GLOSSAIRE

Biomécanique du développement

Patrick Pla, Université Paris-Saclay

Les forces mécaniques jouent un rôle clé dans la morphogenèse de l’embryon. Les changements de forme importants qui se produisent pendant l’organogenèse sont en grande partie générés par les cellules de l’embryon lui-même, donc le comportement mécanique de ces cellules doit être étroitement régulé pour produire l’architecture tissulaire appropriée. De plus, de nombreuses expériences, dans lesquelles des tissus embryonnaires sont coupés ou des portions sont retirées, montrent que les cellules réagissent de manière adaptative à une perte de tension pour ramener le tissu à un certain équilibre mécanique.

Plus récemment, il a également été démontré que les paramètres mécaniques de l’environnement peuvent affecter la différenciation cellulaire et le fonctionnement des cellules différenciées (Engler et al., 2006).

Les effets mécaniques se répercutent à différentes échelles : des organes jusqu’aux tissus, puis aux cellules puis aux éléments du cytosquelette. En retour, la réaction du cytosquelette peut avoir des effets qui « remontent » jusqu’à l’échelle des tissus et des organes.

*Approche multi-échelle de la biomécanique. Le transfert des forces subies par un organisme vers ses organes, tissus et cellules (à gauche, de haut en bas) détermine l’adaptation structure-fonction multi-échelle du cytosquelette, des cellules, des tissus et des organes à l’environnement mécanique dynamique de l’organisme (à droite, de bas en haut). Au niveau moléculaire, les complexes d’adhérence focaux assurent la signalisation de l’extérieur vers l’intérieur et lient mécaniquement la rigidité tissulaire (de la matrice extracellulaire notamment) à la dynamique du cytosquelette, via les interactions avec les protéines adaptatrices. Les signaux mécaniques, transduits sous forme de dynamique de l’actine et des microtubules, déterminent la forme cellulaire et la génération de forces, ce qui entraîne un équilibre de tension à l’échelle tissulaire et à d’autres échelles de manière intégrée. Source : https://www.nature.com/articles/s42003-022-04320-w

Même en dehors du développement, les cellules épithéliales sont capables d’ajuster de manière autonome leurs propriétés mécaniques et biochimiques en réponse à des stimuli mécaniques pour éviter une accumulation excessive de contraintes susceptibles de perturber l’intégrité structurelle de l’épithélium. Ce maintien de l’homéostasie du tissu épithélial nécessaire à l’exécution des fonctions physiologiques, est appelé mécanoadaptation.

  1. Quelques précisions sur la microscopie à force atomique
  2. Les rôles du cytosquelette
  3. Les rôles de la matrice extracellulaire
  4. Importance de la voie Hippo (YAP/TAZ)
  5. Implication d’autres voies de signalisation
  6. La formation de cavités liquidiennes et leurs rôles lors du développement
  7. Les particularités biomécaniques des cellules végétales

Quelques précisions sur la microscopie à force atomique

La microscopie à force atomique (AFM) est souvent utilisée dans les études de biomécanique. Contrairement aux microscopes optiques traditionnels qui utilisent la lumière, l’AFM fonctionne en « sondant » la surface d’un échantillon. Une pointe extrêmement fine (de l’ordre du nanomètre), fixée à un levier souple, balaie la surface à l’échelle de l’atome. Les forces qui s’exercent entre la pointe et les atomes de l’échantillon déforment le levier. En mesurant ces déformations (par les modifications de la réflexion d’un laser le plus souvent), on peut reconstituer une image en trois dimensions de la surface d’un échantillon avec une résolution atomique et mesurer la répartition de forces de l’ordre du nanonewton qui s’exercent entre la pointe et l’échantillon.

Le modèle de Hertz décrit la mécanique du contact entre un indenteur (comme la pointe d’un AFM) et un matériau déformable (comme une cellule). Lorsqu’une pointe sphérique est utilisée, la relation entre la force appliquée (F) et la profondeur d’indentation delta (δ) est donnée par :

où :

  • E* est le module de Young réduit (dépend des propriétés du matériau de la pointe et de l’échantillon),
  • R est le rayon de la pointe AFM (forme sphérique),
  • δ est la profondeur d’indentation (déformation de la cellule par la pointe).

En ajustant les courbes force-indentation obtenues en AFM avec le modèle de Hertz, les chercheurs peuvent estimer le module de Young (E), qui quantifie la rigidité des cellules.

Le module de Young (E) est une mesure de la rigidité ou de l’élasticité d’un matériau. Il est défini par :

où :

  • La contrainte correspond à la force appliquée par unité de surface,
  • La déformation est le changement relatif de la structure sous l’effet de la contrainte.

Un module de Young élevé signifie que le matériau est rigide, tandis qu’un module faible indique qu’il est souple et facilement déformable.

Les rôles du cytosquelette

Le cytosquelette est un réseau dynamique de filaments protéiques (filaments d’actine, microtubules et filaments intermédiaires) qui assure le soutien structurel, contrôle la forme des cellules et assure la génération et la transmission de force au sein des cellules. Au cours du développement embryonnaire, le cytosquelette joue un rôle biomécanique crucial dans la morphogenèse, la formation des tissus et la régulation du devenir cellulaire.

La morphogenèse tissulaire est déterminée par des déformations cellulaires locales essentiellement dépendantes des réseaux contractiles d’actomyosine. Par exemple, la dépression dans la plaque neurale qui initie la formation de la gouttière neurale lors de la neurulation dépend de la constriction apicale des cellules de la ligne médiane qui ont un rôle moteur essentiel (Haigo et al., 2003 ; Nishimura et Takeichi , 2008 ; Nishimura et al., 2012 ; McShane et al., 2015). Cette constriction apicale dépend des interactions entre l’actine et la myosine. Des régulateurs de l’actine et de la myosine sont ainsi nécessaires pour la fermeture de la plaque neurale (Brouns et al. , 2000 ; McGreevy et al., 2015).

