par Patrick PLA, Université Paris-Saclay

La neurulation est une étape du développement où l’attention est essentiellement centrée sur l’ectoderme, bien que les cellules des autres feuillets avancent dans leur programme de détermination et de différenciation. C’est au cours de cette étape que l’ectoderme se sépare en différentes parties : une partie neurale, une partie épidermique et chez les Vertébrés, une partie intermédiaire entre les deux appelée la bordure neurale. La partie neurale devient le tube neural générant la moelle épinière et le cerveau et la bordure neurale donne naissance aux cellules de crêtes neurales et aux placodes.


Chez l’Homme, les bourrelets neuraux se soulèvent au 23ème jour après la fécondation et la fusion de ces bourrelets générant le tube neural a lieu au 28ème jour après la fécondation pour la partie médiane et respectivement au 29ème et au 30ème jour pour la partie antérieure et la partie postérieure.
La dépression dans la plaque neurale qui initie la formation de la gouttière neurale dépend de la constriction apicale des cellules de la ligne médiane qui ont un rôle moteur essentiel (Haigo et al., 2003 ; Nishimura et Takeichi , 2008 ; Nishimura et al., 2012 ; McShane et al., 2015). La constriction apicale dépend des interactions entre l’actine et la myosine. Des régulateurs de l’actine et de la myosine sont nécessaires pour la fermeture de la plaque neurale (Brouns et al. , 2000 ; McGreevy et al., 2015).


La perte du régulateur de l’interaction actine-myosine Shroom entraîne une augmentation de la surface cellulaire apicale dans le neuroépithélium crânien, ce qui correspond à un défaut de constriction apicale (McGreevy et al., 2015). Au contraire, la surexpression de Shroom provoque une constriction apicale ectopique de cellules de l’ectoderme qui ne participent habituellement pas au tube neural (Haigo et al., 2003). Shroom agit en contrôlant la localisation de ROCK (Rho-associated kinase) qui phosphoryle et active la myosine-II non musculaire en la phosphorylant sur sa sérine 19 (Amano et al., 1996). ROCK phosphoryle aussi et inhibe MYPT qui habituellement déphosphoryle et inactive la myosine-II.

Des réarrangements planaires sont aussi nécessaires pour les mouvements de la neurulation (Williams et al., 2014 ; Sutherland et al., 2020) et ils contribuent à rétrécir et à plier la plaque neurale. Aux stades ultérieurs de la fermeture, les cellules aux bords de la plaque neurale forment des protrusions avant l’apposition au début des événements de fusion épithéliale (Pai et al., 2012). Des filopodes sont présents aux extrémités des plis neuronaux chez la souris (Massarwa et Niswander, 2013 ; Pyrgaki et al., 2010), ainsi qu’un enrichissement en F-actine le long de la frontière entre le neuroectoderme et l’ectoderme non neural (Hashimoto et al., 2015).
Pour la dernière étape de la neurulation où a lieu une «fusion» épithéliale, les cellules individuelles ne fusionnent pas réellement les unes avec les autres, mais les cellules situées aux bords des tissus apposés forment des adhérences de novo pour créer un épithélium continu. La fermeture du tube neural implique ainsi un type particulier de fusion épithéliale, dans laquelle deux tissus distincts doivent fusionner et se remodeler : le neuroépithélium pseudostratifié et l’ectoderme de surface squameux. Initialement, chacun de ces deux tissus forment une couche ectodermique continue ; cependant, lors de la fusion du pli neural, la continuité de cet épithélium est interrompue aux jonctions bilatérales NE/ES, et de nouvelles adhérences se forment entre les épithéliums accolés de chaque côté. Le remodelage produit alors le tube neural fermé recouvert par le futur épiderme, lui aussi continu.

