Par Patrick Pla, Université Paris-Saclay

- Généralités
- Développement de la bordure neurale et émergence des CCN en son sein
- Transition épithélio-mésenchymateuse et migration des cellules des crêtes neurales
- Multipotence et détermination des CCN
- Développement d’une sélection de lignages
- Différenciation in vitro des cellules de crêtes neurales à partir de cellules pluripotentes humaines
Généralités
En 1868, Wilhelm His a décrit une bande étroite de cellules, initialement situées sur la surface dorsale entre le tube neural et le futur épiderme. Il avait remarqué que ces cellules donnent naissance aux ganglions rachidiens. His avait raison mais il a largement sous-estimé la diversité des cellules que peuvent produire ces cellules des crêtes neurales (CCN).
En effet, les CCN colonisent diverses régions de l’embryon au cours du développement et contribuent à la formation de multiples tissus et organes. Les CCN peuvent se différencier en une variété de lignées : en mélanocytes, en ostéocytes et chondrocytes du squelette céphalique, en muscles lisses des vaisseaux partant du cœur, en neurones et cellules gliales (cellules de Schwann) du système nerveux périphérique (comportant le système nerveux entérique, sympathique et parasympathique), en cellules endocrines de la médullosurrénales (et cette liste n’est pas exhaustive).

La diversité des structures produites ainsi que le fait que ces types cellulaires proviennent habituellement de 2 feuillets embryonnaires (ectoderme et mésoderme) indique clairement que les CCN sont des cellules multipotentes (Ishii et al., 2012). On peut même les considérer comme un quatrième feuillet spécifique des Vertébrés qui est le seul phylum où on peut les trouver (même si on trouve des cellules apparentées chez les Cordés non vertébrés).

Outre leur multipotence, les CCN présentent aussi des propriétés d’auto-renouvellement ce qui permet de les ranger dans la catégorie des cellules souches (Trentin et al., 2004, Thomas et al., 2008). Des protocoles ont été développés pour maintenir ces capacités de cellules souches (et la multipotence) dans des CCN en culture (voir par exemple Keruoso et al., 2015).

Historiquement, quatre sous-populations de CCN ont été identifiées selon leur localisation initiale le long de l’axe antéro-postérieur de l’embryon :
- céphalique (en amont des somites)
- vagal (somites 1 à 7),
- troncal (somites 8 à 28 chez le poulet et 8 à 24 chez la souris) et
- sacré (postérieur à somites 28 chez le poulet et 24 chez la souris)
A part les mélanocytes qui sont générés quel que soit le niveau de l’axe antéro-postérieur, les CCN ne donnent pas les mêmes dérivés selon leur position. Par exemple, seules les CCN céphaliques donnent naissance à du tissu osseux et cartilagineux et seules les CCN vagales (et pour une petite part les CCN sacrées) donnent naissance au système nerveux entérique.

Source : https://journals.biologists.com/dev/article/131/19/4637/42419/Neural-crest-cell-plasticity-and-its-limits
Signalons que parmi les CCN initialement désignées comme vagales, se trouvent une sous-population particulières appelées CCN cardiaques. Ces cellules apparaissent depuis le niveau de la vésicule otique jusqu’au niveau du 3ème somite et constituent la seule sous-population de la crête neurale qui contribue au système cardiovasculaire. Ces cellules migrent dans les arcs pharyngiens 3, 4 et 6, à partir desquels un sous-ensemble de cellules migre dans la voie d’éjection cardiaque, au sein de laquelle elles se condensent pour former le septum aortico-pulmonaire (Snider et al., 2007). Elles participent aussi à la formation de certaines valves cardiaques (Odelin et al., 2018). Certaines cellules migrent encore plus loin dans les ventricules et forment certains cardiomyocytes (Tang et al., 2019).

La comparaison de l’expression des gènes dans les CCN céphaliques et troncales de la lamproie, qui est un vertébré sans mâchoires parasite, avec celles d’embryons de vertébrés à mâchoires (raie, poisson zèbre, poulet) a montré qu’alors que le poulet possède un sous-réseau de régulation génétique pour les CCN céphaliques qui est en bonne partie spécifique par rapport aux CCN troncales, les CCN céphaliques de la lamproie n’ont pas ce réseau céphalique et ressemblent plus aux CCN troncales du poulet (Martik et al., 2019). Fait intéressant, le réseau de régulation génétique céphalique semblent avoir été progressivement enrichis en gènes et en complexité à mesure que les vertébrés ont évolué. Cela suggère que la crête neurale ancestrale des vertébrés sans mâchoire existe dans un état ressemblant à un tronc primitif et que l’ajout progressif de nouveaux gènes et la complexification du réseau au niveau céphalique au cours de l’évolution des vertébrés a graduellement conféré à la crête neurale la capacité de former l’os et le cartilage de la mâchoire inférieure.
Le développement des CCN est contrôlé par de nombreux événements fondamentaux : la détermination du territoire pluripotent NC au sein de la bordure neurale, la transition épithélio-mésenchymateuse (EMT), la restriction de la pluripotence, la prolifération, la survie, la migration et la différenciation. Comment tous ces processus cellulaires sont coordonnés dans le temps et aussi dans l’espace de l’embryon que les CCN envahissent ?
Des anomalies du développement des CCN, d’origine génétique et/ou environnementales, aboutissent aux neurocristopathies, aussi diverses que peuvent l’être les dérivés des CCN (Etchevers et al., 2019).
Développement de la bordure neurale et émergence des CCN en son sein
Lors de la neurulation, l’ectoderme se sépare en différentes parties : une partie neurale, une partie épidermique et chez les Vertébrés, une partie intermédiaire entre les deux appelée la bordure neurale. La partie neurale devient le tube neural générant la moelle épinière et le cerveau et la bordure neurale donne naissance aux cellules de crêtes neurales et aux placodes (Pla et Monsoro-Burq, 2018).
La détermination de ces structures dans l’ectoderme provient du contrôle de l’activité de la voie BMP dans ses cellules : une forte activité de la voie BMP aboutit à la formation d’épiderme, une activité intermédiaire à la formation de la bordure neurale et une activité faible à la formation du tube neural. Le contrôle de la voie BMP provient essentiellement de la capture des ligands BMP (produits essentiellement ventralement) par des protéines secrétées provenant de l’organisateur de Spemann/nœud de Hensen qui est dorsal : chordine, noggin et follistatine (Marchant et al., 1998). D’autres voies de signalisation sont également nécessaires, notamment Wnt en provenance du mésoderme paraxial et de l’ectoderme non neural et les FGF exprimés dans le mésoderme paraxial (Pla et Monsoro-Burq, 2018).

Les gènes précoces exprimés dans la bordure neurale sont entre autres Pax3, Zic1 et Msx1 (Baker et al. , 1997; Marchant et al., 1998; Pla et Monsoro-Burq, 2018). Une fois que les gènes sont activés par les voies de signalisation, ils renforcent mutuellement leurs expressions. Par exemple, l’expression de Tfap2a et de Pax3 est activée directement par la voie canonique Wnt mais Tfap2a peut aussi activer directement l’expression de Pax3 et peut compenser une inhibition de la voie Wnt (de Crozé et al., 2011).