*Rôle de la ceinture d’adhérence et de la constriction apicale lors de la formation du tube neural au cours de la neurulation.
1) Au stade initial, les cellules du neuroectoderme sont disposées en épithélium avec des ceintures d’adhérence (en marron) riches en complexes d’actine-myosine (bleu) à leur pôle apical. 2) Sous l’effet d’une contraction apicale médiée par l’actomyosine, les cellules présentent une déformation qui génère une courbure du tissu. Ce mécanisme de constriction apicale induit une invagination du neuroectoderme. Les flèches rouges indiquent les forces de traction exercées par la contraction actomyosinique, dirigées vers le centre.
3) La fusion des plis neuraux au niveau de la ligne médiane permet la fermeture du tube neural. Les ceintures d’adhérence se repositionnent pour former une nouvelle jonction apicale autour de la lumière du tube neural. Ce remodelage tissulaire repose sur la coordination spatio-temporelle de forces mécaniques intrinsèques, pilotées par la dynamique du cytosquelette et des jonctions cellulaires. À droite, des images en microscopie montrent les étapes correspondantes in vivo, avec des flèches rouges illustrant les mouvements cellulaires et les sites de courbure. Source : https://ressources.unisciel.fr/biocell/chap4/co/module_Chap4_9.html

Certaines déformations similaires ont lieu lors de la gastrulation chez la souris.

**Tensions mécaniques dans les cellules de l’épiblaste au cours de la gastrulation chez la souris. Un senseur de tension mécanique dont la fluorescence dépend de ce paramètre (FLIPPER-TR) est exprimé dans un embryon de souris transgénique à E6,5 (a). On voit que la tension mécanique est forte dans la région apicale de l’épiblaste. Une immunolocalisation de SHROOM2 est réalisée (b). Il s’agit d’une protéine qui se lie aux microfilaments d’actine, à la myosine et à ZO-1 qui est présente dans les jonctions serrées. On observe son accumulation spécifique dans la région apicale de l’épiblaste, renforçant la solidité et la contractilité de cette région. Source : https://www.nature.com/articles/s41467-022-28590-4

Les microfilaments d’actine sont impliqués dans de nombreux changements de forme. Par exemple, lors de sa morphogenèse, le cœur passe d’un tube droit à un tube en forme de C, ce qui constitue la première preuve d’asymétrie gauche-droite chez l’embryon. La formation d’une boucle en C consiste en deux composantes de déformation principales : la flexion ventrale et la rotation dextre. Une polymérisation continue de l’actine est nécessaire à la composante de flexion de la boucle C cardiaque et les changements de forme des cellules myocardiques induits par la polymérisation provoquent cette déformation.

*Effets des inhibiteurs de la polymérisation de l’actine (cytochalasine D et latrunculine A), sur la morphogenèse cardiaque. A–C : embryons de stade 10 dans un milieu témoin (Ctrl) ou avec 500 nM de cytochalasine D (CD) ou avec 1 μM de latrunculine A (LA). La photo de gauche correspond au temps 0, juste avant l’ajout du milieu; la photo de droite 6 heures après. D–F : même expérience mais en partant d’embryons de stade 11. Après 6 h, les cœurs témoins présentent une progression de la formation de la boucle cardiaque, mais les cœurs traités ne présentent aucune progression au-delà de la morphologie initiale au moment de l’application. Barre d’échelle = 500 μm. Source : https://anatomypubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/dvdy.20488

Certains mouvements de la gastrulation chez l’oiseau sont contrôlés par la contraction graduelle d’un anneau d’actomyosine supracellulaire à grande échelle localisé entre les territoires embryonnaire et extraembryonnaire. La propagation de ces forces est rendue possible par une réponse du disque embryonnaire épithélial qui est similaire à celle d’un fluide. Un modèle mathématique simple de mouvement fluidique provoqué par un anneau de tension est capable de modéliser les mouvements « en vortex » qui accompagnent la formation de la ligne primitive. La géométrie de l’embryon en gastrulation résulte ainsi de la transmission de forces actives générées le long de sa frontière (Saadaoui et al., 2020).

**Suivi des mouvements cellulaires lors de la gastrulation chez la caille. (A) Carte de l’épiblaste précoce. (B-D) Trajectoires (B, t = 4-6 h) et déformation d’une grille initialement régulière (C, D), à partir de l’analyse d’une vidéo d’embryon exprimant memGFP (GFP adressé à la membrane) pour suivre les mouvements cellulaires. Les couleurs en C et D montrent les changements de surface entre les configurations initiale (C, t = 0) et finale (D, t = 10 h). En B, on distingue de part et d’autre de la zone où va s’allonger la ligne primitive le mouvement « en vortex » des cellules. Des études complémentaires montrent qu’ alors que les mouvements dans l’épiblaste étaient auparavant interprétés comme une conséquence passive de la formation de la ligne primitive, les deux évènements font en réalité partie d’un processus plus large, qui est provoqué par des forces de tension tout au long de l’interface entre l’épiblaste embryonnaire et les tissus extraembryonnaires. Des faisceaux d’actomyosine supracellulaires agissent à cette interface comme des cordons de bourse que l’on referme et qui crée la force générant ces mouvements. EE = tissu extraembryonnaire; EP = épiblaste; PS = cellules qui vont former la ligne primitive. Barre d’échelle = 1 mm. Source : https://pasteur.hal.science/pasteur-02905796v1/file/Saadaoui_Science_2020.pdf

Un autre exemple est apporté par le développement de l’oeil de la drosophile et la mise en place de sa courbure durant la métamorphose. Ce processus biomécanique assure une mise en place adéquate de la morphologie rétinienne via la transmission de tension et la maturation de la rigidité cellulaire, dépendante de réseaux d’adhérence et de contractilité intracellulaire par les interactions actine-myosine (Decker et al., 2025).

