GLOSSAIRE

La gastrulation (version allégée)

par Patrick PLA, Université Paris-Saclay

*Modélisation de la gastrulation des Amphibiens et des Téléostéens avec de la pâte à modeler et une balle de golf. Source : Twitter @Artingerlab

La gastrulation est une étape critique dans le développement de tous les animaux, car c’est l’étape où les trois feuillets (ectoderme, mésoderme et endoderme) prennent leur position définitive dans l’embryon. Les cellules se déforment et migrent abondamment pendant cette étape. Il y a aussi des migrations cellulaires à des étapes plus tardives du développement, mais ici, il s’agit de mouvements généralisés à l’échelle de l’embryon alors que plus tard, ce ne seront que des mouvements localisés.

La gastrulation, un terme introduit par Ernst Haeckel en 1872, veut dire littéralement “mise en place du gaster”, c’est-à-dire mise en place de l’intestin primitif. C’est une des principales résultantes de cette phase de développement, mais c’est une vision trop restreinte, car non seulement l’endoderme qui forme l’intestin est concerné mais aussi les deux autres feuillets.

  1. La gastrulation chez les Amphibiens
  2. La gastrulation chez les Amniotes

La gastrulation chez les Amphibiens

La gastrulation a été très étudiée chez les Amphibiens, car ce sont les organismes où elle est particulièrement accessible et bien visible. Les mouvements de la gastrulation ont pu être mis en évidence par Vogt par la technique des marques colorées en 1929 avec utilisation de colorants vitaux (rouge neutre, bleu de Nil) pour marquer un groupe de cellules et suivre leur migration.

*Un exemple de marquage de territoire chez l’embryon de xénope avec un colorant vital pour suivre les mouvements de la gastrulation. Photo : Caroline Borday et Odile Bronchain, Travaux Pratiques à l’Université Paris-Saclay
*Suivi du devenir des marques colorées au cours de la gastrulation d’un Amphibien. Expérience réalisée par Vogt en 1929. On observe que les marques colorées déposées sur l’endoderme et le mésoderme (respectivement vertes et rouges) pénètrent dans l’embryon en passant par une invagination appelée blastopore tandis que la marque colorée sur l’ectoderme (bleu) reste en surface et s’étire. La marque colorée 3 se trouve initialement au niveau de la lèvre dorsale du blastopore et correspond à la région de l’organisateur de Spemann.

Durant la gastrulation, la cavité qui s’est formée au stade blastula et appelée blastocœle est envahie par des cellules. On observe le creusement d’une invagination, le blastopore, qui finit par former une cavité, l’archentéron, qui constituera la lumière du tube digestif. L’archentéron se développe au détriment du blastocœle qui est écrasé. Le mésoderme entre par la lèvre dorsale du blastopore et entraîne l’endoderme à l’intérieur. Une partie de l’endoderme forme le bouchon vitellin dans le blastopore. L’ectoderme qui recouvrait juste une partie de la surface de l’embryon, recouvre tout l’ensemble après la gastrulation.

*Comparaison d’une coupe transversale d’un embryon de xénope avant et après la gastrulation. Une version commentée de cette figure est disponible en vidéo. Source : http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/xenope1/gastrulation/Gastrula.html

Pour observer une vidéo de la gastrulation vue du pôle végétatif, suivre ce lien (et regarder uniquement la vidéo de gauche où l’embryon est normal).

Autre vidéo, également vue du pôle végétatif. On y voit aussi la neurulation qui suit la gastrulation :

*Arrêts sur image : 1 ou 2 s : début de la formation du blastopore en forme d’anse de panier. 3 s : Après le petit saut d’image, le blastopore devient circulaire. 4 -> 5 s : notez en haut les cellules pigmentées qui se déplacent et rentrent à l’intérieur de l’embryon par le blastopore. 8 s : stade bouchon vitellin : le blastopore apparait comme bouché par les macromères de l’endoderme. 9 -> 12 s : des mouvements appelés « convergence-extension » commencent à allonger l’embryon selon l’axe antéro-postérieur et le blastopore est repoussé dans la région postérieure (où il donnera l’anus car on est chez un Deutérostomien). On est maintenant en vue dorsale. Après, enchainement avec la neurulation.