La co-immunolocalisation de marqueurs de la plaque neurale (Sox2), de la bordure neurale (Pax7), de la bordure neurale et de l’ectoderme non-neural (Tfap2a, Msx1/2) et des progéniteurs de la placode (Six1) a montré que ces marqueurs se chevauchent largement dans les cellules de la bordure neurale chez le poulet (Roellig et al., 2017). Cette co-expression de plusieurs marqueurs est maintenue du début de la neurulation jusqu’à la fermeture du tube neural. En supposant que l’expression de chacun de ces marqueurs permet de prédire fidèlement les destins cellulaires, cette étude indique que la bordure neurale n’est pas divisée en régions à destins bien définis avant la fermeture du tube neural. Ce n’est qu’après que les différents territoires se définissent précisément. Néanmoins, chez le xénope, un biais dans les compétences existe assez précocement et les cellules dorsales dans la bordure neurale ont tendance à devenir des CCN et les cellules ventrales (ou latérales) dans la bordure neurale donnent plutôt des placodes (Pieper et al., 2012).
L’induction des crêtes neurales à partir des cellules de la bordure neurale passe pas un bon dosage entre Pax3 et Zic 1 (trop de Pax3 donne du neurectoderme et trop de Zic1 donne des placodes). Elle implique aussi un renforcement de la signalisation BMP. Cela est rendu possible par une interaction entre les SMAD en aval du récepteur aux BMP et FHL3, protéine à domaines LIM, qui augmente l’activation de la transcription de Wnt8 en aval des SMAD (Alkobtawi et al., 2021). Cet apport de signalisation Wnt autocrine augmente la production de CCN.
Une nouvelle série de gènes est activée dans l’étape suivante du réseau de régulation génétique des CCN. Ils sont nommés les spécificateurs de CN. Il s’agit par exemple de Snail2, FoxD3 et Sox9. Snail2 est le principal chef-d’orchestre de la transition épithélio-mésenchymateuse qui fera émerger les CCN de l’épithélium qui les abrite (voir plus loin).
FoxD3 a un rôle dans le maintien des caractères de cellules souches des CCN, c’est-à-dire leur capacité à s’autorenouveler.

Sox9 se charge d’inhiber tout programme neurogénique. Quand on l’exprime ectopiquement dans le tube neural, il est capable d’inhiber l’expression de Pax6, Nkx6, Irx3, Olig2 et Nkx2.2, autant de gènes impliqués dans la détermination neuronale (Cheung et Briscoe, 2003).
La spécification des CCN est aussi limitée dans l’espace. Par exemple, dans la partie la plus antérieure du tube neural appelé ANR (pli neural antérieur), Tcf7l1 inhibe la voie Wnt nécessaire à l’activation du réseau de régulation génétique des CCN (Masek et al., 2016).
Dans toute cette cascade de régulation génique, l’expression des gènes est sous le contrôle de modifications épigénétiques sur les promoteurs et les enhancers (Strobl-Mazzulla et al., 2010; Bajpai et al., 2010).

Transition épithélio-mésenchymateuse et migration des cellules des crêtes neurales
Avant de lire cette partie, vous pouvez (re)voir des aspects fondamentaux de la transition épithélio-mésenchymateuses et de la migration sur la page dédiée de ce site.
Les CCN sont les cellules des embryons de Vertébrés où la transition épithélio-mésenchymateuses (EMT) et la migration ont été les plus étudiées (Thevenau et Mayor, 2012).
Le chef d’orchestre de l’EMT est le facteur de transcription Snail2. Il est activé par les facteurs de transcription qui spécifient la crête neurale que nous avons vu précédemment (Sakai et al., 2006).

L’expression de Snail2 est aussi contrôlée au niveau traductionnel avec le microARN miR-203 qui inhibe sa traduction dans les CCN pré-migratrices (Sanchez-Vasquez et al., 2019).

La transition épithélio-mésenchymateuse est déclenchée par un sursaut d’activité BMP et a besoin d’un cycle cellulaire fonctionnel car les CCN délaminent durant la phase S (Burstyn-Cohen et Kalcheim, 2002).

Cela est sans doute lié à la migration nucléaire qui accompagne le cycle cellulaire dans un neuroépithélium. Le noyau des cellules se trouve proche du pôle apical (c’est-à-dire proche du canal de l’épendyme ou la partie la plus interne du tube neural) durant la grande majorité du cycle, sauf lors de la phase S où le noyau se déplace vers le pôle basal des cellules, c’est-à-dire plus proche de la lame basale. Ce mouvement doit faciliter la sortie du neuroépithélium pour les CCN.

Le contrôle temporel de l’EMT est apporté par Noggin qui s’oppose à l’action des BMP tant que les CCN ne sont pas prêtes. L’expression de Noggin dans le tube neural dorsal est contrôlée par un signal en provenance des somites et ainsi la maturation des somites et l’EMT et le début de la migration des CCN est coordonné (Sela-Donenfeld et Kalcheim, 2000). C’est un point important car une vaste majorité des CCN (sauf au niveau céphalique) va migrer à la surface ou même à travers les somites.
A l’inverse de BMP, la signalisation Wnt doit être inhibée pour que l’EMT ait lieu. Chez le xénope et le poulet, cette inhibition est réalisée par Dact1 et Dact2 qui empêchent la β-caténine d’interagir avec le facteur de transcription TCF (Rabadan et al., 2016).

Au cours de l’EMT, Snail2, Foxd3, Sox9 et Sox10 coopèrent pour orchestrer des changements dans l’expression des cadhérines. Chez l’embryon de poulet, l’expression de la N-cadhérine et de la cadhérine 6B est remplacée par celle de Cadhérine-7 et de Cadhérine-11 (Chalpe et al., 2010 ; Nakagawa et Takeichi, 1998).

Non seulement la transcription du gène codant la N-cadhérine est diminuée mais en plus la partie extracellulaires des protéines encore présentes est clivée par la métalloprotéinase ADAM10 (Shoval et al., 2007).
Les jonctions serrées sont aussi éliminées lors de l’EMT des CCN. Si on inhibe l’expression de la Claudine-1, il y a une migration plus précoce des CCN et si on force le maintien de l’expression de la Claudine-1, on inhibe l’EMT (Fishwick et al., 2012).
Les protéines contrôlant l’EMT activent également l’expression de l’intégrine β1 (Cheung et al., 2005). L’extinction de l’expression de la N-cadhérine n’est cependant pas universelle car chez le xénope, son expression est même augmentée au moment de l’EMT par une voie de signalisation impliquant les récepteurs PDGF et PI3K/Akt (Bahm et al., 2017).
La fin de la production et de l’EMT des CCN est causée par une extinction de la signalisation BMP sous le contrôle de l’acide rétinoïque produit dans le neural tube dorsale. La partie la plus dorsale du tube neural forme alors le toit (Rekler et Kalcheim, 2022).

(A-D’) Immunomarquage pour pSmad1/5/8 (voie BMP active). Les embryons de poulet à E2.5 (27-28 somites) ont été co-électroporés avec RARα403 (qui code une forme dominante-négative du récepteur à RA), Cyp26A1 (qui code une enzyme qui dégrade RA) ou avec un vecteur pCAGG contrôle, avec GFP, et analysés au stade 35 somites (contrôle uniquement, stade NC) et à E4 (stade ou le toit (RP) se forme). Notez la présence d’activité BMP dans le NC prémigratoire (A) et son absence dans le RP des embryons témoins (B-B ‘). Alors que seuls les interneurones dorsaux dl1 situés un peu plus ventralement sont positifs pour pSmad1/5/8 dans les embryons témoins, le domaine du toit (RP) est positif dans les embryons électroporés RARα403 et Cyp26A1 (C-C’, D-D’). Barre d’échelle = 50 μm. Source : https://elifesciences.org/articles/72723
Une fois l’EMT réalisée, les CCN migrent selon des voies précises, formant des flux denses de cellules.
VIDEO 1 :
Pour trouver leur chemin de migration, les CCN détectent et répondent à différents stimuli extracellulaires. Les gradients de chimioattractants, tels que SDF1 (également connu sous le nom de Cxcl12), sont exprimés le long des voies de migration des CCN et favorisent la formation de protrusion via l’activation de la petite GTPase Rac1 (Theveneau et al., 2010 ; Belmadani et al., 2005; Shellard et al., 2018).

Les signaux chimioattractants sont concurrencés par des répulsifs de migration, tels que les sémaphorines (Sema), les éphrines et Slit/Robo (Theveneau et Mayor, 2012), qui s’expriment aux frontières des voies de migration des CCN et empêchent l’invasion des CCN dans les tissus environnants. Ces signaux répulsifs inhibent en général l’activité de Rac1, ce qui conduit à l’effondrement des protrusions migratoires (Bajanca et al., 2019).
La signalisation éphrine évite que les CCN ne pénètrent dans la partie postérieure des somites et restreignent leur migration dans la partie antérieure.