Les plis neuraux d’apposition présentent des protrusions cellulaires à partir de leurs extrémités (à gauche), les plis neuraux subissent ensuite une fusion (au milieu) et les deux épithéliums se remodèlent pour générer un tube neural fermé recouvert d’ectoderme de surface. D’après https://elifesciences.org/articles/13273
La neurulation s’accompagne aussi de changements d’adhérences cellulaires. L’ectoderme de la souris exprime initialement la E-cadhérine mais au cours de la neurulation, la plaque neurale destinée à devenir le tube neural, éteint l’expression de la E-cadhérine et exprime la N-cadhérine à la place. Si ce changement est bloqué, la séparation des deux tissus, ectoderme non neural et neurectoderme, se fait mal.


L’échec de la fermeture complète du tube neural entraîne des malformations congénitales : anencéphalie quand pas de fermeture à l’avant et spina bifida quand pas de fermeture à l’arrière. Les anomalies de fermeture du tube neural sont parmi les malformations congénitales humaines les plus courantes, affectant 1 grossesse sur 1000 dans le monde (Copp et al., 2013). Comprendre les mécanismes par lesquels la plaque neurale des vertébrés se replie et fusionne pour former un tube neural fermé est donc d’une importance primordiale pour mieux comprendre l’origine de ces anomalies et pour développer des méthodes pour leur prévention. Les voies de signalisation impliquées commencent à être élucidées. Par exemple, les mouvements initiaux de convergence et d’extension qui rétrécissent et allongent la plaque neurale sont régulés par la voie de polarité cellulaire planaire Wnt non canonique (Wnt-PCP) (Wallingford et Harland, 2002 ; Williams et al., 2014 ; Lopez-Escobar et al., 2018).
La flexion de la plaque neurale des mammifères à des points de charnière médians et dorsolatéraux est régulée par la signalisation Shh et BMP (Ybot-Gonzalez et al., 2007).
Chez tous les vertébrés étudiés à ce jour, le facteur de transcription Sox2 est un marqueur général très précoce de la plaque neurale en développement. Chez le poulet, par exemple, l’expression de Sox2 commence au stade de la ligne primitive tardive (stades HH 4–4+) dans le futur territoire neuronal. Une plaque neurale morphologiquement reconnaissable ne devient visible qu’après le début de l’expression de Sox2.
Le profil d’expression complexe de Sox2 est contrôlé par plusieurs éléments régulateurs, chacun étant responsable de diriger l’expression vers un sous-ensemble spécifique de sites d’expression. Une analyse des régions non codantes de Sox2 dans l’embryon de poulet a révélé jusqu’à 25 enhancers distincts conservés, dont deux expliquent l’expression de ce gène dans la plaque neurale précoce. L’un de ces enhancers, nommé N2, est responsable de l’expression initiale (stade 4-4+) et est activé dans un large domaine correspondant à l’ensemble du cerveau antérieur/mésencéphale et à la majeure partie du cerveau postérieur. L’autre enhancer, N1, pilote l’expression dans la partie la plus postérieure du futur cerveau et dans la moelle épinière et il est activé un peu plus tard (autour du stade 5). L’expression de Sox2 via l’élément N1 est activée par l’action conjointe des voies de signalisation Wnt et FGF (Uchikawa et al., 2003; Takemoto et al., 2006; Bouzas et al., 2016). Le facteur de transcription PRDM1 joue également un rôle important : il recrute l’histone déméthylase Kdm4a qui déméthyle les marques répressives H3K9me3 ce qui rend possible l’activation de la transcription de Sox2 (Prajapati et al., 2019).