Quelques détails à l’échelle cellulaire :

● Le blastopore se forme par l’invagination de cellules en bouteille. Ces cellules ont un « cou » apical mince et le reste du cytoplasme forme un bulbe basal. Ce sont des cellules de l’endoderme pharyngien qui se déforment ainsi grâce à l’action de leur cytosquelette : la constriction apicale est due aux microfilaments d’actine associés à la myosine et l’élongation est due aux microtubules.

*Formation des cellules en bouteille.
*Les microfilaments d’actine sont nécessaires à la formation des cellules en bouteille. On observe les microfilaments d’actine sur de jeunes gastrulas de xénope avec un marquage à la phalloïdine couplée à un fluorochrome vert. Notez la concentration de ces microfilaments au niveau de la région apicale (vers le bas) des cellules en bouteille qui forment une invagination. On réalise également un immunomarquage contre la forme phosphorylée de la chaîne légère de la myosine (pMLC) qui interagit avec l’actine et permet la contraction apicale. En présence de molécules qui inhibent la polymérisation de l’actine (Latrunculine B [LatB] ou Cytochalasine D [CytoD]), la formation des cellules en bouteille est inhibée. Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012160607012559

Avec un délai de 2h, les cellules en bouteille apparaissent aussi latéralement et ventralement, complétant une zone de constriction apicale circulaire : le blastopore prend la forme d’un anneau après avoir eu une forme de anse de panier puis de fer à cheval.

L’involution est le mouvement du mésoderme qui passe par la lèvre dorsale du blastopore et qui fait une rotation de presque 180° pour remonter par l’intérieur le long des couches superficielles de l’hémisphère animal.

*Mouvements de la gastrulation autour de la lèvre dorsale du blastopore. Remarquez les cellules en bouteille de l’endoderme (vert) dans le fond de l’invagination du blastopore. Les cellules du mésoderme (rouge) réalisent une involution autour de la lèvre dorsale du blastopore. Les cellules à l’avant du mésoderme (en haut sur le schéma) migrent activement, entrainant les autres derrière elles. Les cellules mésodermiques se déplacent tout en restant attachées entre elles. Pendant ce temps, l’ectoderme (bleu) s’étend à la surface de l’embryon. Source : http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/xenope1/gastrulation/Gastrula.html

Les cellules en tête de la lame de cellules mésodermiques qui pénètrent dans l’embryon migrent activement le long de la matrice extra-cellulaire riche en fibronectine qui recouvre l’intérieur du toit du blastocœle.

*Migration du mésoderme le long de la matrice extracellulaire du toit du blastocoele. Ici la coiffe animale (AC) comprenant le toit du blastocoele est disséquée avec la zone marginale dorsale (DMZ) et ventrale (VMZ) contenant des cellules mésodermiques (Me). Les cellules de la DMZ migrent sur le toit du blastocoele où se trouve de la matrice extracellulaire riche en fibronectine (ECM). Les cellules mésodermiques expriment des intégrines qui interagissent avec la matrice extracellulaure, ce qui leur permet de migrer. Notez que les cellules de l’AC expriment aussi des intégrines mais ne migrent pas. Source : https://tinyurl.com/3wvd5mn3

Si on retourne le toit du blastocœle (de telle manière à ce qu’il n’y ait plus de fibronectine du bon côté), ou si on empêche les interactions fibronectine-intégrine par des peptides RGD qui servent de « leurres » aux intégrines, les mouvements de migration sont inhibés.

Vers la fin de la gastrulation, le blastopore, en train de se refermer, est rempli par un bouchon vitellin formé par des macromères végétatifs riches en vitellus. Il est repoussé vers l’arrière et donne l’anus (nous sommes chez un Deutérostomien).

**Fermeture du blastopore au stade bouchon vitellin. A : vue postérieure, B : coupe longitudinale. Les cellules en bouteille sont en vert. Extrait de https://elifesciences.org/articles/26944

Voir également ce site sur la gastrulation des amphibiens.