Les ligands éphrine (surtout des éphrines-B) sont exprimés à la surface des cellules somitiques et les récepteurs Eph à la surface des CCN. Si on empêche cette interaction, les CCN envahissent la région postérieure des somites. Il en résulte notamment un mauvais développement des ganglions rachidiens qui n’ont plus leur aspect segmenté habituel.

Les ligands éphrines A ou B ne sont pas passifs et ils peuvent activer une signalisation dans les cellules qui les expriment. La protéine TBC1d24 est un partenaire de la partie intracellulaire de l’éphrine B2 et il est indispensable à la migration des CCN céphaliques (Yoon et al., 2018).

L’interaction éphrine B2/TBC1d24 est déclenche une voie de signalisation qui est nécessaire à l’inhibition de la locomotion par contact que nous verrons plus loin.
La signalisation Slit/Robo empêche spécifiquement les CCN troncales d’entrer dans l’intestin tout en permettant aux cellules NC vagales (qui donnent le système nerveux entérique) de le faire (De Bellard et al., 2003). On voit donc l’importance de la régionalisation pour les voies de migration. Chez l’embryon de poulet, lorsqu’un récepteur Robo dominant négatif est surexprimé dans les cellules NC, il y a une invasion prématurée des CCN sur la voie de migration dorso-latérale. Slit/Robo empêche donc les premières CCN sorties du neuroépithélium à entrer dans la voie dorso-latérale, sous l’épiderme, qui est une voie réservée aux mélanoblastes qui émergent un peu plus tard et patientent dans une zone d’attente, collée contre le tube neural (Jia et al., 2005). Pour rentrer dans la voie dorso-latérale, les CCN de poulet doivent activer la signalisation médiée par le récepteur B2 aux endothélines qui est spécifiquement exprimé par les CCN migrant sur la voie dorso-latérale (Pla et al., 2005). Les autres CCN qui migrent sur la voie ventrale expriment le récepteur B1 aux endothélines.
Outre les interactions à base de cadhérine, les CCN céphaliques migratrices établissent des jonctions communicantes (Bannerman et al., 2000; Huang et al., 1998; Waldo et al., 1999) dont la présence influence leur polarité et leur survie. Tout comme les contacts dépendant de la N-Cadhérine améliorent la réponse à Sdf1 chez le xénope, les jonctions communicantes affectent la capacité des CCN à polariser et à lire les signaux externes tels que les sémaphorines (Xu et al., 2006). Cela suggère que, dans les groupes de cellules, la compétence pour répondre aux signaux externes est contrôlée grâce à des interactions étroites entre les cellules.
Pour leur migration, les CCN sont aussi être sensibles à des signaux mécaniques. Piezo1 est un canal à Ca2+ mécanosensible et dans les CCN en migration, il contrôle Rac1 et limite la dynamique des points focaux d’adhésion et la formation des lamellipodes (Canales Coutigno et Mayor, 2021).

Effet de l’inhibition de Piezo1 vu en vidéo :
Les signaux mécaniques et biochimiques doivent s’intégrer ensuite en une réponse cohérente. Le mécanorécepteur Piezo1 est par exemple indispensable à l’action répulsive des sémaphorines Sema3A et Sema3F.

Les CCN ne reçoivent pas que des signaux de migration de leur environnement mais échangent aussi des signaux entre elles. Ce n’est pas étonnant car elles migrent en groupe assez serré. L’une des propriétés mises en évidence est l’inhibition de la locomotion par contact. Lorsqu’une CCN entre en contact avec une autre CCN, elle change de direction.

Cette propriété est liée à la polarité planaire et le récepteur Frizzled associé à cette voie est rapidement déployé aux zones de contact entre les cellules et active la petite GTPase RhoA qui agit sur ROCK qui réorganise le cytosquelette (Carmona-Fontaine et al., 2008). La N-cadhérine qui est exprimée dans les CCN de xénope est aussi impliquée (Scarpa et al., 2015), ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres modèles comme le poulet où la N-cadhérine est réprimée lors de la migration initiale des CCN. Le rôle de la polarité planaire a aussi été remis en cause chez les Mammifères (Pryor et al., 2014). Il semble donc que le détail des mécanismes des CCN soit très dépendant du modèle et aussi du stade et de l’environnement de la migration.
L’inhibition de la locomotion par contact devrait mener à la dispersion des CCN mais il existe des mécanismes attracteurs entre les cellules qui les maintiennent rapprochées. Chaque CCN exprime le facteur de complément C3a et son récepteur C3aR (un récepteur couplé à une protéine G). C3a a un effet attracteur et les régions à forte concentration de CCN contiennent une plus forte concentration de C3a. Le récepteur C3aR activé par son ligand active à son tour la petite GTPase Rac1 qui peut repolariser une CCN isolée et lui faire former un lamellipode en direction de ses congénères pour qu’elle se rapproche à nouveau d’elles. Ainsi, malgré l’inhibition de la locomotion par contact, les CCN restent globalement groupées.
Lors de leur migration collective, les CCN peuvent avoir besoin d’une cellule leader au front de migration. Selon les organismes-modèles et même selon les régions dans un même organisme modèle, ce peut être toujours la même cellule qui se trouve leader ou alors cette position peut être prise par différentes cellules au cours du temps.

La présence et l’importance de cellules leader dans certains cas a été soulignée par des études de transcriptomiques où les gènes transcrits dans les cellules leader présentent des spécificités notables par rapport aux gènes transcrits dans les cellules plus en arrière. Cela peut provenir autant de propriétés intrinsèques des cellules que par le fait qu’elles se trouvent dans des environnements différents (McLennan et al., 2015)
Différentes modélisations ont été faites pour comparer les capacités de migration de groupes de cellules avec des fractions variées de cellules qui peuvent devenir leaders : voir cette vidéo. Chez le poisson-zèbre, l’assignation des cellules en position leader ou en position « suiveur » dépend de la voie Notch : une forte signalisation Notch détermine les leaders et une faible signalisation Notch détermine les cellules « suiveur » (Alhashem et al., 2022).
La position de leader et de suiveur peut avoir un impact sur le devenir des cellules. Par exemple, dans les NCC troncales du poisson-zèbre, les cellules leaders deviennent toujours les dérivés les plus distaux (les neurones du système sympathique exprimant Phox2b) tandis que des dérivés proximaux tels que les ganglions rachidiens dérivent entièrement des cellules suiveuses (Alhashem et al., 2022).
Durant leur migration, les CCN peuvent aussi envoyer des signaux dans leur environnement et influencer le développement des tissus aux alentours. En effet, si par exemple, on enlève les CCN céphaliques, on observe bien sûr une absence de leurs dérivés mais aussi de graves défauts d’organisation du cerveau. Les CCN migrantes céphaliques sécrètent Gremlin et Noggin qui inhibent les BMP. Cette inhibition est nécessaire à l’activation de l’expression de FGF8 tout à l’avant du tube neural dans une région organisatrice pour le cerveau antérieur appelé ANR (pour Anterior Neural Ridge) (Ohkubo et al., 2002).
Multipotence et détermination des CCN
Les cellules des crêtes neurales sont considérées comme multipotentes car elles sont capables de générer de multiples types cellulaires mais de manière plus restreinte que les cellules pluripotentes. Dans le cas des CCN céphaliques, elles sont tout de même capables de générer des dérivés typiquement mésodermiques (cartilage, os) en plus de dérivés ectodermiques. Elles réactivent pour ce faire transitoirement l’expression du gène de pluripotence Oct4 (Zalc et al., 2021). Cependant, elles ne donnent pas de dérivés endodermiques donc le terme de multipotence s’applique tout de même.