Sox2 est nécessaire et suffisant pour produire du tissu neural. Par exemple, l’expression ectopique de Sox2 dans le mésoderme présomitique induit la formation de tissu neural dans des cellules qui devraient contribuer aux somites (Takemoto et al., 2011)

La plaque neurale est significativement plus large dans la région crânienne par rapport à la moelle épinière, ce qui suggère que des mécanismes distincts sont nécessaires pour la fermeture du cerveau en développement. De plus, des signaux régionalisés produisent des destins cellulaires distincts le long de l’axe antéro-postérieur et dorso-ventral du tube neural.
Les positions dorso-ventrales correspondent à des positions médiolatérales dans la plaque neurale avant la fermeture du tube neural. Les identités neuronales à différentes positions médio-latérales dans la plaque puis dorso-ventrales dans le tube sont régulées par les protéines sécrétées Shh, Wnt et BMP, avec des niveaux élevés de Shh produisant des destins cellulaires ventraux, des niveaux modérés de Shh produisant des destins cellulaires intermédiaires et des niveaux élevés de Wnt et BMP produisant des destins cellulaires dorsaux (Dessaud et al., 2008 ; Sagner et Briscoe, 2019). Une polarité antéro-postérieure est aussi établie.

La bordure neurale qui se situe entre le futur tube neural et le futur épiderme donne deux types de cellules : les cellules de la crête neurale (CCN) et les cellules des placodes (pour ces dernières seulement dans la bordure neurale antérieure). Les CCN donnent naissance à la plupart des neurones et des cellules gliales du système nerveux périphérique, aux cellules de la médullosurrénale, à une grande partie du squelette craniofacial, aux mélanocytes et aux vaisseaux à la sortie du cœur. Les placodes forment l’épithélium olfactif, l’oreille interne, le cristallin de l’œil et certains neurones des ganglions crâniens.

La co-immunolocalisation de marqueurs de la plaque neurale (Sox2), de la bordure neurale (Pax7), de la bordure neurale et de l’ectoderme non-neural (Tfap2a, Msx1/2) et des progéniteurs de la placode (Six1) a montré que ces marqueurs se chevauchent largement dans les cellules de la bordure neurale chez le poulet (Roellig et al., 2017). Cette co-expression de plusieurs marqueurs est maintenue du début de la neurulation jusqu’à la fermeture du tube neural. En supposant que chacun de ces marqueurs prédit fidèlement des destins cellulaires distincts, cette étude indique que la bordure neurale n’est pas divisée en régions à destins bien définis avant la fermeture du tube neural. Ce n’est qu’après que les différents territoires se définissent précisément.
Une fois les territoires définis, ils ont des modalités de développement propre. Dans le tube neural en cours de fermeture, les cellules neuroépithéliales prolifèrent. Avec le début de la neurogenèse, ces cellules deviennent des cellules de la glie radiaire (cellules souches neurales) qui se divisent d’abord par division symétrique ce qui augmente leur pool. Puis des divisions asymétriques apparaissent permettant de régénérer les cellules souches neurales et de produire des précurseurs de neurones et de cellules gliales.

Des expériences de suivi de cellules marquées avec un gène rapporteur introduit par un vecteur rétroviral dans le tube neural d’un embryon de poulet ont montré que ce sont les mêmes cellules souches neurales qui donnent naissance aux neurones et aux cellules gliales (Leber et al., 1990).
Lorsqu’on différencie des cellules souches pluripotentes en cellules souches neurales in vitro, elles prennent la forme de rosettes, mimant la polarité apico-basale du tube neurale.

Des équipes de recherche travaillent également à faire mimer in vitro à des cellules dérivées des cellules souches pluripotentes humaines les mouvements de la neurulation (Karzbrun et al., 2021).

Pour voir les modalités de la délamination et de la migration des crêtes neurales, voir cette page.
À la fin de la neurulation et au début de l’organogenèse, tous les embryons de Vertébrés se ressemblent (malgré des premières étapes du développement assez divergentes, notamment à cause de la quantité et de la répartition du vitellus) : c’est le stade phylotypique.

De nouvelles techniques de différenciation in vitro de cellules souches pluripotentes (ES ou iPS) de souris permettent d’obtenir des embryoïdes capables d’effectuer une gastrulation et une neurulation assez proches de ce qu’il se passe in vivo (Lau et al., 2022).

Le développement se poursuit avec l’organogenèse.
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