La gastrulation chez les Amniotes

L’embryon de poulet est un organisme modèle pratique pour l’étude de la gastrulation chez les Amniotes, car il est plat, transparent et se développe à l’extérieur de la mère (contrairement à l’embryon de souris qui est incurvé « en hamac » et implanté dans l’utérus maternel donc difficile d’accès). Les mouvements cellulaires pendant la gastrulation sont cependant similaires chez les oiseaux et les mammifères.

Au moment de la ponte, c’est-à-dire à la fin du clivage, l’embryon de poulet est constitué d’environ 20 000 à 30 000 cellules. Un sous-ensemble de ces cellules forme un disque épithélial épais d’une seule couche, l’épiblaste, d’un diamètre de 3 mm. À la périphérie de l’embryon, l’épiblaste repose sur une couche rigide de plusieurs cellules épaisses de grandes cellules mésenchymateuses, qui entrent directement en contact avec le vitellus sous-jacent. Cette portion externe est connue sous le nom d’Area Opaca (AO) et ne donnera que des tissus extra-embryonnaires. La partie centrale est l’Area Pellucida (AP) et l’ensemble de l’embryon stricto sensu provient de cette partie. La couronne de tissu séparant l’AO et l’AP s’appelle la zone marginale (MZ).

*Embryon de poulet au cours de la gastrulation (vue dorsale). L’axe antéro-postérieur est vertical avec le côté antérieur vers le haut. D’après https://doi.org/10.1016/bs.ctdb.2019.10.001

La gastrulation commence par la formation de la ligne primitive qui est l’homologue du blastopore que nous avons vu chez les Amphibiens. Le début de l’allongement selon l’axe antéro-postérieur de l’embryon se passe très tôt chez les Amniotes et ainsi la ligne primitive est allongée le long de cet axe tandis que le blastopore des Amphibiens reste circulaire car l’allongement selon l’axe antéro-postérieur est plus tardif.

Pour voir une vidéo de la formation et de l’allongement de la ligne primitive, suivre ce lien.

L’extrémité antérieure de la ligne primitive s’épaissit et forme le nœud de Hensen, l’homologue de la lèvre dorsale du blastopore.

Une fois que la ligne primitive s’est étendue à travers l’épiblaste, des cellules de l’épiblaste pénètrent dans la ligne primitive après avoir subi une transition épithélio-mésenchymateuse. Ce sont les cellules de l’endoderme et du mésoderme.

*Transitions épithélio-mésenchymateuses dans la ligne primitive (ps).
(A–E) Images montrant l’épiblaste uniforme 6 heures (A, stade XII) et juste avant la formation de la ligne primitive (B, stade XIV), puis la première apparition de la ligne primitive (C, stade HH2), l’accumulation de mésoderme sous la ligne primitive (D, stade HH3), l’apparition d’un sillon dans la ligne primitive et la migration du mésoderme (E, stade HH3+). (F-K) Microscopie électronique à balayage de coupes transversales d’embryon avant (F-H) et après (I-K) formation de la ligne primitive. Les flèches blanches indiquent une transition épithélio-mésenchymateuse (TEM) (L–P) Microscopie électronique à balayage de coupe transversale dans la ligne primitive, montrant des cellules en TEM avec divers degrés de constriction apicale et d’expansion basolatérale (classées comme « stades d’entrée 1 à 5 »). (Q) Cet embryon a été cultivé pendant 1 heure après introduction d’un marqueur fluorescent dans tout l’épiblaste au stade XI, puis sectionné sagittalement. Les cellules marquées dans l’épiblaste présentent des morphologies similaires à celles des images de microscopie électronique (panneaux L-P, « stades d’entrée 1 à 5 »). (R) Cet embryon a été cultivé pendant 4 heures après introduction d’un marqueur fluorescent témoin dans tout l’épiblaste au stade XI, puis fixé (au stade XII), sectionné sagittalement et coloré avec un anticorps anti-fluorescéine (marron). La coupe montre plusieurs cellules qui ont quitté l’épiblaste et se trouvent maintenant dans l’espace sous-jacent dans toute l’étendue antéro-postérieure de l’embryon (flèches noires). Source : https://elifesciences.org/articles/01817
*Coupe transversale à travers la ligne primitive lors de la gastrulation chez un Amniote. Les cellules du mésoderme et de l’endoderme réalisent une transition épithélio-mésenchymateuse (TEM) où elles perdent leur adhérence entre elles et où la lame basale est détruite. Les cellules qui migrent profondément sont endodermiques, celles qui migrent moins profondément sont les cellules mésodermiques. Les cellules de l’épiblaste latéral qui ne passent pas par la ligne primitive deviennent des cellules de l’ectoderme. Modifié d’après cet article.

