L’organogenèse

Par Patrick PLA, Université Paris-Saclay

*Coupe transversale d’embryon de xénope à la fin de la neurulation/début de l’organogenèse vue en microscopie électronique à balayage. Vue de la région dorsale. Photo donnée par Eric Théveneau, CBI Toulouse.
*Organogenèse dans une lignée transgénique rapportrice de l’activité Wnt chez Xenopus tropicalis. Pour chaque stade, des vues latérales et dorsales sont présentées : afb = partie antérieure du prosencéphale ; bi = îlots sanguins ; cns = système nerveux central ; ey = œil ; f = nageoires ; h-myo = myoblastes hypaxiaux ; NC = cellules de la crête neurale en migration ; ot = vésicule otique ; ov = vésicule optique ; PSM = mésoderme présomitique postérieur. Source : Borday et al., 2018

L’organogenèse correspond à l’étape de formation des organes par prolifération des précurseurs déterminés puis par leur différenciation. Il peut y avoir encore des migrations (cellules de crête neurales vers de multiples destinations, myoblastes vers les bourgeons de membres, cellules germinales vers les gonades en formation…) mais elles ne concernent plus l’embryon entier comme lors de la gastrulation. Souvent, les organes se forment par interactions entre les tissus (placode ectodermique et neuroectoderme pour l’œil par exemple), souvent provenant de feuillets embryonnaires différents (épiderme provenant de l’ectoderme et derme et hypoderme provenant du mésoderme pour la peau). De l’apoptose localisée permet de « sculpter » et d’ajuster le nombre de cellules (formation des doigts de nombreux Tétrapodes, sélection des neurones fonctionnels).

Pour les vertébrés, alors qu’à la neurulation et au début de l’organogenèse, tous les embryons se ressemblent (stade phylotypique), à la fin de l’organogenèse, ils ont la morphologie et l’anatomie propre à leur espèce avec parfois de larges variations au sein d’un phylum (de la baleine à la souris chez les Mammifères euthériens par exemple).

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*Embryon humain en cours d’organogenèse (50 jours environ, soit 7 semaines).

Alors que les précédentes étapes du développement étaient bien bornées dans le temps, l’organogenèse a un début et une fin très différenciée selon l’organe considéré. Elle peut se terminer largement après le développement embryonnaire (cerveau du nouveau-né humain très immature, glandes mammaires chez la femme). Pour les organismes à développement indirect, la métamorphose est une période intense d’organogenèse post-embryonnaire. Pour les organes et les tissus qui se renouvellent en permanence grâce aux cellules souches (peau, intestin, « tissu sanguin »…), l’organogenèse ne se termine vraiment qu’avec la mort.

Le développement des somites est une étape importante de l’organogenèse. Ces structures épithéliales du mésoderme paraxial sont composées de cellules multipotentes qui sont spécifiées par la suite. Elles se divisent en sclérotome (avec des cellules qui réalisent une transition épithélio-mésenchymateuse) et en dermomyotome. Le sclérotome donne naissance aux vertèbres et aux tendons (seulement la partie la plus dorsale du sclérotome appelée syndetome). Le dermomyotome se divise ensuite en myotome (qui donne les muscles du dos et des membres) et en dermatome (qui donne le derme). La démonstration de ces lignages a notamment été mise en évidence avec les chimères caille-poulet :

On prélève un somite chez un embryon de caille de 2 jours et on le greffe sur un embryon de poulet du même stade à la place du somite correspondant. Il en résulte un embryon chimère caille-poulet.
*Coupe transversale d’un embryon chimère caille-poulet, 5 jours après la greffe de somite de caille réalisée selon le protocole présenté sur la figure précédente. La coupe a été immunomarquée à l’aide d’un anticorps anti-QCPN. Ce dernier a ensuite été révélé avec un anticorps secondaire couplé à une enzyme qui donne une coloration brune en présence de son substrat. La vertèbre visible sur la coupe a été colorée au bleu d’alcyan (un colorant qui marque les tissus cartilagineux). L’image de gauche correspond à la partie centrale de la coupe transversale. Celle de droite est un agrandissement de la périphérie de la coupe pour voir la peau. Photo : Patrick Pla, Université Paris-Saclay

La régionalisation de chaque somite dépend de signaux paracrines en provenance du tube neural, de l’ectoderme non-neural (épiderme) et de la chorde.

*Rôle de morphogène de Shh dans la différenciation des régions des somites. Shh produit par la chorde forme un gradient qui détermine la régionalisation du somite (une forte concentration induit le sclérotome qui forme les vertèbres, une concentration moyenne-faible induit le dermomyotome). Shh n’est pas le seul signal reçu par les cellules des somites : les signalisations Wnt et BMP contribuent aussi à la régionalisation. Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012160608011548

Parmi les structures embryonnaires qui changent de forme et de fonction au cours de l’organogenèse, citons la chorde qui est une structure de soutien général pour l’embryon et un centre de signalisation important et qui dégénère en partie et finit par donner le noyau pulpeux (ou nucleus pulposus) des disques intervertébraux (Choi et al., 2008).