**Evolution de la rigidité tissulaire de la rétine au cours du développement pupal chez la drosophile. À 24h de développement pupal, les cellules pigmentaires internes de l’œil (IOPCs) sont « molles » et la rétine présente une morphologie variable, caractérisée par une faible rigidité tissulaire. Après transmission de tensions dans le réseau cellulaire par les mouvements morphogénétiques voisins, l’expression de la E-cadhérine (E-cad) et l’activation de la kinase ROCK (Rok) stimulent la contractilité de l’actomyosine, ce qui augmente la tension dans les IOPCs. À 40h de développement pupal, les IOPCs deviennent « rigides », ce qui accroît la rigidité globale du tissu et permet le mise en place de la courbure rétinienne. Source : https://www.cell.com/cell-reports/fulltext/S2211-1247(25)01126-X

On peut mesurer directement la force générée par un cycle d’interaction entre l’actine et la myosine. À l’aide de pinces optiques, on place un microfilament d’actine unique près d’une molécule de myosine immobilisée sur une bille. Grâce à une microscopie vidéo performante, on peut détecter des déplacements aussi petits qu’un nanomètre. En présence d’ATP et sous faible force opposée, le filament d’actine s’est déplacé par à-coups de 11 nm, ce qui correspond au déplacement unitaire produit par un cycle d’interaction actine-myosine. Lorsque la force appliquée par les pinces est plus grande et l’immobilisation de l’actine totale, on peut observer des impulsions de force d’environ 5 piconewtons (pN), indiquant la force développée par un cycle d’interaction actine-myosine. De plus, ces impulsions durent plus longtemps à faible concentration d’ATP, ce qui soutient l’idée que la liaison de l’ATP à la myosine est nécessaire pour permettre son détachement. Ces résultats fournissent une quantification directe des mouvements et forces produits à l’échelle moléculaire durant l’interaction de la myosine avec l’actine.

*Mesures microscopiques de la force et du déplacement lors d’un cycle d’interaction actine-myosine. A) Un microfilament d’actine est fixé à chaque extrémité d’une bille de polystyrène. La pince optique constitué de deux faisceaux laser finement focalisés, permet de piéger la bille à son point focal et de la déplacer physiquement. En ajustant l’intensité du laser, l’expérimentateur peut modifier la force du piège (c’est-à-dire la force avec laquelle la bille est maintenue). Dans cette expérience, deux pinces optiques ont été utilisées pour suspendre le filament d’actine au-dessus d’une lamelle. Une bille de silice liée à des molécules de myosine est fixée à cette lamelle. B) Dans une expérience isotonique, la force entre le filament d’actine et la bille de myosine/silice fixée est maintenue constante grâce à une intensité laser stable. L’expérimentateur mesure, en fonction du temps, le déplacement de la bille de polystyrène par rapport au centre du piège. Ainsi, lors d’un cycle, l’interaction myosine-actine éloigne la bille de polystyrène d’environ 11 nm du centre du piège. C) Dans une expérience isométrique, l’expérimentateur mesure, en fonction du temps, la force supplémentaire nécessaire (c’est-à-dire l’augmentation de l’intensité du laser) pour maintenir la bille de polystyrène à une position fixe près du centre du piège. Ainsi on peut mesurer que lors d’un cycle de pontage, l’interaction myosine-actine exerce une force d’environ 5 pN. D’après https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC1281952/

Les microfilaments d’actine (avec la myosine) peuvent générer des déformations et des forces comme nous venons de le voir, mais elles peuvent aussi répondre à des forces et des contraintes. En effet, l’assemblage et l’architecture des réseaux d’actine ramifiés sont sensibles à la force exercées sur les cellules. Sous une charge, les réseaux d’actine ramifiés assemblés in vitro à partir de protéines purifiées croissent plus lentement Cela vient en partie du fait que les ramifications mises en place par le complexe Arp2/3 se détachent plus facilement (Pandit et al., 2020).

**Essai microfluidique pour mesurer la déramification du complexe Arp2/3 soumis à une force. (A) Diagramme montrant un court segment d’un microfilament d’actine contenant 10 % de sous-unités d’actine biotinylées et 15 % de sous-unités d’actine marquées à l’Alexa 568 (rouge) immobilisées sur une surface recouverte de neutravidine (la stabilisation est réalisée par l’interaction avec la biotine). La surface est passivée avec 0,2 % de tween (illustré par des lignes verticales grises). Ce segment a été allongée à son extrémité barbelée avec 1,5 µM de Mg-ATP-actine marquée à 15 % à l’Alexa 647 (vert), et le complexe Arp2/3 a formé une branche avec une Mg-ATP-actine marquée à l’Alexa 647. Les filaments verts fluctuent librement et sont soumis à des forces appliquées par l’écoulement fluide du milieu. (B) Images de microscopie TIRF de filaments ramifiés représentatifs sous écoulement lent (2 μL⋅min−1, ∼0,004 pN de force pour une branche de 1,5 μm ; en haut) et écoulement rapide (500 μL⋅min−1, ∼1,02 pN de force pour une branche de 1,5 μm ; en bas). Les branches sont alignées dans le sens de l’écoulement. Barre d’échelle = 1 μm (C) La sous-unité Arpc5 du complexe Arp2/3 a été marquée avec Alexa 488 et suivie pendant le débranchement. Les microfilaments d’actine sont représentés en rouge et le complexe Alexa 488−Arp2/3 situé à la jonction de la branche fille et du microfilament mère représenté en vert. Lorsqu’on renforce le flux (= la force, No Flow -> Flow) auquel est soumis le branchement, on voit le branchement se détacher ainsi que Arpc5. Barre d’échelle = 1 μm. Source : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1911183117

