellules germinales
- Le développement du cortex
- Le méristème apical caulinaire en phase végétative et lors de la formation d’une fleur
- Le poisson zèbre
- Le xénope
- Les cellules des crêtes neurales
- Les cellules et les gènes en action dans le développement
- Les cellules souches
- Les cellules tumorales
- Les cycles et les divisions cellulaires
- Les étapes du développement
- Les étapes du développement embryonnaire d’Arabidopsis thaliana et leur contrôle
- Les inductions embryonnaires et les gradients de morphogène
- Les matrices extracellulaires animales
- Les organismes modèles
- Les outils pour étudier l’expression et la fonction des gènes
- Les techniques et les outils pour la biologie cellulaire
- Les transitions épithélio-mésenchymateuses et les migrations cellulaires
- Les vésicules extracellulaires
- Les voies de signalisation
- Les voies de signalisation FGF
- Mise en place des axes chez les Vertébrés
- Structures et processus cellulaires
- Voies de signalisation WNT