Le développement de CCN est ensuite classiquement considéré comme une série d’étapes de décisions binaires sur le destin des cellules (Dupin et al., 2018). Quand et comment les NCC franchissent ces étapes de détermination et de pertes de potentialité successives est une question déterminante. Les premières études sur les embryons de xénope et de poulet ont suggéré que les CCN en migration sont multipotentes, nécessitant des signaux de l’environnement migratoire pour initier la différenciation (Bronner-Fraser et Fraser, 1989; Collazo et al., 1993). D’autres études sur le poisson zèbre, la caille et le poulet ont suggéré que les potentialités des CCN sont souvent restreintes avant la migration, et donc que les réseaux de régulation génique dans le tube neural doivent spécifier les CCN à différentes lignées avant que les cellules ne deviennent migratrices (Henion et Weston, 1997 ; Schilling et Kimmel, 1994; Krispin et al., 2010).

Jusqu’à récemment, la compréhension des changements transcriptionnels associés aux différentes étapes du développement de la CCN reposait sur l’analyse de l’expression des gènes dans des tissus entiers et des expériences de gain et de perte-de-fonction qui modifient l’expression des gènes « en masse » (Simoes-Costa et al., 2014). Cependant, les tissus en développement sont souvent hétérogènes sur le plan transcriptionnel, un fait clairement en évidence par les récents développements dans le séquençage de l’ARN sur cellule unique (scRNA-seq) (Briggs et al., 2018; Farnsworth et al., 2020; Chong-Morrison et Sauka-Spengler, 2021 ; Soldatov et al., 2019 ; Zalc et al., 2021; Lencer et al., 2021). De plus, comme les cellules dans les tissus sont souvent à différents stades de spécification, le scRNA-seq a le potentiel d’exposer des changements transcriptionnels associés à la détermination qui auraient été manqués jusque-là. Par exemple, chez le poulet, des études scRNA-seq de CCN céphaliques en migration ont identifié des signatures transcriptionnelles uniques associées à une population de cellules au bord des flux de migration que rien morphologiquement ne distinguaient des autres (Morrison et al., 2021). Tout modèle de développement des CCN doit tenir compte de cette hétérogénéité.
Développement d’une sélection de lignages
Les ganglions de la racine dorsale (ou ganglions spinaux)



Les nerfs rachidiens sont des nerfs mixtes avec des voies sensitives afférentes à la moelle épinière et des voies motrices efférentes partant de la moelle épinière. Les deux types de neurones qui génèrent les dendrites et les axones dans les deux cas n’ont pas du tout la même origine embryologique. Les neurones sensitifs ont pour origine les CCN tandis que les neurones moteurs (ou motoneurones) proviennent de progéniteurs déterminés dans la région ventrale du tube neural (sous l’influence du morphogène Shh).
Les corps cellulaires des neurones sensitifs se trouvent dans les ganglions de la racine dorsale ou ganglions spinaux. Ces ganglions sont répétés le long de l’axe antéro-postérieur car, malgré une délamination des CCN du tube neural répartie également, les CCN migrent seulement à travers antérieure des somites, repoussés de la partie postérieure par la signalisation éphrine et sémaphorine.
Les neurones sensoriels des DRG se caractérisent selon trois modalités perceptives, proprioceptive, mécanoréceptif et (thermo-)nociceptif. Les neurones de grand diamètre comprennent des propriocepteurs qui sont sensibles aux mouvements et à la position des membres, et les mécanorécepteurs qui transmettent des sensations mécaniques. Les récepteurs nociceptifs ont un petit diamètre et répondent aux stimuli thermiques et de douleurs.

Chaque type neurone sensoriel exprime un patron spécifique de caractéristiques moléculaires comprenant des canaux ioniques, des récepteurs aux facteurs neurotrophiques, des neurotransmetteurs entre autres. Dans le DRG, les neurones nociceptifs sont dans la région dorso-médiale tandis que les neurones proprioceptifs et mécanoréceptifs sont situés dans la région latéro-ventrale. Il est à noter qu’il existe des différences importantes entre les espèces : par exemple, une sous-population importante de neurones qui co-expriment TrkA et RET est observée dans les DRG humains, mais est absente des DRG de souris (Rostock et al., 2018).
Chez la souris, la délétion homozygote du gène codant la Neuropiline-1, le récepteur de la sémaphorine 3A qui s’exprime dans la partie postérieure des somites, aboutit à des ganglions rachidiens fusionnés (Schwarz et al., 2009).

La migration des CCN qui donnent les neurones des ganglions rachidiens dépend de SDF-1 reçu par le récepteur CXCR4 exprimé par les CCN (Belmadani et al., 2005).
Sox10 est exprimé de manière transitoire dans le lignage des neurones sensitifs et active l’expression du gène proneural Neurogénine-1 (Ngn1) (Carney et al., 2006). Chez l’embryon de poulet, lorsqu’on surexprime Ngn1, on retrouve une grande partie des cellules infectées dans les DRG et si on fait une surexpression plus tardive, les cellules dans les ganglions sympathiques se mettent à exprimer des marqueurs habituellement trouvés dans les DRG, et dans les nerfs en développement, des CCN qui auraient donné des cellules gliales expriment des marqueurs de neurones sensoriels des DRG (Perez et al. 1999).

Les embryons de poulet ont été infectés avec RCAS-mNGN-1 (m pour mouse (souris) pour la distinguer de l’expression de la neurogénine-1 endogène) par injection virale dans la voie de migration ventrale des CCN à HH 13-15. Les embryons sont fixés au stade HH27 et coupés et traités en hybridation in situ avec les sondes adéquates. (A,B) Coupes adjacentes d’un animal présentant une infection dans les ganglions sympathiques (SG, flèches). (A) Les ganglions sympathiques sont détectés par le marqueur pan-neuronal SCG10. (B) L’expression ectopique du marqueur sensoriel, NSCL-2, est observée du côté infecté de l’embryon. (C-F) Coupes adjacentes d’un embryon présentant une infection des cellules gliales le long du nerf périphérique. (C) Le nerf est détecté par la coloration TuJ1 et entouré d’une ligne discontinue. Les cellules associées au nerf expriment de façon ectopique le marqueur panneuronal SCG10 (D) et les marqueurs des neurones sensoriels, NeuroD-L (E) et NSCL-2 (F). Source : Perez et al., 1999
Ngn2 est exprimé de manière précoce par les CCN chez la souris qui sont fortement biaisées vers un destin de neurones sensoriels ou des glies associées par comparaison avec les neurones sympathiques. Malgré cela, les NCC exprimant Ngn2 ne sont pas engagés dans un destin neuronal, elles peuvent générer à la fois des neurones et de la glie (Zirlinger et al., 2002), contrairement à Ngn1 qui oriente vers un destin neuronal. En absence de Ngn2, certaines cellules qui auraient du faire partie du système nerveux somato-sensoriel viennent participer à la deuxième vague de production de mélanoblastes qui migrent vers l’épiderme à partir de structures profondes (voir la partie sur les mélanocytes).

Entre les deux neuropilines, Nrp1 et Nrp2, qui sont des récepteurs de sémaphorines, Nrp2 est spécifique des NCC troncs qui vont générer les neurones DRG (Lumb et al., 2014).