Les microtubules participent également à la biomécanique du développement, par exemple lorsque les contraintes mécaniques participent à la régulation de l’orientation de la division cellulaire. Ainsi, dans les épithéliums de mammifères, le recrutement aux contacts intercellulaires de LGN (une protéine adaptatrice qui participe au complexe qui ancre les microtubules astraux à la membrane) est favorisé par une tension jonctionnelle élevée (ressentie par les jonctions adhérentes contenant la E-cadhérine), conduisant à l’alignement des divisions cellulaires avec l’axe de la tension tissulaire (Hart et al., 2017).

**Les fuseaux mitotiques d’un épithelium s’alignent avec l’axe d’étirement maximal. A) Présentation du dispositif d’étirement cellulaire uniaxial, dans lequel une membrane en silicone extensible est collée au fond de canaux microfabriqués en PDMS (Polydimethylsiloxane). Le canal central contenant les cellules est entouré de canaux dans lesquels une dépression est crée par aspiration pour induire une déflexion vers l’extérieur des parois entourant la chambre cellulaire et provoquer l’étirement de la membrane sous-jacente. (D) Visualisation du fuseau mitotique dans les cellules MDCK exprimant la GFP–α-tubuline avec et sans application d’un étirement uniaxial de 12 % (3 h d’étirement pour cette image). (E) Histogrammes de fréquence circulaire (diagrammes de Rose) de l’angle du fuseau mitotique par rapport à la direction de l’étirement, dans des cellules MDCK GFP–α-tubuline avec ou sans application d’au moins 1 h d’étirement uniaxial. L’orientation préférentielle des divisions cellulaires dans la direction de l’étirement est observée dans l’heure suivant l’étirement. Source : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1701703114

Par ailleurs, les cellules doivent adopter la bonne forme (généralement arrondie pour les cellules animales) pour entrer en mitose car les microtubules astraux doivent être correctement ancrés à la périphérie de la cellule et notamment à son réseau cortical d’actine. Cela passe par une augmentation de la pression osmotique intracellulaire et par une rigidification du cortex cellulaire (Stewart et al., 2011).

**La rigidité et l’arrondissement des cellules mitotiques sont des facteurs essentiels pour un bon ancrage des microtubules astraux . A) Lors de leur entrée en mitose, les cellules se détachent de leur support et s’arrondissent. Cela requiert la rigidification du cortex d’actomyosine et son association à la membrane plasmique. Les protéines iASPP et myosine 1c (Myo1c) contribuent à la rigidification des cellules mitotiques. Les propriétés de Myo1c lui permettent de lier la membrane plasmique au cortex sous-jacent. La protéine iASPP est capable de s’associer à Myo1c. B) En l’absence de iASPP ou de Myo1c, la cellule perd en rigidité, comme l’atteste l’analyse par microscopie à force atomique (mesure, à l’aide d’un rayon laser, de la déviation d’un micro-levier terminé par une pointe nanométrique qui vient indenter la région corticale). Les microtubules astraux perdent leur ancrage cortical à l’un des deux pôles de la cellule mitotique, plus lâche et plus allongée, ce qui crée une dissymétrie des forces exercées par l’intermédiaire de ces microtubules astraux. Les défauts d’organisation du fuseau mitotique peuvent entraîner diverses anomalies de répartition des chromosomes, un phénomène qu’aggraveront les contraintes externes de l’environnement tissulaire. Source : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2022/06/msc220034/msc220034.html

Les rôles de la matrice extracellulaire

La matrice extracellulaire (MEC) est un réseau complexe de protéines et de polysaccharides situé autour des cellules. Elle ne se contente pas de fournir un simple support structurel : elle joue un rôle actif et essentiel dans le développement embryonnaire et la régénération tissulaire.

La MEC influence la forme, la migration et la différenciation des cellules en exerçant des forces mécaniques ou en modulant celles que les cellules peuvent ressentir. Elle agit comme un « milieu physique » dont la rigidité (« stiffness » en anglais) varie selon les tissus.

Les cellules en migration tout comme les axones en développement grâce à leur cône de croissance sont sensibles à la rigidité de la MEC qu’ils traversent.

*Mécanosensibilité des axones des cellules ganglionnaires rétiniennes (RGC) in vitro. (A, B) Cultures de primordiums oculaires de Xénope (astérisques) sur substrats (A) mous (0,1 kPa) et (B) rigides (1 kPa). (C) Primordium oculaire cultivé sur un substrat rigide et traité avec le venin d’araignée GsMTx4 qui bloque les canaux de détection mécaniques activés par l’étirement dans le cône de croissance des axones. Barre d’échelle : 200 μm. Source : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC5531257/

In vivo, les axones des cellules ganglionnaires de la rétine de xénope suivent le chemin où le tissu est le plus dur durant leur trajet vers le tectum.