Sur la vidéo suivante, on voit bien les mouvements des cellules de l’épiblaste. La ligne primitive se situe en bas à gauche :

La ligne primitive régresse au cours de la dernière phase de la gastrulation lorsque le nœud de Hensen se déplace vers l’arrière. La ligne primitive se raccourcit jusqu’à ce qu’elle disparaisse finalement dans les stades où a lieu la formation des premiers somites. Plus en avant, la neurulation et la formation du tube neural a déjà commencé. Il y a une désynchronisation des phases de développement chez les Amniotes avec l’avant qui est plus mature que l’arrière. Ce n’est pas le cas chez les Amphibiens.

La gastrulation chez la souris a été moins étudiée que chez la poule car elle est moins accessible et la topologie est compliquée par la forme « en hamac » que prend l’embryon et par la présence de structures extra-embryonnaires plus étendues à ce stade chez la souris que chez la poule. Mais les mécanismes fondamentaux restent les mêmes. Notons que l’embryon humain n’a pas cette forme en hamac et sa forme ressemble plus à celle de l’embryon de poule. La gastrulation chez l’Homme commence 14 jours après la fécondation.

La transition épithélio-mésenchymateuse dans la ligne primitive est sous la dépendance du facteur de transcription Snail (ce qui sera aussi le cas un peu plus tard au cours du développement, pour la transition épithélio-mésenchymateuse des cellules de crêtes neurales). Snail réprime notamment directement l’expression de la E-cadhérine épiblastique et active l’expression de marqueurs mésenchymateux tels que la vimentine.

Brachyury ou T est un gène très important pour le développement du mésoderme lors de la gastrulation et ce, quelque soit le vertébré. Brachyury est le membre fondateur d’une famille de facteurs de transcription caractérisés par un domaine de liaison à l’ADN conservé, la boîte T ou T-box. À partir d’un orthologue brachyury dans l’ancêtre commun des métazoaires et des champignons, plusieurs gènes T-box ont été générés par duplication, et ils se sont encore diversifiés au sein des métazoaires (Sebé-Pedrós et al., 2013 ; Papaioannou, 2014 ; Gentsch et al., 2017). Le nom du gène Brachyury fait référence au phénotype le plus évident du mutant T hétérozygote de souris, une queue tronquée, qui a été décrit par Dobrovolskaia-Zavadskaia dès 1927. Les mutations homozygotes T−/− sont léthaux pour l’embryon et présentent une accumulation de cellules du mésoderme au niveau de la ligne primitive de la gastrula et une perte du mésoderme postérieur. Tout comme Snail, il intervient dans la transition épithélio-mésenchymateuse.

**Expression de Brachyury vue par immunofluorescence dans un embryon de souris à E7,5 en gastrulation. Brachyury est ici exprimé dans les cellules du mésoderme qui sont en train de migrer dans la ligne primitive. Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Brachyury#/media/File:Paul_Burridge_Brachyury_in_E7.5.jpg
**Brachyury est nécessaire pour la transition épithélio-mésenchymateuse complète au cours du développement du mésoderme lors de la gastrulation. Images en contraste de phase de cellules dérivées de cellules ES de souris soumises à un protocole qui les poussent à devenir comme des cellules de gastrula. Les cellules à gauche expriment Brachyury (Bra+/GFP) et celles à droite ne l’expriment pas (Bra-/-). En l’absence de Brachyury, les cellules ne subissent pas une TEM complète. Source : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4171571/

Après la gastrulation, vient l’étape de la neurulation.


EN DIRECT DES LABOS : La formation de gastruloïdes

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