**Le destin des cellules de la chorde lors de l’organogenèse chez la souris. Les cellules de la chorde sont suivies grâce à leur expression de Shh. La recombinase Cre sous le contrôle de l’élément régulateur de l’expression de Shh dans la chorde a été utilisé pour activer R26R :: EYFP. EYFP est observé en vert. Images fluorescentes surimposées sur des images en microscopie classique de la colonne vertébrale (vues dorsales). A: À E12.5, la chorde commence à former des « renflements » aux endroits où le noyau pulpeux (ou nucleus pulposus) du disque intervertébral se formera (les flèches indiquent la chorde). B : à E15.5, des noyaux pulpeux clairement délimités se sont formés à partir des cellules marquées. Une partie de la chorde est encore observée entre les disques (flèche). C, D : les cellules marquées sont limitées au nucleus pulposus et sont pour la plupart exclues des vertèbres (v) à E16.5 (C) et à P0 (D). NP, noyau pulpeux. Source : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2646501/

Au cours de l’organogenèse des Vertébrés, la partie antérieure du tube neural se développe pour donner 3 puis 5 vésicules à l’origine des différentes parties du cerveau. Le canal central peut s’élargir et former des ventricules remplies de liquide céphalorachidien en continuité avec le canal de l’épendyme de la moelle épinière qui est position plus postérieure.

*Développement de l’encéphale chez l’embryon humain. D’après https://en.wikipedia.org/wiki/Brain_vesicle#/media/File:1302_Brain_Vesicle_DevN.jpg

Les inductions entre tissus d’origines différentes sont assez nombreuses au cours de l’organogenèse ce qui montre l’interdépendance de structures dont on soupçonnerait difficilement qu’elles aient un lien entre elles. Par exemple, les glandes mammaires (qui sont des glandes sudoripares modifiées) sont induites dans l’épiderme par les somites sous-jacents (qui donnent des vertèbres, des muscles et du derme) via une signalisation FGF.

***Les somites induisent via FGF10 la formation de la placode (épaississement épidermique) qui donne naissance à la glande mammaire. (A) Expression de la β-galactosidase chez les souris rapporteurs de l’activité de la signalisation Wnt (Topgal) à E10,5 montrant des cellules répondant à Wnt dans l’ectoderme où se forme la glande mammaire. (B) L’expression de Fgf10 dans les somites est activée par les gènes Hox au bon endroit sur l’axe antéro-postérieur. Fgf10 agit via Fgfr2b dans l’ectoderme pour déclencher l’expression de Wnt10b conduisant à la formation de la placode mammaire à l’origine de la glande mammaire. (C) Expression de l’ARNm de Fgf10 par hybridation in situ à E10.5 montrant l’expression de Fgf10 dans les somites. (D) La différenciation progressive de l’épithélium dérivé de l’ectoderme en glande mammaire, d’abord de forme cuboïde (stade 30 somites) puis cylindrique/cylindrique élargi (stade 40 somites) pour former l’épithélium mammaire constituant la placode (au stade 50 somites) est associée à une augmentation de l’expression de Fgf10 dans les somites en parallèle (colorations rose). Source : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fcell.2020.00415/full

Citons un autre exemple : la formation et le développement de la vésicule otique (dérivée de la placode otique) qui est à l’origine de nombreuses structures de l’oreille interne :

***Induction de la placode otique et différenciation de la vésicule otique. FGF3, secrété par le cerveau postérieur et FGF10, secrété par le mésenchyme de la tête, induisent ensemble la formation de la placode otique et son développement en coupe otique et en vésicule otique. Après la formation de la vésicule otique, FGF20 agit sur FGFR1 dans l’épithélium prosensoriel en tant que facteur autocrine permissif requis pour la différenciation des cellules ciliées externes et des cellules de soutien externes dans l’organe de Corti (oreille interne). Source : https://wires.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/wdev.176

On peut citer aussi l’induction des hépatocytes et des futures cellules pulmonaires dans l’endoderme est provoquée par des FGF produits par le mésoderme cardiaque (Shifley et al., 2012).

La morphogenèse de l’œil est aussi le fruit de signalisations croisées entre l’ectoderme (qui forme le cristallin et la cornée) et le neurectoderme du cerveau antérieur (qui forme la rétine et l’épithélium pigmenté rétinien).