*Rigidité de la matrice et guidage des axones des cellules ganglionnaires de la rétine (a) Schéma du dispositif expérimental. Le chemin des axones des cellules ganglionnaires de la rétine (RGC) est indiqué en bleu (b) Cerveau de xénope. La ligne rouge en pointillés entoure la zone dont la rigidité a été cartographiée. (c, d) Cartes de la rigidité du tissu cérébral observée in vivo basées sur les mesures au microscope à force atomique à différents stades. La couleur indique la valeur du module d’élasticité apparent K évalué à une force d’indentation de 7 nN. Aux stades 39-40, la position des axones en croissance est indiquée (bleu, basé sur des images de fluorescence). Barre d’échelle : 200 µm. Le carré gris en pointillés en (d) indique une région telle que montrée en (e) où on observe une immunofluorescence montrant les axones des RGC. Une coloration DAPI (bleu foncé) montre les noyaux ce qui permet de montrer que les cellules présentes dans le tissu que les axones traversent sont plus abondants du côté le plus rigide. Barre d’échelle : 20 µm. Source : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC5531257/

La rigidité de la MEC a une influence importante sur le nombre de points focaux d’adhérence, les protéines qui y sont associées et la répartition du cytosquelette.

*La mécanosensibilité des axones des RGC dépend du mécanorécepteur Piezo1. Des embryons de xénope ont été injectés soit avec un morpholino contrôle, soit avec un morpholino qui bloque la traduction de l’ARNm codant le récepteur mécanosensible Piezo1. On observe ensuite la trajectoire des axones des cellules ganglionnaires de la rétine (RGC) entre la rétine et le tectum. Source : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC5531257/

Pour migrer efficacement dans différents tissus, les cellules doivent détecter et s’adapter aux variations des propriétés mécaniques de leur environnement. Dans ce processus adaptatif, les points focaux d’adhérence (PFA) peuvent coupler le comportement des fibres de stress (ou de tension) d’actomyosine avec les modifications de la matrice extracellulaire. Il existe plusieurs types de fibres de tension.

*Différents types de fibres de stress (ou de tension) d’actine-myosine. Les fibres de stress dorsaux ne sont attachés qu’à un seul point focal d’adhérence et sont les principaux transmetteurs des forces contractiles lors de la migration. Les fibres de stress ventraux sont attachés à deux points focaux d’adhérence, une à chaque extrémité. Ils jouent un rôle fondamental pour la rétraction de la région arrière de la cellule et les changements de forme des cellules pendant la migration. Les fibres transverses ne sont attachés à aucun point focal d’adhérence. Source : https://www.mbi.nus.edu.sg/mbinfo/what-are-stress-fibers/

Les PFA associés à l’allongement des fibres de tension dorsales sont associés à de faibles forces de traction, tandis que les PFA associés à l’allongement lent des fibres de tension ventrales sont associés à des forces de traction importantes.

*Influence de la rigidité de la MEC sur les points focaux d’adhérence et le réseau de microfilaments d’actine. Des cellules souches mésenchymateuses sont mis en culture en présence de MEC avec différents niveaux de rigidité (très peu rigide (1 kPa) à très rigide (34 kPa) et sur du verre, un substrat extrêmement rigide). Au bout de quelques heures, les cellules sont fixées et traitées en immunofluorescence avec un anticorps anti-paxilline (A, en vert) et de la phalloïdine couplée à un fluorophore rouge (B). La paxilline est une protéine des points focaux d’adhérence. Source : https://www.cell.com/fulltext/S0092-8674(06)00961-5

Au-delà de la rigidité statique, la viscoélasticité est aussi importante et correspond au comportement mécanique dynamique de la MEC, caractérisé par une relaxation des contraintes en fonction du temps. On mesure ce paramètre par le temps de demi-relaxation de la contrainte (vitesse à laquelle la contrainte diminue sous une déformation constante).

**Propriétés mécaniques des matériaux et mécanismes qui régulent la viscoélasticité de la matrice extracellulaire a) Sous l’effet d’une force constante, les matériaux purement élastiques se déforment instantanément et conservent cette déformation jusqu’à la suppression de la charge, moment auquel ils reprennent immédiatement leur forme initiale. Contrairement aux matériaux élastiques, les matériaux purement visqueux subissent une déformation continue. Les matériaux viscoélastiques présentent une réponse initiale immédiate à la force (composante élastique), suivie d’une augmentation de la déformation au fil du temps (composante visqueuse). Les contraintes et les déformations sont représentées respectivement en rouge et en bleu. b) Sous l’effet d’une force constante (flèches noires), la déformation d’une matrice purement élastique est indépendante du temps : la matrice se déforme instantanément et reprend sa forme initiale lors de l’application et de la suppression de la force (en haut). Contrairement aux matrices élastiques, la réponse des matrices viscoélastiques varie avec le temps : sous une charge constante, la déformation augmente au fil du temps et elles ne reprennent pas immédiatement leur forme initiale une fois la charge supprimée (au milieu). Les matrices purement visqueuses se déforment continuellement sous l’effet de la force et conservent leur forme déformée après la suppression de celle-ci (en bas). c) Essai de fluage montrant la déformation d’un matériau viscoélastique en réponse à une force constante. Plus un matériau est viscoélastique, plus il se déforme au fil du temps sous l’effet d’une charge. d) Un test de relaxation de contrainte permet d’observer l’évolution de la contrainte dans le matériau en réponse à une déformation constante. Les matériaux purement élastiques subissent une contrainte constante. Dans un matériau viscoélastique déformé, la contrainte diminue avec le temps. Le temps de demi-relaxation de la contrainte (t1/2) est défini comme le temps nécessaire pour que la contrainte atteigne la moitié de sa valeur initiale. Plus le matériau est viscoélastique, plus la contrainte diminue rapidement et, par conséquent, plus t1/2 est court. Source : https://www.nature.com/articles/s44341-025-00014-6

La viscoélasticité varie au cours du développement. Par exemple, la viscoélasticité du tissu cérébral évolue au cours de la maturation du tissu nerveux et une forte viscoélasticité soutient l’activité neuronale, tandis que les tissus fibrotiques perdent leur équilibre viscoélastique normal, altérant la mécanotransduction cellulaire (Guo et al., 2019). Dans l’épiblaste de la souris, des signaux moléculaires régulent l’activité des métalloprotéinases matricielles, ce qui induit un remodelage local de la membrane basale et une relaxation des contraintes, favorisant ainsi la croissance embryonnaire (Courbot et al., 2025).