La majorité des CCN migrantes et post-migratoires dans le DRG expriment le récepteur au NGF de faible affinité p75 (Hapner et al., 1998). Chez la souris, les NCC co-expriment p75 et Sox10 pendant le développement précoce du DRG. Au fur et à mesure que le développement progresse, à partir du jour embryonnaire E10, les cellules gliales conservent l’expression de Sox10 alors que les neurones expriment uniquement le récepteur p75 (Sonnenberg-Riethmacher et al., 2001).
Outre p75, les CCN en migration expriment le récepteur tyrosine kinase au BDNF, TrkC, qui est maintenu à la fois dans les neuroblastes en prolifération et les neurones postmitotiques (Henion et al., 1995; Rifkin et al., 2000). Le BDNF accroit plus de 20 fois a production de neurones sensoriels dans des cultures in vitro de CCN (Sieber-Blum, 1991).
De manière assez surprenante, la moitié des nocicepteurs (les neurones « récepteurs de la douleur ») chez l’embryon de poulet provient de CCN contralatérales, c’est-à-dire qui effectuent leur EMT et se déplacent d’abord un peu d’un côté du tube neural puis migrent dorsalement passant par-dessus le tube dorsal et arrivent dans le DRG de l’autre côté par rapport à leur délamination (George et al., 2007).
Les premiers NCC post-migratoires activent l’expression du facteur de transcription forkhead Foxs1 qui est nécessaire pour une différenciation neuronale sensorielle. Brn3a est aussi un marqueur spécifique. Les premiers neurones sensoriels sont positionnés dans la partie ventrolatérale du DRG, tandis qu’à partir de E10.5, des CCN deviennent des neurones dans la partie dorso-médiale. Les neurones ventrolatéraux ont une plus grande taille tandis que ceux situés dans la région dorso-médiale sont plus petits et ont un cytoplasme dense. Ces deux populations sont séparées par une limite assez nette. À E12,5, l’activité mitotique cesse dans le domaine ventrolatéral, mais elle reste présente dans le domaine dorso-médial.
Une population particulière contribue à une dernière vague de prolifération/différenciation dans les DRG : les cellules de la cap (ou coiffe) qui sont des CCN qui forment des amas à la surface du tube neural, aux points d’entrée et de sortie des racines nerveuses périphériques. Ces cellules sont les seules au niveau troncal à exprimer le facteur de transcription Krox20. Les cellules de la coiffe migrent le long des axones périphériques et colonisent les racines des ganglions et des nerfs rachidiens. Tous les précurseurs des cellules de Schwann occupant les racines dorsales sont dérivés de ces cellules. Dans le DRG, les cellules dérivées de la coiffe sont des progéniteurs à la fois de neurones, principalement nociceptifs (contribuant à 5% des neurones nociceptifs totaux) et des cellules gliales satellites (aussi appelées amphicytes et qui entourent le corps cellulaire des neurones dans les ganglions) (Maro et al., 2004).

A partir de E11,5 pour les neurones ventrolatéraux et à partir de E12,5 pour les neurones dorsomédians commencent l’apoptose qui élimine l’excès de neurones produits par sélection.
Bien que les neurogénines puissent initier des programmes pan-neuronaux, elles ne peuvent pas préciser davantage les sous-types neuronaux dans la lignée sensorielle. Les premiers marqueurs des neurones sensoriels sont les récepteurs transmembranaires tyrosine-kinase TrkA, TrkB et TrkC (Huang et Reichardt, 2003). De plus, d’autres récepteurs de la tyrosine kinase peuvent être détectés lors de la neurogenèse dans le DRG notamment le récepteur Ret (Bourane et al., 2009).
Le récepteur TrkA est exprimé par des neurones nociceptifs de petite taille (50 % des neurones DRG), TrkB est exprimé par les mécanorécepteurs intermédiaires ou de taille moyenne (38-40%) et TrkC par les grands neurones proprioceptifs (10-12%). De plus, certains d’entre eux peuvent transitoirement exprimé plusieurs Trk. Par exemple, au stade précoce du développement, quelques neurones TrkA+ expriment transitoirement TrkB ou TrkC (Zou et al., 2012) tandis qu’un groupe de neurones TrkB+ peut également être transitoirement TrkC+. La population des cellules hybrides TrkA/TrkC ont un diamètre plus grand que les neurones TrkA+ (McMahon et al., 1994).
Ces récepteurs tyrosine kinase transduisent la signalisation de neurotrophines spécifiques : NGF se fixe sur TrkA; BDNF et la neurotrophine-4/5 (NT-4/5) sont les ligands de TrkB, la neurotrophine-3 (NT-3) se lie à TrkC et la famille des facteurs neurotrophiques dérivés des cellules gliales (GDNF) se lient au récepteur Ret (Bourane et al., 2009; Huang et Reichardt, 2001 ; Luo et al., 2009 ; Marmigère et Ernfors, 2007). De plus, le récepteur à faible affinité p75 est exprimé par presque tous les neurones sensoriels Trk+ (Wright et Snider, 1995), et il module la signalisation des neurotrophines, en concentrant les neurotrophines à proximité de récepteurs tyrosine kinases ou en améliorant le transport des neurotrophines (Lee et al., 1994; Verdi et al., 1994).

La signalisation résultant de l’activation de ces récepteurs par la liaison des neurotrophines est cruciale pour la prolifération et la survie cellulaires, la croissance des axones et des dendrites et la formation des synapses. Les souris knock-out pour les différents récepteurs et leurs différents ligands présentent des pertes de populations de neurones sensoriels qui correspondent au patron d’expression. Par exemple, les souris TrkA-/- ou NGF-/- n’ont plus de petits neurones nociceptifs.
Le régulateur de la transcription PRDM12 qui a une activité histone méthyltransférase est co-exprimé avec TrkA dans les précurseurs nociceptifs et contrôle le développement des neurones correspondants. Des patients atteints d’une mutation perte-de-fonction dans le gène Prdm12 présentent une insensibilité congénitale à la douleur (Chen et al., 2015).

(M) Immunomarquages TrkA (nocicepteurs dans le DRG et neurones de ganglions sympathiques) et NeuN (tous les neurones différenciés) sur des coupes transversales d’embryons Prdm12+/+ et Prdm12-/- à E18,5. Alors que les neurones TrkA+ dans le DRG et leurs projections dans la moelle épinière (SC) sont absents dans les embryons Prdm12-/-, l’expression de TrkA dans les ganglions sympathiques (SG) n’est pas affectée. Barre d’échelle = 200 μm. Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2211124719302840
Le système nerveux entérique
Le bon fonctionnement du tractus gastro-intestinal repose sur de nombreux types de cellules spécifiques à des endroits précis travaillant ensemble de manière étroitement coordonnée. Les neurones entériques et la glie du système nerveux entérique sont organisés en deux plexus nerveux concentriques et interconnectés noyés dans la paroi intestinale : le plexus submucosal et le plexus myentérique. Dans chaque plexus, les neurones entériques et la glie sont disposés en grappes appelées «ganglions», qui sont liés par des faisceaux de fibres interganglionnaires pour former un réseau caractéristique en forme de maillage. Ce vaste réseau neuronal innerve toute la longueur du tractus gastro-intestinal, allant de l’œsophage, de l’estomac, de l’intestin grêle (c.-à-d. duodénum, jéjunum et iléon) et du caecum (ou appendice chez l’homme), jusqu’à l’extrémité du gros intestin.
Le réseau du système nerveux entérique contrôle l’activité musculaire qui permet de faire avancer le contenu de la lumière intestinale à travers le tractus. Le système nerveux entérique est la division la plus grande et la plus complexe du système nerveux périphérique comprenant des millions de cellules nerveuses et glies qui lui permettent de détecter et d’intégrer des informations et d’exercer un contrôle moteur approprié (Fung et Vanden Berghe, 2020).


Il est essentiel que l’innervation intestinale se développe correctement. Dans les cas extrêmes, les progéniteurs neuraux ne colonisent pas l’intégralité de l’intestin provoquant une aganglionose, dans laquelle la partie la plus distale du gros intestin est laissée sans innervation (Lake et Heuckeroth, 2013). Cela provoque la maladie de Hirschsprung potentiellement mortelle, qui survient dans environ une naissance sur 5000 (Heanue et Pachnis, 2007; Lake et Heuckeroth, 2013). Néanmoins, même lorsque des ganglions entériques se développent, des erreurs dans leur assemblage peuvent encore avoir des conséquences graves, telles qu’une pseudo-obstruction intestinale idiopathique chronique (Rao et Gershon, 2018). En outre, des défauts de développement subtils dans les circuits peuvent également avoir des implications significatives sur la fonctionnalité du tractus gastro-intestinal (Sasselli et al., 2013).
Chez la souris, les CCN vagales pénètrent d’abord dans l’intestin antérieur lors du jour embryonnaire E9,5 et migrent vers la région postérieure. Elles prolifèrent et se différencient en neurones et cellules gliales derrière le front d’onde migratoire (Young et al., 1998). Au fur et à mesure que l’intestin s’allonge, il forme un coude à ∼E11, de sorte que l’intestin moyen est brièvement apposé étroitement à l’intestin postérieur. Entre E11 et E12, certaines CCN traversent directement le mésentère de l’intestin moyen à l’intestin postérieur, en contournant le caecum. Ces CCN «transmesentériques» donnent naissance au moins aux deux tiers distaux du système nerveux entérique de l’intestin postérieur, la moitié distale étant presque exclusivement issue de cette population (Nishiyama et al., 2012). À mesure que les CCN vagales arrivent, l’intestin postérieur augmente également en longueur. À E13,5, un plus petit groupe de CCN sacrées pénètrent dans l’intestin postérieur et migrent vers l’avant (Wang et al., 2011). Les CCN vagales atteignent alors l’extrémité de l’intestin à environ E14,5.