Morphogenèse de l’œil chez un poisson zèbre transgénique qui exprime la GFP à la membrane plasmique et la RFP (rose) dans les cellules de crête neurales (sous le contrôle du promoteur de Sox10). On voit l’invagination de la coupe optique et celle de la placode du cristallin. Les cellules de crêtes neurales envahissent l’environnement de l’œil et forment un mésenchyme périoculaire. Source : https://journals.biologists.com/dev/article/147/4/dev181420/223182/Optic-cup-morphogenesis-requires-neural-crest
*Morphogenèse de l’œil. D’après Practical studies of animal development par Billett et Wild, Ed. Willmer Brothers (1975)

La vésicule optique qui est une expansion du prosencéphale (cerveau antérieur) envoie des signaux inducteurs vers l’épiderme qui va former la placode du cristallin : BMP4, FGF8 et Delta. L’épiderme avait déjà été rendu compétent à ces signaux au préalable, dès la gastrulation. La placode du cristallin envoie en retour des FGF qui activent la formation de la coupe optique, laquelle envoie en retour d’autres FGF qui provoquent l’invagination de la placode. Il s’agit d’un exemple classique d’inductions réciproques successives (Ogino et al., 2012). Signalons que les cellules du cristallin envoient aussi des signaux vers l’épiderme sus-jacent resté à la surface pour y induire la formation de la cornée.

**Inductions lors du développement de l’oeil chez la souris. Rx, Pax6, Six3, Otx2 et Lhx2 sont exprimés de manière homogène dans le neuroépithélium aux stades du sillon optique (A) et de la vésicule optique précoce (OV) (A′). Les signaux inducteurs régionalisent l’OV (A′, A″). La région formant la lentille (ou le cristallin) de l’ectoderme de surface (SE) exprime Pax6 et Six3 au stade du sillon optique (A). La signalisation BMP et FGF et l’expression de Sox2 entraînent la formation de la placode du cristallin (A’, A″). ANP = plaque neurale antérieure; LP = placode du cristallin; OV = vésicule optique; pNR = précurseurs de la neurorétine; pOS = précurseurs du pédoncule optique; pRPE = précurseurs de l’épithélium pigmenté rétinien; SE = ectoderme de surface. Source : https://journals.biologists.com/dev/article/136/23/3895/43745/Lhx2-links-the-intrinsic-and-extrinsic-factors

Le mésenchyme céphalique intervient également en envoyant des signaux qui activent l’expression de Mitf dans l’épithélium pigmenté rétinien. Mitf est un facteur de transcription (qui est aussi exprimé dans les mélanocytes issus des crêtes neurales) et qui active la transcription des gènes codant les enzymes permettant de synthétiser les mélanines. Le mésenchyme céphalique donne lui-même naissance à la choroïde (en contact avec l’épithélium pigmenté rétinien) et à la sclérotique.

La placode qui donne le cristallin n’est qu’une des multiples placodes céphaliques (épaississements de l’ectoderme provenant de la bordure neurale antérieure) dont beaucoup donnent naissance à de nombreux dérivés nerveux et gliaux dans le système nerveux céphalique.

**Dérivés des placodes céphaliques (en couleurs, les structures auxquelles elles contribuent). En gris, sont représentés les flux de migration des cellules de crêtes neurales. Source : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fphys.2020.608880/full

Les placodes olfactives ou nasales donnent notamment naissance aux neurones permettant l’olfaction dans l’épithélium olfactif et dans l’organe voméro-nasal ainsi qu’aux neurones à GnRH qui vont ensuite migrer et se localiser dans l’hypothalamus (Cho et al., 2019; Barbotin et al., 2017) et secréter la neurohormone GnRH en direction de vaisseaux sanguins qui irriguent l’adénohypophyse ou hypophyse antérieure qui elle-même dérive d’une autre placode, la placode adénohypophysaire. Ces neurones contrôlent alors la reproduction. Ce lien entre olfaction est reproduction est retrouvé chez les patients du syndrome de Kallmann qui associe anosmie et hypogonadisme.


Nous ne pouvons bien sûr pas être exhaustif et décrire le développement de tous les organes et tissus mais vous trouverez sur le site un certain nombre de pages consacrées à des structures importantes et particulièrement bien étudiées :

Développement des somites

Développement des muscles striés squelettiques

Développement des cellules de crêtes neurales

Développement des organes génitaux et des cellules germinales

Développement des bourgeons de membre

Développement du cortex

EN DIRECT DES LABOS : Les organoïdes : Des chercheurs du monde entier cherchent actuellement à différencier des cellules souches en organoïdes, c’est-à-dire en organes produits in vitro, contenant plusieurs types cellulaires organisés et fonctionnels. Ces organoïdes peuvent apporter de grandes avancées scientifiques fondamentales mais aussi appliquées pour les thérapies cellulaires (qui deviendraient des thérapies tissulaires voire permettraient la production de véritables greffons d’organes complets in vitro). Ils peuvent aussi constituer une alternative partielle à l’expérimentation animale.

QUELQUES LABORATOIRES FRANCOPHONES QUI TRAVAILLENT SUR LE SUJET :

Equipe « Biologie à grande échelle » – CEA Grenoble

LIEN VERS LE GLOSSAIRE