Une plus grande viscoelasticité de la MEC peut favoriser le développement des cancers (Elosegui-Artola et al., 2023).

**Cancer et viscoélasticité de la MEC. a) Les sphéroïdes de cellules cancéreuses cultivés dans des matrices purement élastiques se développent mais sont incapables d’envahir les tissus, quelle que soit la rigidité de la matrice. Dans les matrices viscoélastiques, les cellules cancéreuses peuvent subir une transition épithélio-mésenchymateuse et migrer dans la matrice. La viscoélasticité et la rigidité semblent avoir un effet synergique, et ces comportements sont amplifiés dans les matrices viscoélastiques rigides. b) Le foie des patients atteints de stéatohépatite non alcoolique (NASH) et de diabète de type 2 présente une rigidité similaire, mais une viscoélasticité accrue, par rapport aux sujets sains. Cette augmentation de la viscoélasticité est due à l’accumulation de produits de glycation avancée (AGE), qui affectent la structure de la MEC, diminuant la longueur des fibres de collagène et l’homogénéité du réseau. Cette augmentation de la viscoélasticité favorise la progression du carcinome hépatocellulaire. Source : https://www.nature.com/articles/s44341-025-00014-6

Importance de la voie Hippo (YAP/TAZ)

La voie Hippo est une voie de signalisation importante qui assure un lien important entre la biomécanique cellulaire, la topologie des tissus et l’expression des gènes dans de nombreux processus développementaux. les divers stimuli mécaniques contrôlent l’importation nucléaire et donc l’activité de YAP/TAZ, le coactivateur transcriptionnel de la voie. La mécanotransduction menant à l’activation de YAP/TAZ peut être déclenchée par la densité cellulaire (soit par l’adhérence cellule-cellule, soit par la surface cellulaire réduite (Zhao et al., 2007 ; Aragona et al., 2013 ; Benham-Pyle et al., 2015), par la rigidité de la matrice extracellulaire (MEC) (Dupont et al., 2011; Aragona et al., 2013 ; Elosegui-Artola et al., 2016), et par la contrainte de cisaillement (Nakajima et al., 2017).

YAP et TAZ en tant que mécanotransducteurs de l’état de la matrice extracellulaire. Les régulateurs transcriptionnels YAP (protéine associée à Yes)
et TAZ (coactivateur transcriptionnel avec motif de liaison PDZ) sont localisés
dans le noyau et actifs dans des conditions mécaniques expérimentales qui
favorisent le développement de forces de résistance intracellulaires élevées, telles qu’une forme de cellule étalée, une matrice extracellulaire (MEC) rigide ou un étirement entre des micropiliers rigides (à gauche).
L’îlot de fibronectine micro-imprimé carré (panneau du droite) est représenté. Les cellules ont été colorées pour l’actine filamenteuse (F-actine) avec de la phalloïdine (vert) et pour YAP et TAZ (rouge). Dans ces conditions, YAP et TAZ sont activées et nucléaires.
Dans des conditions mécaniques dans lesquelles les cellules développent de faibles forces contractiles (par exemple, lorsqu’elles sont cultivées sur
de petites zones adhésives favorisant une petite taille de cellule, sur une matrice extracellulaire molle ou sur des micropiliers pliables), YAP et TAZ sont inactivés et se relocalisent dans le cytoplasme.
Un îlot de fibronectine micro-imprimé carré est représenté. L’activité réduite de YAP et TAZ oriente les réponses cellulaires vers l’apoptose ou l’arrêt de la croissance ou détourne la différenciation vers des destins cellulaires qui seraient spécifiés sur une matrice molle, par exemple, les adipocytes. La régulation expérimentale des niveaux de YAP et de TAZ permet d’obtenir un contrôle similaire du comportement cellulaire, quel que soit leur environnement mécanique (non représenté). Source.

Les composants des points d’adhérences focaux, qui relient cytosquelette et MEC, régulent également l’activité YAP/TAZ en modulant la localisation subcellulaire de YAP (Kim et Gumbiner, 2015; Elosegui-Artola et al., 2016). La rigidité de la MEC et la géométrie cellulaire contrôlent l’activité YAP/TAZ grâce à de petites RhoGTPases déclenchant la tension du cytosquelette d’actomyosine (Dupont et al., 2011). Les forces exercées par l’ECM peuvent entraîner l’activité YAP/TAZ par le biais de différents mécanismes. La GTPase RAP2 liée à Ras transduit la rigidité de la MEC en réponses cellulaires YAP/TAZ via l’activation de la voie Hippo (Meng et al., 2018).