À cette période, les neurites myentériques de l’intestin grêle commencent à se projeter radialement vers la muqueuse (Hao et al., 2020). Bien que l’activité électrique et les oscillations spontanées des concentrations d’ions Ca2+ soient détectées dans l’ENS en développement dès E11.5 (Hao et al., 2011), l’activité motrice neurogène n’est observée qu’à partir de E18.5 dans le duodénum (Roberts et al. ., 2010) et à partir de P10 dans le côlon (Roberts et al., 2007). Les propriétés électrophysiologiques du développement des neurones entériques continuent de maturer après la naissance (Foong et al., 2012). La période entre le début de l’activité électrique et la pleine fonctionnalité du système nerveux entérique est probablement une période importante pendant laquelle se produit la formation de connexions synaptiques entre différents neurones et leurs diverses cibles cellulaires (Hao et al., 2013).
Le développement du système nerveux entérique humain se produit à travers une colonisation similaire, dans lequel les CCN empruntent une voie migratoire similaire à celle des embryons de souris et de poulet entre la 4ème et la 7ème semaine embryonnaire (Fu et al., 2003; Wallace et Burns, 2005; Obermayr et al., 2013). Par la suite, le développement des ganglions myentériques se produit à partir des semaines 7 et 14 et coïncide avec la différenciation des muscles lisses. L’ENS humain affiche des réponses Ca2+ évoquées électriquement à la semaine 16, et ce moment coïncide avec l’expression de neurotransmetteurs clés et de protéines synaptiques (McCann et al., 2019).
La migration des CCN dans l’intestin et leur développement sont influencés par le nombre de cellules, l’interaction cellule-cellule médiés par les molécules d’adhésion cellulaire, les interactions avec la MEC et les facteurs sécrétés par le mésenchyme (Young et al., 2004). Deux voies de signalisation, GDNF et son récepteur/ co-récepteur RET/GFRα1 et l’endothéline-3 (EDN3) et son récepteur de type B de l’endothéline (EDNRB), sont considérés comme les plus dominants dans le processus de développement (Heuckeroth et al., 1998; Young et al., 2001; Gianino et al., 2003; Uesaka et al., 2013; Bondurand et al., 2018). Les mutations dans l’une ou l’autre de ces voies convergent vers un phénotype pathologique de syndrome de Hirschsprung (HSCR) qui laisse le dernier segment du tractus gastro-intestinal vide de neurones entériques (Puffenberger et al., 1994; Romeo et al., 1994; Schuchardt et al., 1994; Amiel et al. , 1996; Shimotake et al., 2001).
RET est un membre de la superfamille des récepteurs transmembranaires tyrosine kinases, et il est présent dans tous les CCN entériques lorsqu’ils migrent à travers l’intestin. L’activation du RET par le GDNF est cruciale pour la survie des précurseurs (Heuckeroth et al., 1998; Taraviras et al., 1999), la prolifération (Heuckeroth et al., 1998; Gianino et al., 2003), la migration (Natarajan et al., 2002), la différenciation et la croissance des neurites (Young et al., 2001).

présence de GDNF ou de nerturine (NTN, un autre ligand de RET) pour survivre et se différencier. Les cellules RET+ ont été isolées de l’intestin d’embryons de rat et placées dans un milieu déterminé en culture haute densité (en haut) ou basse densité (en bas). En l’absence de facteurs neurotrophiques, toutes les cellules des cultures à haute densité sont mortes à la fin du troisième jour. En présence de GDNF ou de NTN, les cellules ont survécu pendant au moins 10 jours. Les photos ci-dessus montrent de telles cultures à haute densité qui ont été fixées et marquées par immunofluorescence avec des anticorps reconnaissant Tuj1 (spécifique aux neurones; vert) et S100 (spécifique aux cellules gliales; rouge) le 9ème jour. La viabilité globale des cultures à faible densité était réduite par rapport à leurs homologues à haute densité et elles n’ont donc été conservées que pendant 3 jours. Dans les panneaux du bas, on voit des cellules RET+ cultivées en l’absence de facteurs neurotrophiques (D) ou en présence de GDNF (E) ou de NTN (F) et vue après immunohistochimie avec un anticorps anti-Tuj1. Notez l’effet spectaculaire des deux facteurs sur l’étendue de la croissance axonale. Les pointes de flèches indiquent les neurones Tuj1+ alors que les flèches blanches indiquent des cellules non neurales. Source : Taraviras et al., 1999
La perte de la fonction RET provoque une aganglionose intestinale dans tout l’intestin de souris RET-/- (Schuchardt et al., 1994; Shimotake et al., 2001), et des mutations similaires ont été décrites chez des patients (Amiel et al., 2008). Outre RET lui-même, le co-récepteur GFRα1 et le ligand GDNF sont également nécessaires pour activer la voie RET au cours du développement fœtal. Les mutations inactivantes de cette voie sont responsables de la majorité des cas de HSCR familiaux et sporadiques (Romeo et al., 1994; Angrist et al., 1996). À l’inverse, la suractivation de cette voie, par exemple par des mutations de gain de fonction telles que RET-C618F, conduit à une hyperganglionose (Okamoto et al., 2019). In vitro, la capacité des progéniteurs neuronaux entériques à générer un système nerveux entérique est renforcée par le GDNF (McKeown et al., 2017). Un certain nombre de facteurs de transcription, notamment SOX10, RARB, GATA2 et PHOX2B, sont tous essentiels pour réguler l’expression de RET (Chatterjee et al., 2017, 2019), et en tant que tels, ils jouent également un rôle crucial dans le développement du système nerveux entérique. De plus, Sprouty2 (un inhibiteur de la signalisation du récepteur tyrosine kinase) et la kinésine Kif26A servent de régulateurs négatifs de la signalisation RET (Taketomi et al., 2005; Zhou et al., 2009). Enfin, la perturbation de l’expression de Hoxb5 entraîne une baisse de l’expression de Ret, une altération de la migration des CCN et une hypo / aganglionose chez la souris (Lui et al., 2008; Carter et al., 2012; Kam et al., 2014; Kam et Lui, 2015), indiquant une clé rôle de HOXB5 dans le développement ENCC.
La voie de signalisation EDNRB est un autre élément crucial dans le contrôle de la prolifération, de la différenciation et de la migration des CCN entériques (Bondurand et al., 2018). De nombreuses mutations causales de la maladie de Hirschsprung proviennent de membres de la voie EDNRB. L’EDNRB est un récepteur couplé à la protéine G situé sur les CCN entériques. L’enzyme de conversion de l’endothéline (ECE) et le ligand EDN3 sont exprimés dans le mésenchyme intestinal pendant le développement du système nerveux entérique. EDN3 peut également affecter indirectement les CCN entériques en potentialisant les effets du GDNF. La signalisation EDNRB maintient les CCN entériques dans un état non differencié, prolifératif et apte à la migration. En son absence, les CCN entériques se différencient trop vite et il n’y a plus suffisamment de précurseurs pour migrer jusqu’au bout du tube digestif (Lahav et al., 1998; Bondurand et al., 2006; Nagy et Goldstein, 2006).