**Une faible rigidité de la matrice extracellulaire active la voie Hippo (et diminue donc l’activité YAP/TAZ) via la GTPase RAP2. Des cellules épithéliales de rein HEK293A sont mises en culture sur une MEC peu rigide (1 kPA) ou très rigide (40 kPa) et l’expression de 3 gènes cibles dont l’expression est activée par YAP/TAZ est étudiée par RT-qPCR. Les cellules sont soit sauvages (WT), soit n’expriment pas la GTPase RAP2 (RAP2-KO), soit n’expriment pas YAP et TAZ (YAP/TAZ dKO). Source : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6128698/

Le complexe nucléaire SWI/SNF inhibe YAP/TAZ en réponse à une signalisation mécanique, de telle sorte que pour déclencher l’activité YAP/TAZ, l’accumulation nucléaire de YAP/TAZ et l’inhibition de SWI/SNF sont nécessaires (Chang et al., 2018) . Les forces de la MEC peuvent réguler le transport à travers les pores nucléaires entraînent l’importation nucléaire de YAP d’une manière indépendante d’Hippo (Elosegui-Artola et al., 2017). De plus, Piezo1, un canal ionique mécanosensible, peut médier les effets de la rigidité du substrat sur la localisation nucléaire du YAP (Pathak et al., 2014).

YAP/TAZ ne sont pas seulement modulés par des forces mécaniques, mais peuvent aussi contribuer en retour à des modifications dans les forces mécaniques dépendantes de l’actomyosine en régulant l’expression des gènes du cytosquelette et de la MEC (Porazinski et al., 2015; Lin et al., 2017; Nardone et al., 2017). De plus, les signaux extracellulaires peuvent activer ou inhiber l’activité YAP/TAZ via les récepteurs couplés aux protéines G (GCPR). Les GTPases Rho médient l’activation de YAP/TAZ par les GPCR, modulant la tension du cytosquelette d’actomyosine (Yu et al., 2012). YAP/TAZ peut aussi indirectement augmenter la rigidité de la MEC ce qui provoque une boucle de rétroaction positive (la rigidité de la MEC activant YAP/TAZ) (Calvo et al., 2013).

YAP/TAZ peut être influencé par le mécanorécepteur Piezo1. Par exemple, la localisation nucléaire de YAP est compromise en l’absence de PIEZO1 dans les cellules progénitrices périostéales qui alors se différencient en cellules de tendons et non pas en cellules osseuses (Wang et al., 2025).

**Influence de la rigidité de la matrice sur la différenciation des cellules progénitrices du periosteum via le canal PIEZO1 et YAP.
À gauche : En environnement rigide, l’activation de PIEZO1 permet l’entrée de calcium (Ca²⁺) dans la cellule, ce qui active la voie YAP et favorise l’expression du facteur Scx. Cette cascade de signalisation oriente les cellules vers une différenciation ostéogénique, favorisant la régénération osseuse.
À droite : En environnement plus souple, PIEZO1 n’est pas activé, le calcium n’entre pas, YAP reste inactif et l’expression de Scx est réduite. Cela oriente les cellules vers une différenciation tendineuse, favorisant la régénération des tendons. Source : https://www.cell.com/cell-reports/fulltext/S2211-1247(25)00401-2

Implication d’autres voies de signalisation

La β-caténine est un élément important liant stimuli mécaniques et voies de signalisation car elle est associée aux cadhérines dans les jonctions adhérentes et est également impliquée dans la voie de signalisation Wnt. Par exemple, lors de la gastrulation chez la drosophile, la tension mécanique générée par la constriction apicale des cellules msodermiques déclenche une voie de signalisation impliquant la phosphorylation d’Armadillo/β-caténine sur la tyrosine-667, qui est libérée des jonctions adhérentes et pénètre dans le noyau pour maintenir l’expression de Twist, le facteur de transcription essentiel pour la détermination du mésoderme. Ce mécanisme est conservé car il se retrouve également chez le poisson-zèbre (Brunet et al., 2013).

*Induction mécanique de la translocation nucléaire de β-caténine dans le mésoderme chez l’embryon de poisson zèbre. (a) Embryons de 4,8 hpf (heures post-fécondation) à 30 % d’épibole. (b) Embryons de 4,8 hpf bloqués après traitement à la blébbistatine. (c) Compression des embryons traités à la blébbistatine et reprise des mouvements d’épibolie et dilatation des cellules marginales. (d) Lavage de la blébbistatine et reprise des mouvements d’épibolie et dilatation des cellules marginales. Les déformations sont évaluées par analyse PIV (pour Particle Image Velocimetry qui est une méthode optique de visualisation des flux). Notez que les champs de vitesse diffèrent entre c et d, mais les dilatations des cellules marginales en bleu sont les mêmes. Barre d’échelle = 100 μm (barres noires et blanches). (e) Marquage β-caténine autour de la marge du dôme des embryons non traités de 5,7 hpf à 50 % d’épibolie. On observe de la β-caténine nucléaire (f) Marquage β-caténine autour de la marge des embryons traités à la blébbistatine. Il n’y a plus de β-caténine nucléaire, seulement membranaire (g) Marquage β-caténine autour de la marge après déformation globale des embryons traités à la blébbistatine. On retrouve de la β-caténine nucléaire (h) Marquage β-caténine après lavage de la blébbistatine lors de la reprise des mouvements normaux. On retrouve de la β-caténine nucléaire. Barre d’échelle, 20 μm (barre blanche). Source : https://www.nature.com/articles/ncomms3821

L’interaction vinculine/α-caténine est particulièrement importante pour transmettre les forces de tension entre l’extérieur et l’intérieur de la cellule dans un épithélium (Seddiki et al., 2018). La tension intracellulaire induit des changements conformationnels dans l’α-caténine exposant son site cryptique de liaison à la vinculine (VBS pour Vinculin Binding Site) (Yonemura et al., 2010; Yao et al., 2014). Une fois liée à l’α-caténine, la vinculine réalise une transition vers une conformation ouverte capable de se lier au cytosquelette d’actine, permettant à son tour aux complexes d’adhésion de se renforcer et de résister à des forces plus élevées dans les cellules sous tension (le Duc et al., 2010; Dumbauld et al., 2013).