EDN3/EDNRB agit directement sur les cellules mais influence aussi la matrice extracellulaire. Les souris déficientes en endothéline 3 (Edn3−/−) ou en récepteur de l’endothéline B (Ednrb−/−) ont une expression accrue de laminine, de collagène IV (Col4), de perlecan (également connu sous le nom de HSPG2) et d’autres protéoglycanes du segment habituellement sans ganglions. Les CCN entériques se retrouvent donc dans un milieu hostile à leur migration chez les mutants.
La migration des CCN entériques repose sur leur expression de l’intégrine β1. La délétion homozygote de cette intégrine dans les CCN entériques arrête leur migration dans l’intestin postérieur proximal, conduisant à une aganglionose distale (Breau et al., 2009; Gazquez et al., 2016).

La signalisation via c-Jun (JNK) et l’AMPc agit en aval de la signalisation GDNF/RET et EDN3/EDNRB. Des agents pharmacologiques qui stimulent ou inhibent la signalisation intracellulaire de JNK ou de l’AMPc ont été utilisés pour identifier les déterminants potentiels de la vitesse et de la directionnalité des ENCC individuelles dans l’intestin de souris E12.5 (Hao et al., 2019). La vitesse de migration est modulée par la signalisation JNK et AMPc, tandis que la directionnalité et l’adhésion sont régulés par la signalisation AMPc, mais pas par JNK, ce qui suggère que ces diverses propriétés migratoires des CCN entériques sont régulées séparément.
Outre les voies de signalisation GDNF/RET et EDN3/EDNRB, un certain nombre d’autres molécules jouent également un rôle crucial, ou ont un rôle de raffinement, dans la façon dont le système nerveux entérique est établi. Notamment, Sox10 est un facteur de transcription clé avec des rôles cruciaux dans le maintien de l’état progéniteur des CCN entériques et dans le développement glial (Bondurand et Sham, 2013). L’expression de Sox10 est maintenue dans les cellules gliales, alors qu’elle est diminuée lorsque les progéniteurs se différencient en neurones entériques (Hao et al., 2017).

Des mutations dans SOX10 peuvent aussi causer la maladie de Hirschsprung, tout comme des mutations dans les voies GDNF/Ret et EDN3/EDNRB. La maladie de Hirschsprung a donc des origines génétiques très hétérogènes.
Les mélanocytes
La mélanine qui pigmente plus ou moins notre peau est produite par des cellules appelées mélanocytes, qui se trouvent dispersées dans la couche basale de l’épiderme (vous pouvez trouver une reconstitution 3D interactive de l’épiderme sur ce site). La mélanine est transférée dans les kératinocytes par une vésicule cellulaire appelée mélanosome. Ce transfert est facilité par la morphologie dendritique des mélanocytes avec des prolongements qui s’insinuent vers les couches sus-jacentes à la couche basale.

La mélanine se présente sous deux formes : l’eumélanine noire ou brune et la phéomélanine orange. Leur voie de biosynthèse est commune de la tyrosine jusqu’à la DOPAquinone, puis elles sont produites par des réactions différentes (la synthèse d’eumélanine nécessite les enzymes Trp1 et Trp2). Les personnes à la peau foncée produisent plus de mélanine que celles à la peau claire. L’exposition aux rayons UV du soleil entraîne la fabrication et l’accumulation de mélanine dans les kératinocytes, car l’exposition au soleil incite les kératinocytes à sécréter des substances chimiques qui stimulent les mélanocytes, notamment l’α-MSH. L’accumulation de mélanine dans les kératinocytes entraîne un assombrissement de la peau, ou un bronzage. Cette accumulation accrue de mélanine protège l’ADN des cellules épidermiques contre les dommages causés par les rayons UV et la dégradation de l’acide folique, une vitamine nécessaire à notre santé et à notre bien-être. À l’inverse, une trop grande quantité de mélanine peut interférer avec la production de vitamine D, un nutriment important impliqué dans l’absorption du calcium. Ainsi, la quantité de mélanine présente dans notre peau dépend d’un équilibre entre la lumière solaire disponible et la destruction de l’acide folique, et la protection contre les rayons UV et la production de vitamine D.

Les mélanocytes de la peau peuvent donner naissance à des mélanomes qui sont parmi les plus cellules tumorales les plus invasives lorsqu’elles forment des métastases (25% de survie à 5 ans chez les patients avec métastases contre 99% si le mélanome reste in situ). C’est parce qu’elles réactivent des réseaux génétiques proches de ceux des crêtes neurales.

On trouve également des mélanocytes à la base des poils ou des plumes (qui sont des phanères, c’est-à-dire des productions épidermiques kératinisées) et également dans l’iris. Des mélanocytes sont présents dans la stria vascularis de l’oreille moyenne et sont essentiels pour la production de l’endolymphe nécessaire à l’audition. Ainsi les syndromes de Waardenburg associent une surdité congénitale à des défauts de pigmentation. Des mélanocytes sont également présents sur les valves cardiaques. Leur densité est en corrélation avec la rigidité et les propriétés mécaniques des valves, ce qui suggère que les mélanocytes soutiennent leur bon fonctionnement (Nasim et al., 2021). Certaines cellules pigmentées ne proviennent pas des CCN telles les cellules de l’épithélium pigmenté rétinien qui dérivent directement du tube neural.
Signalons que beaucoup d’animaux dont le poisson-zèbre possèdent une diversité de cellules pigmentées dans l’épiderme : les mélanophores, les xanthophores et les iridophores.

Les précurseurs des mélanocytes dérivés des CCN, les mélanoblastes, migrent sur la voie dorso-latérale, sous l’ectoderme non neural qui devient de l’épiderme (migration à partir de E8,5 chez la souris). Une analyse plus fine de l’origine embryonnaire des mélanocytes cutanés a révélé qu’ils proviennent aussi de précurseurs multipotents des cellules de Schwann (SCP) résidant à la surface des fibres nerveuses en développement. Cette deuxième vague de production de mélanoblastes est particulièrement importante pour les espèces qui ont une grande surface de peau ou de phanères (poils, plumes…) à colorer. A E14,5 chez la souris, les mélanoblastes pénètrent dans l’épiderme et dans les follicules pileux et s’y différencient.

Presque tous les aspects de la biologie des mélanocytes, de la détermination à la différenciation jusqu’à l’éventuelle tumorigenèse, sont contrôlés par le facteur de transcription MITF (Kawakami et Fisher, 2017). La mutation mi ou microphtalmia a été découverte par Paula Hertwig en 1942 dans la descendance de souris irradiées aux rayons X. Le phénotype associait des petits yeux (d’où le nom), une perte de pigmentation, une surdité (à cause de l’absence de mélanocytes dans la stria vascularis de l’oreille interne) et aussi des défauts dans les mastocytes et les ostéoclastes car MITF joue aussi un rôle dans ces cellules qui ne dérivent pas des CCN. En 1993, le gène codant MITF a été trouvé par une mutagénèse par transgénèse insertionelle et il a été montré que des patients atteints du syndrome de Waardenburg de type II (yeux réduits, surdité et défauts de pigmentation) ont une mutation perte-de-fonction dans ce gène (Tassabehji et al., 1994). C’est également le cas des patients atteints du syndrome de Tietz qui associe également défaut de pigmentation (très prononcé, type albinisme) et surdité mais sans changement de la taille des yeux.
MITF est un facteur de transcription de type bHLH-Zip (hélice-boucle-hélice basique-Leucine Zipper) qui se fixe sur des séquences consensus appelées boîte E : CA(T/C)GTG. Il en existe plusieurs isoformes en fonction du premier exon utilisé. C’est l’isoforme M qui est la plus exprimée dans les mélanoblastes et les mélanocytes et spécifiques de ces cellules.
Son expression est activée par les facteurs de transcription Pax3 et Sox10.

Le variant d’histone H2A.Z joue aussi un rôle important dans la détermination des CCN en mélanocytes. Ce variant occupe le promoteur de Mitf et contrôle l’activation de l’expression de Mitf par les signaux appropriés (Raja et al., 2019). Les facteurs YAP65/TAZ (inhibés par la voie Hippo) doivent aussi être présent pour que Pax3 puisse correctement activer l’expression de Mitf (Manderfield et al., 2014).