***Interactions dépendantes de la force entre la vinculine et l’α-caténine. À faible force (<5 pN), l’α-caténine existe sous une conformation de faisceau d’hélice auto-inhibée qui empêche la liaison à la vinculine. À force élevée (> 30 pN), la liaison de la vinculine est également inhibée car la conformation en hélice α du site de liaison à la vinculine est instable. Dans la plage de force intermédiaire (5–30 pN), la conformation auto-inhibée de l’α-caténine est libérée et le site de liaison à la vinculine est exposé. La vinculine recrute alors de nouveaux microfilaments d’actine à la jonction. Source : https://www.nature.com/articles/ncomms5525

La formation de cavités liquidiennes et leurs rôles lors du développement

Plusieurs étapes du développement impliquent la formation de cavités remplies de liquide lors du développement : formation du blastocoele au cours du développement précoce, de la cavité amniotique, de la cavité coelomique, de la lumière du tube neural qui se remplit de liquide céphalo-rachidien ou formation de l’antrum dans les follicules de De Graaf. La pression qu’exerce le liquide dans cette cavité joue un rôle essentiel dans la morphogenèse.

**Formation et rôle du blastocoele dans le blastocyste de la souris. A la fin de la phase morula, le liquide formant le blastocoele s’accumule et se propage entre les cellules au niveau des sites de rupture est appelé fracturation hydraulique. Ce processus peut créer de nombreuses microlumières, qui finissent par fusionner pour former une cavité plus grande. À l’intérieur de la cavité, la présence de liquide génère une pression interne, à laquelle les forces d’adhésion cellulaire et la tension corticale peuvent résister. Cependant, en raison de processus cellulaires comme la division cellulaire, cet équilibre peut être continuellement perturbé puis rétabli, entraînant des fluctuations de la taille de l’embryon et de la cavité. Abréviations : EPI, épiblaste ; PE, endoderme primitif ; TE, trophectoderme. Source : https://www.annualreviews.org/content/journals/10.1146/annurev-cellbio-120123-105748

Une pression excessive du liquide céphalorachidien (LCR) dans la lumière du tube neural au niveau du cerveau en développement, notamment observée dans des pathologies telles que l’hydrocéphalie, peut avoir des effets profonds et durables sur la structure et le fonctionnement du cerveau. Cette pression accrue entraîne la dilatation des ventricules cérébraux et la compression des tissus cérébraux, perturbant ainsi les processus neurodéveloppementaux normaux.

**Prolifération anormale des progéniteurs neuraux dans le cortex de souris modèles d’hydrocéphalie. Des embryons de souris hydrocéphales (provoquée par injection d’acide lysophosphatique, D) ou des souris contrôles (C) sont sacrifiés à E14,5 et on réalise un immunomarquage anti-Histone H3 phosphorylée (PHH3) pour repérer les cellules en prolifération. On constate que la prolifération est cantonnée à deux couches cellulaires précises dans le cortex des souris normales alors qu’elle est répartie de manière plus désorganisée chez les souris hydrocéphales. Source : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC3653407/

Les particularités biomécaniques des cellules végétales

Les particularités biomécaniques des cellules végétales proviennent principalement de deux éléments non présents chez les animaux : la paroi cellulaire à l’extérieur des cellules et la pression de turgescence de la vacuole à l’intérieur des cellules. Ces facteurs sont essentiels pour le développement, la croissance et la morphogenèse des plantes.

La paroi cellulaire, composée majoritairement de cellulose, hémicelluloses, pectines, lignine et autres polymères, est la principale structure conférant rigidité et résistance aux cellules végétales. La cellulose forme des microfibrilles très résistantes (avec un module d’élasticité environ la moitié de celui de l’acier), qui déterminent la directionnalité de la croissance cellulaire en orientant la déposition des microfibrilles selon les contraintes mécaniques (Cheng et al., 2009). Les microtubules corticaux ont un rôle fondamental dans l’orientation des microfibrilles de cellulose car les enzymes permettant la polymérisation de la cellulose sont liés en complexe avec eux.

**Contrôle des propriétés mécaniques des cellules épidermiques des plantes par l’orientation des microtubules corticaux (CMTs) en réponse aux contraintes mécaniques.
A) La vue schématique montre la pression dans un cylindre modélisant par exxemple une tige liée à la turgescence (P) des cellules et les directions principales des contraintes mécaniques (flèches rouges, “Stress”) qui en résultent dans l’épiderme. Sous contrainte, les microtubules corticaux (CMTs, verts) s’orientent parallèlement à la direction de la contrainte la plus forte, ce qui guide le dépôt des microfibrilles de cellulose et la croissance cellulaire dans une direction préférentielle.
B) Image centrale : Visualisation par microscopie montrant l’orientation régulière des microtubules corticaux dans l’épiderme d’une plante; Image de droite : Vue du contour des cellules épidermiques, avec les nouvelles parois cellulaires mises en évidence par des traits rouges (lignes pointillées), qui illustrent la formation de parois suivant une orientation contrôlée par les contraintes mécaniques. Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982220318200

La pression interne élevée due à la turgescence exerce une force contre la paroi cellulaire, contribuant à la tension mécanique. Cette pression joue un rôle clé dans la croissance cellulaire en stimulant l’extension de la paroi, mais elle doit être compensée par la rigidité de la paroi pour éviter la rupture cellulaire.