Le facteur de transcription FoxD3, en tant que gardien de la multipotence des CCN, s’oppose à l’activation de l’expression de Mitf. L’expression de FoxD3 doit être réprimée et cela nécessite la présence de HDAC1 et donc des désacétylations d’histones (Ignatius et al., 2008).
MITF est considéré comme un régulateur principal de la détermination des mélanoblastes mais il ne peut induire une différenciation complète sans la présence de Sox10. C’est seulement ensemble que Sox10 et MITF induisent pleinement l’expression de Dct et de Tyrosinase, deux enzymes nécessaires à la synthèse des mélanines (signalons que Dct est exprimé très tôt, dès le stade mélanoblaste, bien avant qu’il y ait de la pigmentation). Une troisième protéine est nécessaire, BRG1 qui fait partie du complexe SWI/SNF de remodelage de la chromatine (Marathe et al., 2017).

MITF contrôle également l’expression de PMEL17 qui est impliqué dans la formation des mélanosomes (Berson et al., 2001).
Le ligand EDN3 et son homologue récepteur de l’endothéline B (EDNRB) régulent l’expansion des mélanoblastes et affectent leur différenciation en mélanocytes matures. Chez les oiseaux, les mélanoblastes expriment un récepteur spécifique, EDNRB2, qui orientent leur migration sur la voie dorso-latérale (Pla et al., 2005). Les autres CCN expriment EDNRB et migrent sur la voie ventrale donnant d’autres dérivés. Ce système n’existe pas chez les Mammifères car le gène Ednrb2 a été délété. Il semble que la migration dorso-latérale des mélanoblastes soit dans ce cas sous l’influence de SCF (Stem-Cell Factor) et de son récepteur tyrosine-kinase c-kit (alors qu’il n’a qu’un rôle plus tardif chez les oiseaux). Chez la souris, l’expression renforcée de SCF dans l’épiderme sous le contrôle du promoteur de la kératine 14 provoque une entrée plus importante de mélanocytes dans l’épiderme entre les poils alors que d’habitude les mélanocytes se logent surtout dans les follicules pileux chez ces animaux. L’expression des cadhérines a aussi son importance : les mélanocytes qui se trouvent dans l’épiderme expriment préférentiellement la E-cadhérine tout comme les kératinocytes qui les entourent puis expriment majoritairement la P-cadhérine dans les follicules pileux ce qui est aussi les cas des kératinocytes locaux.

ces deux cadhérines est inversé : les mélanocytes épidermiques expriment plus de E-cad et moins de P-cad que les mélanocytes des follicules pileux. L’interaction de ces mélanocytes avec les kératinocytes environnants est médiée par ces deux cadhérines. Source : Pla et al., 2001
Les étapes de la différenciation des mélanocytes nécessitent à la fois la signalisation WNT/β-caténine (Rabbani et al., 2011) et SCF/c-Kit (Botchkareva et al., 2001; Liao et al., 2017).
L’activité d’activation transcriptionnelle de MITF dépend de sa phosphorylation sur la sérine 298 (Takeda et al., 2000) et certains patients atteints du syndrome de Waardenburg ont une mutation ponctuelle aboutissant à un autre acide aminé non phosphorylable à cette position.

MITF est phosphorylé sur la sérine 298 par GSK3β. L’α-MSH qui est un peptide secrété qui stimule la mélanogenèse active une voie de signalisation qui augmente l’AMPc qui inhibe la voie PI3K/Akt. Or Akt inhibe GSK3β, donc l’α-MSH favorise la phosphorylation sur la sérine 298 de MITF et augmente ses capacités d’activateur transcriptionnel (Khaled et al., 2002). L’AMPc agit également en stimulant la PKA qui augmente l’activité de CREB qui augmente la transcription de MITF.

Parmi les cibles de MITF on trouve le gène codant Bcl2, un inhibiteur de l’apoptose et aussi CDK2 qui stimule l’avancée dans le cycle cellulaire. Cela permet d’expliquer l’importance de MITF dans la survie et la prolifération des mélanoblastes.
Les cellules souches mélanocytaires chez l’adulte
Les cellules souches mélanocytaires (McSC) sont des cellules souches non pigmentées, dérivées de la crête neurale qui cohabitent avec les cellules souches épithéliales du follicule pileux (HFSC) dans une structure anatomique appelée le renflement du follicule pileux (Nishimura et al. 2002). Les McSC génèrent et reconstituent le pool de mélanocytes du follicule pileux producteurs de pigments qui donnent leur couleur aux poils des mammifères (Lin et Fisher, 2007).

Le renflement du follicule pileux est une niche de cellules souches dynamiques où les HFSC alimentent des épisodes de production de poil active (anagène), suivis d’une phase destructrice (catagène) dans laquelle la majeure partie de la partie régénérée du follicule pileux dégénère, et enfin, une période de repos (télogène) au cours de laquelle aucune régénération ou destruction tissulaire ne se produit. Pour générer des mélanocytes uniquement lorsque cela est approprié, les McSC quiescents (qMcSC) doivent coordonner leur activité avec le cycle capillaire (Nishimura, 2011). En synchronisant leur brève fenêtre d’activation avec les HFSC au début de chaque cycle capillaire, les McSC sont capables de générer une progéniture proliférative au début de l’anagène qui mature et produit et transfère de la mélanine aux cellules qui se différencient dans le bulbe pileux. Tout en alimentant ce processus, le renflement doit supporter un nombre suffisant de McSC et de HFSC pour se lancer dans les cycles ultérieurs de croissance des poils.
Lors du télogène, les BMP régulent la quiescence des HFSC (Infarinato et al., 2010), tandis que le TGF-β contrôle la quiescence des McSC (Nishimura et al. 2010). Au début de l’anagène, la signalisation WNT/β-caténine stimule l’activation à la fois des HFSC et des McSC à la base du renflement (Rabbani et al. 2011). Les HFSC activées par WNT produisent des endothélines qui stimulent davantage l’expansion de McSC qui expriment le récepteur EDNRB (Rabbani et al., 2011; Takeo et al., 2016). On retrouve donc les mêmes acteurs que lors du développement embryonnaire.

Une fois activés, les HFSC génèrent des progéniteurs qui prolifèrent et enveloppent la papille dermique pour former un bulbe pileux à partir duquel les poils émergent. Des précurseurs mélanocytaires issus des McSC viennent les rejoindre. Là, ils mûrissent en mélanocytes producteurs de mélanine en même temps que les cellules se différenciant au cœur du bulbe pileux. L’activité des mélanocytes se poursuit jusqu’à ce que le catagène s’ensuit, lorsque la descendance différenciée de McSC subit une apoptose aux côtés de la descendance de HFSC.
La plupart des études sur les cellules souches adultes mélanocytaires ont été effectuées chez la souris qui est un organisme très poilu alors que chez l’humain, l’essentiel des mélanocytes se distribue entre les poils (dans l’épiderme interfolliculaire). Des précurseurs mélanocytaires pas pigmentés caractérisés par leur expression de CD90, de MITF, de TRP-2 en absence d’expression de c-kit, de tyrosinase ou de TRP-1 pourraient constituer une réserve de mélanocytes, prêts à proliférer et à se différencier si besoin (Michalak-Micka et al., 2022).
Signalons que parfois certains patrons de pigmentation ne sont pas dû à des défauts de migration ou de différenciation des mélanocytes. Par exemple, certains chats ou certains lapins ont une coloration foncée uniquement sur le bout des pattes et des oreilles et le museau. Cela est causé par une mutation de gène codant la Tyrosinase où la protéine devient thermosensible et n’a pas une conformation active à la température de la peau, sauf aux extrémités qui sont plus froides.

BRAF est l’un des gènes les plus souvent mutés dans les mélanomes, le pourcentage de mélanomes avec des mutations dans ce gène allant de 40 à 60 % selon les données. 80% de ces mutations BRAF sont en position V600E (Fedorenko et al., 2015). BRAF code une sérine/thréonine protéine kinase qui régule la voie de signalisation MAPK/ERK, impliquée dans la régulation de la prolifération, de la différenciation et de la survie cellulaire. La mutation V600E la rend constitutivement active.